EELV et l’agriculture : du bio et du paysan

Partageant largement les analyses de la Confédération paysanne, les Verts s'inspirent aussi d'une approche critique qui dessine les grandes lignes d'une utopie qu'ils estiment incontournable. Mais de là à avoir un vrai programme régional pour l'agriculture, il y a encore une réflexion à mener. D'où une réunion électorale commençant par la conférence de Paul Polis, vétérinaire homéopathe...

Paul Polis : « quel bonheur de travailler avec des animaux d'élevage : vaches, poules, canards...! »

Les écologistes ont-ils un projet régional pour l'agriculture ? Ils n'en ont pas donné la franche impression, le 30 octobre à Salins-les-Bains, lors d'une réunion électorale pourtant intitulée « quelle agriculture demain ? ». Certes, la politique agricole est essentiellement financée par l'Union européenne, mais les régions interviennent, ne serait-ce par leurs compétences économie et formation. La Franche-Comté, dirigée depuis 2004 par une majorité rose-verte, encourage ainsi l'exportation des fromages, vins et salaisons labélisés, entend promouvoir l'alimentation de proximité en organisant l'offre et en diversifiant les productions régionales, ou encore en aidant à la certification des conversions en agriculture biologique (voir ici sur le site de la région). Les interventions relèvent donc de l'action économique qui touche tous les secteurs, mais également d'actions sur l'énergie ou l'eau qui, bien que non fléchées, concernent souvent l'agriculture.

Les élus Verts n'ont pas tout voté lors du mandat qui s'achève. Ils marqueront encore, ce jeudi 5 novembre pour la dernière séance, leur opposition à une subvention sécheresse de 450.000 euros. « Nous demandons que ces moyens soient mis sur l'expérimentation afin de préparer l'agriculture au changement climatique, car la sécheresse sera récurrente. Le tourisme ne demande pas de subventions après un été pourri ou un hiver sans neige », explique Marc Borneck, le président du groupe EELV qui a choisi de ne pas briguer un troisième mandat. Expérimenter, c'est par exemple poser « la question de quel maïs planter en Haute-Saône. Dans le bassin de l'Adour, un céréalier a planté du maïs de sa coopérative et un maïs issu de semences paysannes : le premier n'a rien donné à cause du manque d'eau, le second a seulement été un peu moins productif... »

Le risque de sortie du bio

S'inspirant de la Confédération paysanne, les élus écologistes ont tenté d' « alerter sur la taille et la transmission des exploitations : le problème, c'est qu'elles grossissent et qu'on ne résout jamais les problèmes. Il faudrait moins subir les marchés et les banques, notamment le Crédit Agricole... » Ces problématiques ont été abordées à Salins, mais davantage dans leur dimension bilan que dans l'aspect programmatique. « Notre programme est tourné vers le développement de l'agriculture biologique, l'aide à l'installation en bio, en maraîchage comme en élevage », résume Brigitte Monnet, tête de liste dans le Jura après un premier mandat. L'ennui, c'est qu'il y a « davantage d'aides européennes à la conversion en bio qu'au maintien en bio », explique Christelle Bobillier, numéro 7 sur la liste du Jura. Travaillant à Interbio, elle constate l'arrivée d'une vague de conversions bio en lait en même temps que la consommation en un an de l'enveloppe budgétaire prévue pour cinq ans. Du coup, elle pointe un « risque de sortie du bio ».

En fait, la question « quelle agriculture demain ? » cache celle de l'idéal écolo, voire son utopie. Elle se construit sur la critique du réel, d'où le témoignage initial, apporté sous forme de conférence par le vétérinaire homéopathe Paul Polis. Il met d'emblée la sensibilité au coeur de son approche : « quel bonheur de travailler avec des animaux d'élevage : vaches, poules, canards...! » Il multiplie les angles d'analyse, se fait sociologue : « l'agriculture est le reflet d'une société qui promeut l'agriculture intensive, moderne, industrielle ». Il est aussi linguiste, interrogeant le sens des mots : « je refuse de de travailler dans une exploitation où il y a toujours des exploiteurs et des exploités : je travaille dans une ferme, un élevage ». Il est philosophe et historien : « la chosification des animaux est parallèle à la disparition de la domestication ».

