Il est venu mais il n'a pas vu la petite centaine de militants syndicaux rassemblés devant l'entrée principale du parc des expositions Micropolis pour dire tout le mal qu'ils pensent de plusieurs dispositions de la loi qui porte son nom. Les hôtes d'Emmanuel Macron l'ont fait passer par l'une des autres entrées pendant que les quelques policiers fermaient la grille principale, empêchant plusieurs journalistes d'entrer sur le site, du moins les retardant alors qu'il n'y avait aucun risque d'intrusion.
L'ancien ministre est guidé par le président de Micronora Thierry Bisiaux et Jean-Louis Fousseret à travers les stands. Dans leur sillage, les suiveurs sont entrepreneurs, enseignants de l'ENSEMM ou chercheurs de l'institut Femto-ST, élus. « Je viens chaque année, je vais voir mon ancienne entreprise », confie Christine Bouquin qui, avant de présider le conseil départemental du Doubs, était responsable de planification chez Rubis à Charquemont, bourg dont elle a été maire.
« Si Emmanuel Macron peut véhiculer l'image de Micronora, c'est bien », commente Dominique Roy en précisant qu'il est là au titre de la Chambre de commerce et d'industrie du Doubs qu'il préside : « je ne fais pas de politique et on n'a pas de candidat, même si celui-là est éminemment sympathique ».
« Quand on porte 15 kg, on n'en ressent qu'un ou deux par épaule... »
Devant le Zoom, un salon dans le salon qui met l'accent sur le transfert de technologie, Emmanuel Macron se fait entretenir par Michel Froelicher. Concepteur du Zoom, il est vice-président de Micronora, ingénieur des arts et métiers, chercheur au CNRS passé par l'ANVAR... « Montre lui l'exosquelette militaire », souffle Michèle Blondeau, la directrice générale de Micronora.
Aussitôt dit, aussitôt fait et voilà l'ancien banquier d'affaires en conversation avec Serge Grygorowicz. Ancien élève de l'ENSEMM, il a fondé la société RB3D qui a fabriqué ce drôle de sac à dos aux jambes à moteur reliées aux pieds du porteur : « il s'agit d'alléger les charges des fantassins. Quand on porte 15 kg, on n'en ressent qu'un ou deux par épaule... » C'est la DGA, la direction générale de l'armement, qui a mis 2 millions d'euros dès 2009 dans l'entreprise débutante qui emploie aujourd'hui 18 personnes dans l'Yonne. Après trois autres levées de fonds, elle s'apprête à fabriquer l'an prochain des machines à « étaler le bitume sans effort » pour les travaux publics.
D'autres machines doivent aider à charger des camions. « On fabrique des machines d'assistance aux gestes pour l'industrie, on lutte contre les TMS
« Synergies industrie-recherche »
En parcourant les allées, on retombe sur la petite troupe. Emmanuel Macron se fait photographier avec des exposants contents de lui serrer la main, de lui glisser des remarques, des encouragements. Denis Leroux, vice-président du Doubs, n'est pas indifférent à l'action de l'ancien ministre : « il a fait bouger les lignes avec l'Agence du numérique et la mission Très haut débit... » Comme en écho, le président du salon Thierry Bisiaux dit à peu près la même chose dans son discours inaugural : « On ne présente plus Emmanuel Macron qui a donné de vraies preuves d'attachement à l'industrie et au numérique ». Il met l'accent sur « une des rares manifestations industrielles hors de Paris » dont une caractéristique est d'être « davantage qu'un salon, un lieu de synergies entre industrie et recherche ».
Emmanuel Macron prend enfin la parole, signale être passé par l'ancienne usine Lip. Il sait où il est : « l'horlogerie a irrigué l'industrie régionale. Il aurait pu n'y avoir qu'un passé industriel » mais « l'ensemble des acteurs industriels locaux, entrepreneuriaux et salariés ont décidé qu'il fallait continuer à former, investir, innover. Il y a davantage de PME, de TPE, d'ETI qu'il n'y avait à la fermeture de Lip. Cette leçon enseigne qu'il n'y a pas de fatalité, que nous avons la capacité de nous réinventer pour le long terme. Trop souvent, on oppose colbertistes et libéraux. La solution n'est ni chez les uns ni chez les autres. Parfois, il faut l'intervention de l'Etat, mais l'Etat ne peut pas tout, ne doit pas tout, il doit laisser la place à l'initiative... »
« Savoir déroger ponctuellement à l'approche juridique »
Le discours plait à l'auditoire. « Il faut repenser le rôle de la puissance publique, renforcer ses missions, réguler efficacement la concurrence internationale et protéger notre industrie » car il est « légitime de défendre notre tissu industriel ». Par exemple Bourgeois qui souffre de « concurrence déloyale de l'Inde ou de la Chine ». Bourgeois, plus grosse entreprise privée bisontine, est leader de la découpe de tôle silicium...
Macron ne rentre cependant pas dans les détails. Il évoque des têtes de chapitre comme « faire de la protection industrielle en France et en Europe l'axe majeur de la réinvention de l'avenir » en « protégeant les secteurs stratégiques » et en « sachant déroger ponctuellement à l'approche juridique ». Il défend, mais qui peut être contre, « l'intervention publique lucide », notamment à propos d'Alstom où il est, mine de rien, sur la défensive car il veut « dissiper les mensonges : Alstom n'a jamais été abandonné par les pouvoirs publics. J'ai tout fait il y a un an et demi pour éviter quelques licenciements. La fermeture du site [de Belfort] n'est pas conforme aux discussions avec les pouvoirs publics. Mais il faut regarder en face le défi : nous n'avons pas aujourd'hui la même filière ferroviaire qu'hier car elle est en surcapacité. C'est par la commande publique qu'elle se tient, par l'innovation. L'erreur, quand on ne regarde pas la réalité en face, c'est la crise horlogère des années 1970 du fait d'un manque d'investissements ».
« Mieux vaut parfois protéger les personnes plutôt que les emplois »
Celle ci doit viser le « long terme » mais doit être « différente de celle de De Gaulle ou de Pompidou ». Ce faisant, il délivre une critique du projet d'Arnaud Montebourg qu'il ne cite pas. En assurant qu'il faut « réduire les coûts de l'énergie, du travail et des intrants car la perte des marchés entraîne la non reconstitution des marges et empêche d'investir », il va à rebours de la gauche anti-libérale en pointant, comme la droite, le coût du travail. Mais il se contredit partiellement aussitôt en soulignant le « sous investissement et le mal investissement depuis vingt ans », la nécessité d' « investir dans le capital humain, les métiers du luxe et l'indispensable montée en gamme ».
Comment en effet réduire le coût du travail, donc baisser les salaires, tout en investissant dans le capital humain, c'est à dire les augmenter ? Il ne relève pas la contradiction, mais évoque la « leçon de Besançon » — le rebond post crise horlogère — pour en tirer exemple « pour l'industrie française, vous avez fait des PME plutôt que des grands groupes. Je voudrais tirer la leçon de Besançon pour notre pays ». Ce faisant, il voit l'obstacle : « le choix est difficile en période électorale. Parfois on protège mieux ses concitoyens en les accompagnant : mieux vaut parfois protéger les personnes plutôt que les emplois ».
A aucun moment, l'illustre visiteur n'a déploré le fonctionnement du système financier qui oriente des milliards vers la spéculation, notamment via l'évasion fiscale, plutôt que vers l'investissement. Il est difficile de critiquer le sérail dont on est issu...