Elections universitaires : la victoire de Jacques Bahi contestée

Le président sortant de l'université de Franche-Comté devrait retrouver son poste le 5 avril prochain... Mais le tribunal administratif a été saisi d'un recours en annulation de l'élection du conseil d'administration pour vice de procédure lors du dépouillement de votes extérieurs à Besançon. La BAF, largement en tête chez les étudiants, a « instauré un rapport de confiance » avec Jacques Bahi. Factuel publie aussi la synthèse des résultats.

Jacques Bahi lors d'une conférence de presse de présentation de la rentrée universitaire en octobre 2015. Photo DB

La victoire de Jacques Bahi paraît complète aux élections des conseils centraux de l'Université de Franche-Comté. Les listes Réussir ensemble que le président sortant conduisait ont obtenu 40 des 99 sièges en jeu dans les trois instances renouvelées le 8 mars dernier : conseil d'administration, commission de la recherche, commission de la formation et de la vie universitaire.

La seconde force est la BAF qui fédère les corpos étudiantes, traditionnellement bien implantées en médecine et droit. Une nouvelle corpo est récemment née en fac de Lettres. Avec 17 élus et les deux tiers des votes étudiants, elle perd un peu de terrain, mais supplante les syndicats étudiants. Elle reste loin devant l'AMEB-Solidaires-Étudiants qui devance, dans l'ordre, l'UNEF, Alternative étudiante et l'UNI. Reste qu'une fois encore, les étudiants ont voté avec leurs pieds : 11% de participation. « C'est un vrai problème d'intéresser les étudiants aux enjeux de ces élections », indique David Roth, étudiant en médecine et attaché de presse de la BAF. « C'est une mascarade, les élections n'ont pas été valorisées et les étudiants sont sans poids », dit Correntin Lahu, en thèse d'histoire et militant de l'AMEB-Solidaires-Étudiants.

Avec douze élus contre un seul auparavant, Solidaires s'installe comme principale force d'opposition institutionnelle, voire de contestation de l'ordre universitaire. Présent dans les trois instances, le syndicat radical fait une percée à la commission de la recherche (ex conseil scientifique) où il aura quatre enseignants et deux doctorants. Il a devancé Ensemble cultivons notre diversité (6 sièges dans deux instances) qui s'est allié avec Alternative réfléchir agir transmettre (2 sièges au seul conseil d'administration). Ces trois formations devraient constituer le socle du blog d'opposition.

Lors de l'élection du président, le 5 avril par le conseil d'administration, Jacques Bahi pourra compter sur ses 10 voix, les 4 de la BAF, vraisemblablement celle de la CFDT, soit 15 sur 28. Il se murmure que l'unique voix du Snesup pourrait lui être acquise, du moins non hostile.

Le conseil d'administration désigne entre outre cinq personnalités dont deux chefs d'entreprise, un représentant des syndicats de salariés, un proviseur... Les candidatures sont closes depuis le 15 mars.
Le conseil académique siégeant en plénière (avec ses deux commissions) est compétent en matière disciplinaire, pour le recrutement ; il est consulté et peut émettre des vœux sur les orientations, les qualifications, le contrat d'établissement ; il traite du handicap, des libertés...

Principal syndicat du supérieur au plan national, le Snesup prend une claque et n'a que cinq élus. Outre qu'il n'a présenté de liste, à la commission de la recherche, qu'en fac de lettres et pas dans les autres composantes, il a vu deux de ses listes déclarées irrecevables par le service juridique de l'université. Le Snesup n'a pas pu se présenter au conseil d'administration dans le collège des professeurs au motif que la liste est arrivée un jour en retard et pas en recommandé. Le hic, c'est que le linguiste Mohamed Embarki, qui a déposé cette liste, était avec ses camarades la veille pour le dépôt des autres listes du Snesup...

L'article D. 719-36 du code de l'éducation

C'est peu dire que c'est contrariant pour le Snesup, en pleine phase de restructuration après l'explosion de sa section académique faisant suite à l'arrivée à la présidence de l'université d'un des siens, Claude Condé, en 2006. Toujours traversé par des dissensions, le Snesup a présenté une liste où figurait Catherine Comte-Deleuze, maître de conférence en droit public à l'IUT info-com de Besançon, mais aussi conseillère municipale et régionale UDI. Cela a fait râler plus d'un adhérent de ce syndicat clairement de gauche et membre de la FSU.

