Face aux pouvoirs « c’est le public qui protège les films »

Regards croisés entre Costa-Gavras et Pierre Schoeller sur le thème « L’individu face au pouvoir ». Le débat a fait salle comble au Festival « Premiers Plans à Angers » des premiers films européens qui a fait en janvier 75000 entrées. De Z à Amen, de Section spéciale à L'Exercice du pouvoir, de la censure à l'autocensure...

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On ne présente plus Costa-Gavras, cinéaste engagé depuis près de cinquante ans. Depuis Z, film sur le coup d‘état des colonels en Grèce, en 1967, son cinéma dénonce toutes les formes de pouvoirs ; le pouvoir politique dans Missing et Etat de Siège, le pouvoir religieux dans Amen, le pouvoir économique dans Le Capital. Sans oublier Section spéciale sur les tribunaux d’exception de Vichy pendant la guerre, film sur le pouvoir judiciaire.

Pierre Schoeller est, avec L’Exercice de l’Etat, un des rares cinéaste contemporain français qui explore les ressors du pouvoir. Le personnage principal de son film, Bertrand de Saint-Jean, est un homme politique apprécié du peuple et bien placé dans les sondages. Lorsque le gouvernement mené d'une main de fer par le Premier ministre aux ordres du Président décide de privatiser les gares françaises pour les faire basculer dans la société Vinci ; Saint-Jean a le choix entre garder son intégrité politique, ce qui lui coûterait sa tête, ou, rentrer dans le rang.

Organiser une rencontre avec ces deux cinéastes a permis de confronter deux regards sur le pouvoir au cinéma à travers l’œuvre exceptionnelle de Costa-Gavras et l’œuvre en train de se faire de Pierre Schoeller qui ne lâche rien sur le cinéma qu’il fait et qui travaille actuellement à l’écriture d’un film sur la Révolution intitulé Un Peuple et son roi.

Le débat a suscité de nombreuses réactions dans le public. Jerôme Clément, modérateur du débat, souligne qu’il existe peu de films sur le pouvoir ; il y a des documentaires et des séries, mais peu de fictions.

Costa-Gavras : « J’ai vu dernièrement La Fille de Brest qui parle d’un certain pouvoir. Chacun parle à sa manière du pouvoir du petit ou du grand. Quand on parle du pouvoir on parle du pouvoir politique au plus haut niveau mais il y a le pouvoir que nous avons chacun d’entre nous sur quelqu’un, comme d’autres en exercent sur nous. Le pouvoir peut rendre heureux ou malheureux.
Faire des films sur le pouvoir est aujourd’hui difficile pour de nombreuses raisons.
D’abord Les cinéastes s’autocensurent. Travailler pendent 6 mois ou un an et ne pas trouver de l’argent pour faire le film c’est un problème. Les sujets ne sont pas faciles à traiter. Il faut une histoire avec des personnages pour faire comprendre quelque chose. Faire un film sur le pouvoir des banques, c’est impossible. Pour le film Z, nous avons cherché de l’argent avec Jacques Perrin pendant plus d’un un an et il a proposé qu’on le tourne en Algérie. On a vu des responsables de la Maison du cinéma, L’ONSIC (Office National pour le Commerce et l’Industrie Cinématographique) dirigé alors par Lakdhar Hamina proche de Boumediene ; les responsables ont aimé le scénario, ils voulaient le faire. Ils sont intervenus auprès de Boumediene ; après avoir refusé, il a fini par accepter en disant : Faisons le quand même car on va montrer que ce sont des colonels différents de nous. Je le sais depuis peu. Ces sujets n’intéressent pas les distributeurs, les financeurs. Les acteurs ça peut les intéresser et c’est une force. Ensuite après le succès de Z, c’était plus facile parce qu’il a eu du succès et tout le monde disait : faisons des films politiques ».

