Etienne Mollet, humanitaire anti-colonial

Militant d'une association d'aide à l'enfance et au développement rural à Madagascar, Etienne Mollet défend une conception de la coopération internationale basée sur l'implication et les choix des populations concernées. Une manifestation de soutien a lieu le 10 octobre à Besançon.

Etienne Mollet : « Madagascar est surtout la victime typique des ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale pour ouvrir les marchés et détruire les services publics. C'est un des facteurs importants de la paupérisation du pays. » Ph D.B.

Au début de l'histoire d'Amadea, au milieu des années 1980, il y a des adoptants. Depuis deux ans, l'association fait seulement de l'aide au développement et à l'enfance à Madagascar. Son projet s'appuie sur une conviction simple, énoncée par Etienne Mollet : « il faut faire en sorte que les gens fassent les choses par eux-mêmes ». Médecin à la retraite, il a toute sa carrière durant, notamment à l'hôpital de Dole et à l'Espace santé, milité pour l'éducation thérapeutique afin que les patients souffrant de maladies chroniques, notamment le diabète, s'approprient des connaissances et soient acteurs de leur propre santé : qu'ils fassent autant que possible par eux-mêmes...

A quelques jours d'une manifestation culturelle visant à récolter des fonds, il explique le cheminement de l'association en situant son action dans un contexte économique et politique qu'il est important de connaître : la ruine du pays après l'application des remèdes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.

Comment intégrez-vous Amadea ?

J'y suis entré via des amis fondateurs à la fin des années 1980. Dans ces années et les suivantes, la plupart des adhérents sont passés par l'adoption internationale. Aujourd'hui, ils sont minoritaires et militent, pour la plupart, pour des raisons humanitaires. Au commencement, il y avait les Amis de Tpoaza, un orphelinat...

On entend beaucoup parler des orphelinats dans les pays pauvres. C'est quoi à Madagascar ?

Cela n'a rien à voir avec la France. Il faut commencer par l'importante signature, en 1993, de la Convention de La Haye qui lutte contre le trafic d'enfants. Elle organise la gestion et l'attribution des enfants par des orphelinats en fonction de critères et de standards internationaux. Auparavant, les trafics d'enfants mouillaient notoirement beaucoup de monde. S'il n'y a pas de réglementation, c'est la jungle, ça peut être une activité très rentable. Des familles peuvent vendre leurs enfants et d'autres sont prêtes à payer cher pour adopter...

C'était donc avant la convention...

...qui a tout changé. Auparavant, la proportion d'adoptions internationales transitant par des associations agrées était très minoritaire. La plupart des adoptions passaient par des filières privées. Cela a été un des motifs de la création des Amis de Topaza. L'adoption internationale a ensuite été l'une des branches de l'activité d'Amadea qui a pris le relais des Amis de Topaza. C'était l'une des six ou sept OAA, organismes agréés pour l'adoption, qui faisaient ensemble 10% des adoptions internationales à Madagascar. La convention de La Haye a été un progrès, a mis un coup d'arrêt au trafic en rendant l'adoption internationale plus administrative, plus difficile. Comme c'est devenu trop compliqué, Amadea a arrêté cette activité pour se recentrer sur le développement rural.

Pourquoi ?

Prolonger pour mieux comprendre
- Un témoignage d'adoption d'une fratrie de trois enfants, ici (aller jusqu'à la page 13)
- le programme de la manifestation de soutien du 10 octobre,
- La convention de La Haye, ici
- Le rôle de la FMI et de la Banque mondiale, sur Aricatime, ici
- le site d'Amadea,

Les pays signataires de la convention l'ont fait pour « arrêter la fuite des enfants » en renforçant les conditions d'adoptabilité. Il avait été possible d'adopter des enfants de quelques mois, ce n'est plus possible aujourd'hui. On peut seulement adopter des enfants malades, en fratries, de plus de cinq ans. Cette « offre » ne correspond plus à la demande et le nombre d'adoption diminue.

Madagascar est un des pays les plus pauvres du monde...