En outre, le recours préparé par Mohamed Embarki n'a pas été confirmé par le syndicat. Pourtant, l'intéressé pense qu'il y avait matière, article D. 719-36 du code de l'éducation à l'appui : « L'inobservation des dispositions contenues dans les articles D. 719-22 à D. 719-36 n'entraîne la nullité des opérations électorales qu'autant qu'il est établi qu'elle a eu pour but ou conséquence de porter atteinte à la sincérité du scrutin ».

Or, c'est sur la base des articles  D. 719-22 et D. 719-24 que la liste a été empêchée de concourir et Mohamed Embarki y voit un bon prétexte pour l'écarter : « la jurisprudence dit que l'absence de recommandé n'est pas un motif de refus », d'autant qu'ils « disent qu'ils ont reçu la liste... Ça nous a privés au moins d'un siège ». Mais un siège pour quoi faire quand l'unique élu au CA, Oussama Barrakat, qui n'a pas retourné notre appel, pourrait, selon de nombreux observateurs,  apporter son soutien à Jacques Bahi pour l'élection à la présidence... La remise à plat du fonctionnement entre militants prévue pour les jours et semaines qui viennent s'annonce vitale.

Le Snesup n'a pas pu non plus concourir à la Commission de la formation et de la vie universitaire dans le collège des maîtres de conférence au motif que la liste ne comprenait pas des représentants des quatre secteurs comme l'exige le règlement intérieur, mais seulement trois : le médecin biologiste Catherine Llanes, bien qu'habilitée à diriger des recherches, enseigne en sciences et pas en médecine qu'elle ne peut donc pas représenter...

L'irrecevabilité de cette liste est encore moins acceptable aux yeux de Mohamed Embarki, comme à ceux de Michel Savaric, de SUD-Éducation. « L'université de Franche-Comté a une règle bien plus contraignante que la loi pour les candidatures au CFVU », explique ce dernier. « Les quatre premiers de chaque liste doivent représenter quatre composantes différentes. Le responsable juridique a argumenté en disant que les statuts avaient été amendés sous la présidence de Claude Condé, mais il se mettait alors en conformité avec la LRU (loi Pécresse). Or, depuis, la loi Fioraso dit qu'il ne faut plus quatre mais au moins trois secteurs représentés ».

Dans un mail de campagne, Daniel Gilbert, professeur de STGI à Montbéliard et chercheur au labo Chrono-Environnement, tête de liste d'Ensemble cultivons notre diversité, déplorait ainsi le 3 mars la rigidité des statuts : « pour la première fois à l'université de Franche-Comté et probablement pour la première fois dans une université française, il n'y aura qu'une seule liste CFVU pour les corps A et B. Nous n'avons en effet pas pu construire de listes concurrentes à celles portées par l'actuel président, comme c'est aussi le cas pour les organisations SUD et Snesup. La règle, fixée en interne à l'UFC, précise que ces listes doivent comporter des représentants des 4 domaines, et aucun d'entre nous n'a pu parvenir à remplir cette condition obligatoire, faute de candidats dans le domaine santé. Quelles qu'en soient les raisons : choix personnels, désintérêt, pressions explicites ou implicites, cette situation n'est pas tolérable. Si l'excès de démocratie n'a jamais fait de mal à personne, la limitation de l'expression collective a toujours eu des conséquences dramatiques ».

La vieille coutume des urnes passant la nuit à la présidence...

Ces chamailleries juridiques ne devraient pas porter à conséquence car elles n'entraînent pas de recours. Mais une troisième irrégularité présumée a, elle, bel et bien fait l'objet d'un recours en annulation de l'élection du conseil d'administration. Une « vieille coutume » veut que les scrutins effectués dans des établissements éloignés ne soient pas dépouillés sur place immédiatement après le vote, mais que les urnes soient transportées à la présidence où elles passent la nuit avant d'être dépouillées le lendemain, raconte Michel Savaric.