Pierre Schoeller : « Il y a des films sur le pouvoir : Docteur Mabuse, Métropolis et surtout L’Homme qui a tué Liberty Valance qui est peut-être le plus grand film sur l’analyse du pouvoir. Les Marx Brothers aussi d’une certaine façon. C’est devenu un peu plus compliqué de faire des films quand l’industrie du divertissement est venue à la rencontre du cinéma. On associe sérieux et pouvoir.
Moi je voulais faire un film sur le pouvoir, sur le présent, sur l’action politique en le situant au cœur d’un cabinet ministériel  et regarder ce qui se passait ; ce n’est pas un film sur une pratique partisane, sur un fait divers ou un morceau d’histoire de la politique française. Je voulais qu’en regardant mon film les spectateurs ne sachent pas si c’est un gouvernement de droite ou de gauche. J’ai voulu me consacrer sur les pratiques, l’aspect organique, la situation d’hommes de pouvoir.
Un film est une aventure financière, pour L’Exercice de l’Etat, nous avons eu de la chance d’être financé par France 3 ; c’est un film difficile à écrire si on veut être précis et raconter les relations de travail au sein d’un Ministère. »

Jérôme Clément : « Quand je travaillais à Arte, Nous avons eu pendant vingt ans peu de demandes pour faire des films sur le thème du pouvoir. On en a suscité avec la série Gauche/Droite avec par exemple le film Tontaine et Tonton, présenté au festival cette année. Il me semble que les anglais sont plus forts avec The Queen ou le film sur Tony Blair. »

Pierre Schoeller : « Il y a deux sujets interdits pour un cinéaste, le sport, surtout le football, et la politique. Chacun a un rapport intime avec la politique ; il y a 50 prises de paroles politiques par jour sur tous les médias ; Comment faire pour que le public s’y intéresse alors qu’il est déjà saturé ? Comment inventer, comment fictionner la politique ? On peut dire ce qu’on veut de l’homme politique mais néanmoins il pèse sur les choses ; il y a une action qui s’inscrit jour après jours, des décrets, des nominations ; ce n’est pas que la valse des pantins. Quelque chose s’incarne au quotidien ; il faut saisir la symbolique, l’action ou l’échec de l’action sur le réel. J’ai essayé de combiner ces choses. »

Jérôme Clément : « Les cinéastes ont peur d’appréhender le politique ; il y a beaucoup de documentaires comme le travail de Serge Moati qui suit les campagnes électorales et les films historiques (Louis XIV), et entre les deux c’est très difficile de faire un film pour des raisons de financement et d’écriture, de sensibilité.

Costa-Gavras : « L’économie c’est de la politique. Le social c’est politique. Les gens ont tendance à séparer les choses ; les problèmes économiques sont encore plus complexes. Les gens ne comprennent pas quand on parle de milliards et la politique ce sont des milliards et nos vies en dépendent ; il faut raconter une histoire qui montre la situation dont on veut parler avec un début un milieu et une fin. Nous faisons du spectacle. Le cinéma c’est du spectacle. Il faut que ça vous attire, vous fasse avoir des sentiments. On banni le mot spectacle. Les anciens grecs, Molière faisait du spectacle. Shakespeare aussi. Le cinéma c’est du spectacle qui raconte la vie. Pour raconter la vie il faut des histoires et des personnages. »

Pierre Schoeller : « J’avais écrit une scène à l’Assemblée nationale ; je voulais que les lieux de pouvoirs soient présents dans le film. On a eu la cour de l’Élysée. Après des mois de négociations et malgré toutes les démarches, les courriers, je n’ai pas pu réaliser la séquence de l’Assemblée Nationale. On m’a répondu « Nous n’acceptons que des tournages historiques sur la vie de L’Assemblée, un film sur le vote des femmes par exemple ». L’histoire contemporaine non. La porte se ferme. Le cinéma français a toujours eu du mal à chroniquer le présent. Il y a des pans entiers de la société française qui n’ont pas de récit. C’est un défi pour une génération de cinéastes d’aller vers des récits d’aujourd’hui. »

Costa-Gavras : « Aux États-Unis il faut un happy end. Et puis un bon et un méchant : un homme politique méchant et ensuite un bon qui arrange tout. Il y a des histoires où le film ne peut pas se terminer par un happy end. Un film sans happy end, le public ne va pas le voir. C’est une symbolique commerciale. C’est le principe des compagnies américaines. »

Pierre Schoeller : « Quand j’ai commencé de travailler pour L’Exercice de l’Etat, c’était avant Versailles ; je n’arrivais pas à écrire.  Je voulais être au cœur du cabinet ministériel. C’était un milieu narcissique. J’essayais d’avoir des contacts. Je ne voulais pas me lier avec quelqu’un de l’intérieur. Je voulais acquérir de quoi écrire le scénario. J’ai laissé tomber.
J’ai repris ensuite. J’essayais de tout lire, de ne rien m’interdire, d’avoir la curiosité la plus vaste possible. Et agréger des éléments qui me semblaient véridiques. J’avais dans ma tête une phrase de Foucault « Une des natures du pouvoir est son invisibilité, et là où le pouvoir se rend visible, il n’est déjà plus le pouvoir » ; c’est un paradoxe qui m’a servi. Il y a quelque chose qui a lieu sur la puissance sur le poids des corps, la gestion du temps. »

