Et si le régime des intermittents sécurisait l’emploi discontinu ?

C'est le débat que la coordination des intermittents du spectacle voudrait bien voir repris par l'ensemble du mouvement social. Mais il y avait peu de syndicalistes jeudi dernier au CDN pour écouter Samuel Churin, Mathieu Grégoire et Edwy Plenel.

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« Vous imaginez six malades sur dix non couverts par la Sécu ? » Samuel Churin a l'argument qui fait mouche quand il compare l'assurance maladie, quasi généralisée dans le pays, et l'assurance chômage qui « n'indemnise pas six chômeurs sur dix ». Cet ancien informaticien devenu comédien professionnel est en pointe dans la lutte des intermittents du spectacle au sein de la CIP, la coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France. Il a récemment défendu à Besançon une audacieuse conception de la « solidarité interprofessionnelle » lors d'un débat au CDN avec le sociologue Mathieu Grégoire, expert auprès de la mission de concertation ad hoc, et le fondateur de Médiapart, Edwy Plenel.

Conception audacieuse ? Finalement pas tant que ça ! C'est celle du Conseil national de la Résistance dont Denis Kessler, alors vice-président du Medef, a théorisé en 2007 le démontage pièce à pièce de l'héritage dans un texte devenu célèbre : Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde que l'on peut lire ici. Persuadé d'être « attaqué non pour des raisons économiques mais idéologiques », Samuel Churin ne s'arqueboute pas aux textes, il s'inspire plutôt de la philosophie qui les porte en l'adaptant à la réalité actuelle de la précarité du travail.

Une continuité de revenu sur une discontinuité d'emploi

Voyons cela. « Ce dossier rassemble tous les fantasmes journalistiques sur la fausse information ou les intermittents pleins aux as... Pour commencer, il faut partir des annexes 8 et 10 de la convention Unedic. Elles n'instaurent pas un statut, mais un régime qui a été créé dans les années 1960 pour que les techniciens du cinéma aient une continuité de revenu sur une discontinuité d'emploi. Il s'agissait de droits sociaux, pas de culture. Dans les années 1990, le texte a été attaqué par le CNPF et Jack Lang a parlé d'exception culturelle, mais cette exception des années 60 est en train de devenir une norme ».

A cet instant, il faut entendre Mathieu Grégoire expliquer qu'entre 1996 et aujourd'hui, le nombre d' « intermittents hors spectacle » est passé de 500.000 à 1.700.000 personnes. Ce sont les catégories B et C des statistiques mensuelles de Pôle emploi. Les gens qui passent de CDD en petits boulots avec des périodes chômées. Les précaires et les flexibles à qui Samuel Churin voudrait que s'applique le régime des intermittents du spectacle, qu'il appelle les « intermittents de l'emploi » parmi lesquels il classe à juste titre les journalistes pigistes. Ce faisant, l'animateur de la CIP aimerait faire reconnaître la distinction entre emploi et travail : « l'emploi correspond à la fiche de paie, mais si on abolit le travail hors emploi, l'économie s'effondre ».

Rendre la précarité moins attractive pour les employeurs

La conséquence de cette logique est la pérennisation de deux règles d'indemnisation : « une pour les emplois stables, une pour les emplois discontinus ». Samuel Churin en est persuadé : « le projet social du Medef est que tout le monde soit dans la course aux petits boulots. Donc, renforcer les droits des précaires renforce les droits des salariés permanents » en rendant la précarité moins attractive pour les employeurs.

Mathieu Grégoire vient en appui intellectuel de cette perspective : « Il y a deux voies possibles. Le plein emploi pour tout le monde, mais avec six millions de chômeurs, ça a de plus en plus de mal à être crédible. Ou une alternative urgente à construire : on ne sortira pas du chômage avec un emploi pour tous, mais avec un salaire garanti, en s'inspirant du modèle des intermittents du spectacle... Le temps productif est devenu différent du temps de travail. Prenez l'exemple du pompier, de la femme de ménage qui va maison en maison, de la caissière au temps de travail mité... Ce sont des productions où il faut être là au bon moment, cela pose la question d'une flexi-sécurité progressiste. Non pas à la mode de la CFDT ou des néo-libéraux qui proposent de la formation pour maximiser l'employabilité, mais en permettant un emploi discontinu avec un salaire continu. Cela nécessite de repenser la solidarité ».

Edwy Plenel en appelle à un Etat stratège

Pour Edwy Plenel, « il y a dans le mouvement des intermittents des questions que doit se poser le mouvement social à l'occasion de cette bataille capital-travail » qui se joue notamment avec l'assurance chômage. « Cette lutte qui peut nous paraître étrangère nous concerne tous », explique-t-il en proposant de voir « ce qu'il y a de commun entre les différents combats » et en suggérant : « un état stratège devrait se préoccuper de ça ». 

Dans la salle, Bernard Kudlak, le directeur du Cirque Plume, voit dans les grèves d'intermittents « une menace mortelle pour les compagnies indépendantes ». Il parle du régime comme d'une « subvention » payée par les seuls salariés du privés qu'il propose de la remplacer par l'impôt. « Vous fustigez les intermittents qui se battent », réplique quelqu'un. Mathieu Grégoire argumente en réponse à Kudlak : les cotisations chômage, maladie ou retraite, représentent « la solidarité interprofessionnelle, un deuxième salaire collectif ». Il rétorque que la métallurgie est « elle aussi subventionnée par l'assurance chômage ! » Enfin, il réfute la fiscalisation de la protection sociale car ce serait « un transfert de salaires à payer des employeurs vers les contribuables ». Samuel Churin trouve « problématique que les fonctionnaires ne cotisent pas à l'assurance chômage ». Une position qui revient à se mettre à dos ceux qui défendent la sécurité de l'emploi qui fait partie du statut de la fonction publique issu lui aussi du CNR...

Une auditrice demande « quelle audience a cet imaginaire dans la classe politique ? ». « On est minoritaire », répond Churin, « mais ça avance : le PCF et le PG avancent sur la question, c'est laborieux au NPA, c'est compliqué chez les Verts qui n'ont pas de colonne vertébrale mais le débat est largement avancé, les centristes sont très intéressés... » Edwy Plenel parle d'une « bataille d'hégémonie culturelle » à mener. Avec un « moteur numérique »...  

 

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