C'est un pays qui n'a fait que s'enfoncer, sur le plan des services publics et de la santé, depuis la fin de la colonisation en 1960, puis de 1975 à 1991 avec les orientations de l'amiral Ratsiraka, un capitaine qui s'était proclamer amiral... Le premier gouvernement à la solde des Français a été balayé par les indépendantistes en 1972, et Ratsiraka a rompu avec l'Occident en recherchant une alliance du côté soviétique avec Kim Il Sung comme modèle idéologique ! Madagascar est surtout la victime typique des ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale pour ouvrir les marchés et détruire les services publics. C'est un des facteurs importants de la paupérisation du pays.

On a remplacé les cultures vivrières par des cultures d'exportation ?

C'est à peu près ça. Cette question des cultures vivrières revient aujourd'hui car le pays est l'un des plus touchés par l'achat ou la location de longue durée de centaines de milliers d'hectares pour la culture de l'arachide ou du palmier. Sous le président Ravalomanana, il y a eu des accords secrets pour louer des terres. Des informations ont fuité, ce qui a provoqué une révolution... Le président Rajaonarimampianina a été élu en décembre 2013 après plusieurs années de vacance du pouvoir.

Comment intervient Amadea dans ce contexte ?

Amadea a des objectifs d'aide à l'enfance et de développement rural. Le développement rural a commencé avec une douzaine de familles à partir d'un village à 50 km d'Antananarivo, et les actions se sont étendues, par conviction des voisins, à 800 familles. C'est un développement global intégrant l'ensemble des aspects de la vie des gens. La première chose était la nutrition, arriver à l'autosuffisance alimentaire en améliorant la culture du riz, en introduisant des cultures de contre saison dans les rizières comme des légumes ou des fruits...

Comment cela s'est-il fait ? Avec des agronomes, la mémoire des anciens ?

Jusqu'en 2000, toutes les actions étaient relayées sur place, mais les décisions étaient prises en France. A partir de 2000, on a salarié à plein temps deux chargés de mission sur place et ça a tout changé. Ils ont réuni une équipe atteignant 70 personnes intervenant comme travailleurs sociaux, experts agricoles, formateurs en agriculture. L'idée est que les paysans qui ont bénéficié des actions deviennent à leur tour promoteurs de ces actions et formateurs des paysans d'à côté. Toute personne contribuant, même à temps partiel, est salarié par Amadea, avec des salaires à la malgache...

Ce n'est pas une économie de marché...

Pas du tout. Et la zone actuelle ne peut pas s'étendre, ça demanderait des investissements...

Comment éviter une nouvelle forme de colonialisme ?

En cherchant l'autosuffisance. Les besoins sont constatés sur place par les chargés de mission, évoqués au conseil d'administration d'Amadea qui décide, par exemple la construction d'une école ou l'irrigation, sur demande de l'équipe locale. Patrick Johannes, l'un des deux chargés de mission, sera samedi à Besançon... L'objectif de cette manifestation festive, c'est d'informer et de récolter des fonds. On demande aussi des subventions à la région, au département, on vend de l'artisanat malgache...

Et l'autre objectif, l'aide à l'enfance ?

On a créé, et on gère, deux établissements d'accueil. L'un pour adolescents en perdition. Au départ, il s'agissait d'accueillir des enfants de détenus. On héberge 24 garçons et filles qui sont scolarisés en ville et qu'on forme au maraîchage, pour notamment produire de la spiruline. L'autre établissement est pour les tout petits, de quelques mois à trois ans, afin de faire de la nutrition infantile. Ils sont en pension avec leur mère à qui on dispense de l'éducation sanitaire et alimentaire... Quelques uns de ces enfants ont été abandonnés par de très jeunes femmes enceintes parce que la région est une zone de tourisme sexuel...

Comment prenez-vous les doutes quant aux actions humanitaires ?

Pour moi, la solution est celle la : ne rien injecter directement, mais faire en sorte que les gens fassent eux-mêmes. Au départ, on peut fournir des semences, mais il est important que les Malgaches fassent... L'aide au développement parachutée de France ou d'Europe, qui vient construire un puits ou bâtir une école est une fausse solution quand c'est fait par des équipes occidentales...

 

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