A cette curieuse façon de procéder, s'ajoute un élément qui pourrait faire annuler les opérations de vote de l'IUT de Belfort où une grande enveloppe en plastique contenant l'ensemble des bulletins ne comporte pas l'obligatoire signature d'un assesseur. Une autre version dit que la signature ne figure pas sur le bon côté de l'enveloppe...

Quoi qu'il en soit, Benoît Pigé, professeur en sciences de gestion et candidat à la présidence de l'UFC, et Gérard Dupuis, maître de conférence en mécanique, tous deux candidats au conseil d'administration sur les listes communes Alternative - Ensemble cultivons notre diversité, ont saisi le tribunal administratif. Ils contestent une procédure « ne permettant pas un déroulement satisfaisant des opérations de dépouillement » et soulèvent un « vice de procédure lors du dépouillement ». Ils indiquent notamment qu' « aucune procédure écrite n’a été prévue pour garantir que les enveloppes en plastique, conservées à la Maison de l’université ou dans des endroits indéterminés pour les autres villes de l’académie, n’ont pas fait l’objet de fraude électorale ».

Tout cela dessine une drôle d'ambiance que plombent des accusations de menaces sur des personnes qui oseraient se présenter contre les listes du président : « les facs de droit et médecine ont passé un accord pour que personne n'aille sur les autres listes. On avait un candidat en médecine qui s'est désisté à la dernière minute à cause de pressions sur la suite de sa carrière », dit Mohamed Embarki. « Des gens initialement d'accord pour être candidat ne l'étaient plus », constate André Didierjean, professeur de psychologie cognitive, élu Snesup à la Commission de la recherche. « La fac de médecine est verrouillée et personne ne peut se présenter », dit une historienne.

Retour à la CNU sur la PEDR

Sur le fond, l'affaire de la PEDRprime d'encadrement doctoral et de recherche a laissé quelques traces. Jusqu'en janvier, l'université comtoise était parmi les rares à avoir préféré confier à des experts désignés secrètement, rétribués par l'université, le soin d'évaluer qui pouvait la toucher, plutôt que de laisser cette tâche aux experts élus du conseil national des universités dont c'est justement la mission. Du coup, le soupçon de conflit d'intérêt n'était pas loin. 

Depuis, les batailles menées dans les instances et les recours administratifs de SUD-Éducation ont fait bouger les choses. « On a eu une liste partielle des bénéficiaires de la PEDR et la liste des experts qu'on a mises sur l'intranet », explique Michel Savaric. « Le président a demandé le retour à l'expertise par la CNU, les élections l'ont poussé à le faire », dit Mohamed Emarki que Jacques Bahi avait nommé chargé de mission. Michel Savaric promet : « notre prochaine bataille sera le remboursement des indemnités : comme on est élus à la commission de recherche, on en reparlera ».

C'est sûr que ces affaires polluent la belle histoire du succès de l'I-site, le projet largement doté porté par la COMUE Bourgogne-Franche-Comté, mais critiqué par le Snesup et la CGT. Elles sont de nature à noircir les chantiers de modernisation dont la prochaine ouverture de la Maison des Sciences de l'Homme et de l'Environnement. Elles empêchent aussi le débat sur les collégiums portés par Jacques Bahi. Et plus globalement sur la place que doit jouer l'université dans la société. Car les caisses publiques asséchées par les politiques d'austérité renvoient aux calendes grecques le projet de BUBM, la bibliothèque universitaire et municipale que Besançon aimerait voir sur le site de l'ancien hôpital Saint-Jacques. 

A l'heure où plus de la moitié des étudiants travaillent, et où 400 d'entre eux ont défilé à Besançon ce 24 mars contre la loi El Khomri, les questions qui interrogent sur le sens des études ne manquent pas. 

ECND : Ensemble, cultivons notre diversité.
SNPTES : Syndicat national des personnels techniques, scientifiques et des bibliothèques de l'enseignement supérieur, de la recherche et de la culture
A noter : la grande différence entre les votants et les exprimés chez les professeurs d'université et surtout chez les maîtres de conférences où la liste Snesup-FSU a été invalidée.

 

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