Jérôme Clément : « Parlons du pouvoir religieux. Amen s’attaque au pouvoir religieux… »

Costa-Gavras : « Je ne suis pas catholique. Pas croyant. Le pouvoir religieux est le pouvoir des fanatisés à l’extrême. Comment sont fanatisés un certain nombre de musulmans. Ils peuvent se tuer pour vous tuer. Il n’y a pas de parade à cela. Vient ensuite le pouvoir économique du religieux. Les contradictions : l’argent du Vatican et la pauvreté autour. Dans Amen, ce qui m’a intéressé c’est le silence de ce pouvoir. A l’époque du pape Pie XII, il était impossible de parler de lui, on risquait la prison. C’était une autorité morale absolue. Le pape savait tout et il s’est tu devant l’extermination des juifs. Il a simplement dit « Je prie pour eux ». On a pu tourner le film grâce à Claude Berry ; on avait peu d’argent et on n’a pas pu le faire en France ; on l’a tourné Roumanie parce que c’était pas cher : on a donc transformé le deuxième plus grand Palais du monde, le Palais de Ceaucescu, en Vatican. »

Jérome Clément :  « En évoquant le problème du pouvoir, on touche le problème de la censure... »

Costa-Gavras : « Pour ces sujets-là il y a toujours une censure implicite ou directe, et une liberté car il y a un public.
Pour le film « Amen », une pétition demandée par l’épiscopat a été signée probablement par l’élite parisienne parce que le film touchait à la sensibilité des chrétiens. Les citoyens nous protègent de la censure parce qu’ils vont voir le film. Amen a fait 1 million et demi d’entrées.
C’est le public qui protège les films. »

Pierre Schoeller : « En travaillant sur la Révolution, je me suis documenté sur la guillotine ; je suis tombé sur des exécutions du début du XX ème le gang des chauffeurs, une bande de frères du Nord. Il y a eu une exécution publique des quatre protagonistes. Pathé a filmé. Dans les journaux il y avait une photo des quatre têtes. Le ministère de la justice a interdit les images  de Pathé. C’est l’origine de la censure.
L’Exercice de l’Etat est sorti il y a cinq ans pendant la primaire socialiste. J’ai eu des réflexions du public ; est-ce que vous être sûr que vous rendez service à la démocratie en montrant un ministre pourri. Est-ce que vous n’allez pas dissuader les jeunes d’aller voter ? A-t-on envie de savoir comment une loi se fabrique ? Il faut interroger notre propre rapport au sujet, à la politique au pouvoir. Le pouvoir, il suffit de se le réapproprier au niveau individuel dans la connaissance et l’opinion : l’éducation civique est très mal traitée en France.
Giscard a accepté la présence de Depardon pendant sa campagne. Giscard voit le film et le censure. A l’arrivée de Mitterrand le film se libère et est enfin visible. L’image politique se libère quasiment au deuxième septennat de Mitterrand. Il y a eu des années de plomb sur la France. Le film Le Chagrin et la pitié n’est jamais passé à la télévision. Les Sentiers de la gloire aussi. Le film La Bataille d’Alger ont été interdits  et beaucoup d’autres. Ensuite les États-Unis se sont servi de La Bataille d’Alger pour les stratégies de pouvoir. Ils s’en servaient pour qu’ils apprennent la guérilla urbaine. Ils interdisent les images et les utilisent pour avancer dans les stratégies de pouvoir ! »

Jérome Clément : « On pourrait évoquer le contrepouvoir… »

Costa-Gavras : « Le contrepouvoir aujourd’hui ne joue pas sur le pouvoir politique. Le pouvoir aujourd’hui c’est l’argent, ce sont les banques et le pouvoir politique se soumet à eux ; quand on sait que huit personnes ont autant d’argent que la moitié des habitants de la terre... On ne sait pas comment réagir ; il faudrait un Charlie Chaplin pour faire un film sur ce sujet… »

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