En psychiatrie, la culture de l'évaluation et du résultat est un non sens. Elle ne tient pas compte du processus réel du travail, à savoir la compréhension de l'autre, l'expérience et la continuité des soins. Comment quantifier l'aspect relationnel ? Il y a là, une véritable contradiction entre la culture de l'évaluation et l'activité en soin psychiatrique. Le savoir faire et l'écoute sont non formalisables.
Le temps de la rencontre, de la relation, de l'attention et de la confiance ne peut pas être réduit à un acte technique. Sans cette confiance, la relation n’est que partielle, empreinte du doute et de suspicion potentiels. La confiance, c’est la réciprocité : un patient accorde sa confiance au soignant - accepte la démarche clinique - et le soignant donne lui aussi sa confiance au malade - compréhension de la demande de soin et respect. Dans cet engagement mutuel s'inscrivent tous les acteurs de l'équipe, y compris les services techniques et l'administration, ainsi que les cuisines, la buanderie...
La rationalisation transforme les pratiques soignantes
Cette temporalité est liée à notre coeur de métier et elle est mise à mal. Cette même culture de l'évaluation génère une rationalisation des coûts et du temps, qui induit de fait, des transformations imposées dans les pratiques soignantes.
Cette rationalisation du temps se fait au détriment du relationnel et de l'anticipation des risques. L'activité administrative, en augmentation constante, impacte le temps passé avec les patients (ce qui induit moins d'écoute, moins d'anticipation des situations de crise) et favorise une augmentation des situations d'agressions et de souffrances. Dans le cadre de l'accréditation, les procédures d'évaluations sont très formalistes, il s'agit de «coller» aux procédures, ce qui est aliénant. Comment ne pas évoquer la démarche qualité qui induit les notions de redéfinition des responsabilités et les limites du travail des soignants. La perception du travail devient de plus en plus individuelle alors que la philosophie de soin repose sur le collectif.
La rationalisation impacte la durée des séjours qui diminue
Enfin cette culture de l'évaluation et de rationalisation des coûts impacte la durée des séjours qui diminue. Il s'agit ici du « syndrome de la porte tournante » (sortie rapide après admission et retour tout aussi rapide à l'hôpital). Un autre facteur favorisant ce « syndrome de la porte tournante » tient au fait que les patients sont des «laissés pour compte». « Le reste à charge » des patients s’aggrave d’années en années (forfait hospitalier, franchises, ALD limitées…) ne laissant pas la possibilité aux plus démunis d’être pris en charge de façon adapté dans le temps. Ceci a pour conséquence une discontinuité dans le soin quand il n'y a pas rupture complète.
De plus en plus de personnes sont exclues (faute de moyens financiers) d’un dispositif de soin « en direction des lieux de relégation référé à l’urgence sociale » (hébergement d’urgence, CHRS…. et parfois la prison...) avant de revenir à l’hôpital quand ces lieux sont saturés, ce qui est de plus en plus fréquent….
Le retour à l'asile d'autrefois, refuge de tous les exclus
L'hôpital psychiatrique est de nouveau lui aussi, « l'institution de recours à l'urgence et à l'exclusion sociale », ce qui nous ramène à des caractéristiques d'autrefois où l'hôpital psychiatrique (l'asile) était le refuge de tous les exclus de la société. Société qui entre parenthèses ne « présente » la maladie mentale qu’à travers des faits dramatiques, largement médiatisés et favorisants des représentations stigmatisantes, vagues et partielles quand elles ne sont pas fausses. La loi du 05/07/2011 (modalités de prise en charge des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques) est fondée essentiellement sur des questions d'ordre public et l'illusion que la « contrainte » sera thérapeutique.
La relation, le Soin a une fonction (re)socialisante pour le patient ; qu’en est-il aujourd’hui ? Que reste-t-il du sens de notre travail dans nos pratiques ? Que reste-t-il de notre désir de servir dans le service public (valeurs collectives, accueil inconditionnel, morale, éthique, protection sociale...) ? Quel temps donne-t-on aux familles des patients pour partager des informations vitales afin de comprendre ce qui se passe, et prévenir ce qu'il serait préférable qu'il ne se passe plus ? Quel accompagnement offre-t-on aux patients après l'hospitalisation ? L'hôpital est-il réduit à n'être qu'un lieu de « crise » ?
Les soins en flux tendus
Depuis quelques années le soin est à flux tendu faute de moyens humains. Ceci provoque indubitablement de la souffrance au travail et favorise la déshumanisation produite par «l'instrumentalisation» des personnels en variable d’ajustement budgétaire. Cela se traduit par la réduction du nombre de soignants dans les équipes, des postes supprimés, des remplacements d’infirmiers par des aides soignants, des remplacements d’aides soignants par des AMP…. L’hôpital est pensé par nos tutelles comme une entreprise rentable et cela pèse particulièrement sur le secteur psychiatrique, et le temps à prendre pour soigner dans la continuité.
La psychiatrie est avant tout un service public et non pas un marché privé qui reposerait sur« un soin en fonction des moyens ». Il n’y a donc pas d'enjeux concurrentiels pour les financeurs et les notions de rentabilité sont inexistantes. Cependant par le biais de l’ARS, l’Etat applique la politique de la performance et de la rentabilité. Cette politique exclut notre hôpital d'éventuel dispositif prioritaire de financement qui lui permettrait de se développer au lieu de s’appauvrir.