La « trahison » du contrat de domestication

La disparition de la domestication ? Vraiment ? Il explique : « Seules une quinzaine d'espèces l'ont acceptée, ne l'ont pas subie. C'était un contrat dans lequel l'animal offrait son lait, sa viande, sa progéniture, son fumier... contre des bons soins et une protection. Ce contrat a été trahi car les animaux sont exploités à mort ». Dans des fermes de plus en plus grandes « où la maladie ne cesse de faire des progrès : en 2010, 15% des veaux meurent avant trois semaines, c'est plus d'un million par an... ». Et cela malgré la consommation accrue de médicaments, l'usage de pesticides, « produits de synthèse, non métabolisés par les organismes et l'environnement ». Il cite Valensole (Alpes de Haute Provence) où il a fallu fermer un captage d'eau potable à 480 m de profondeur, atteint par les pesticides après 40 ans de traitements du lavandin et du blé... (voir ici une étude de l'Agence de l'eau RMC).

Pour Paul Polis, à force d'interventions génétiques, mais aussi de privation du lien générationnel et donc d'éducation, beaucoup d'animaux sont devenus « des zombies » : « le veau est retiré de suite à sa mère, il n'apprend rien de la vache et du troupeau, grandit avec d'autres veaux dans la violence... Les jeunes femelles sont mal accueillies dans les troupeaux après leur vêlage, car une vieille doit partir. Le lien est rompu avec l'éleveur, certains en viennent à avoir peur des vaches et leur coupent les cornes... » Le vétérinaire compare ensuite les laits : « il y a une grande différence entre celui d'une prim'holstein à 10 ou 12.000 litres par an et une taurine à 4 ou 5000 litres. La grande différence, c'est la matière grasse et les protéines dont la caséine qui a été remplacée par des protéines qui passent la barrière intestinale des humains et sont allergisantes... ». Il cogne aussi sur le lait UHT qu'il estime « à jeter car il fait éclater les cellules du lait ».

« Les 4 millions de prim'holstein ont la même diversité génétique qu'un troupeau de 36 bêtes »

Le vétérinaire critique la technique de ramassage du lait : « avant, on mettait les bidons dans la fontaine à environ 11°. Maintenant, on utilise des tanks - le mot fait peur - où le lait descend à 4°, ce qui tue les bactéries lactiques mais pas les les toxiques, ce qui rend la pasteurisation obligatoire... » L'industrialisation, c'est aussi une régression dans la sélection bovine : « Avant, on sélectionnait pour des raisons complexes, beauté, docilité, etc. Jusqu'à ce que les docteurs Folamour de l'INRA sélectionnent en faisant de la consanguinité. Avant, un taureau avait 100 filles, aujourd'hui, en holstein, il peut en avoir 50 à 60.000... Les 4 millions de vaches prim'holstein françaises ont la même diversité génétique qu'un troupeau de 36 bêtes... Avant, quand survenait une maladie, 10% mourraient, 30% étaient malades et 60% s'en sortaient bien. Aujourd'hui, 80% du troupeau est par terre, et on y répond par un délire de contrôle et de traçabilité... »

Tout cela, assure Paul Polis, génère une « grande souffrance chez les éleveurs qui ne travaillent pas comme ils le voudraient, ne vivent plus l'attachement réciproque avec l'animal ». Lors du colloque La Croisée des invisibles, en septembre dernier, un éleveur racontait avoir pleuré dans son étable après le départ d'une vieille vache pour l'abattoir. Il disait n'en avoir jamais parlé à personne. C'est alors que plusieurs de ses collègues ont alors dit avoir vécu la même chose... D'où l'importance de l'expérience sensible. Combinée à la connaissance historique et à l'esprit critique, elle fait dire à Paul Polis que « ce qui arrive aux animaux nous arrive après, sauf les camps de concentration pour lesquels ça a été le contraire ».

« Les jeunes vétérinaires savent lire une formule chimique, mais plus regarder un animal »

Dans le public, on réagit vite : « lait de l'AOP comté est ramassé chaque jour à 11° », dit un ancien de la fédération des coopératives laitières qui défend le lait cru : « la lystéria a du mal à se développer dans un lait qui a sa flore naturelle ». Jean-Paul, éleveur à Revigny depuis 40 ans dans une « toute petite ferme », abonde : « on a abandonné le tank pour refroidir le lait dans des sceaux à 10°. On fait nos fromages et la qualité a augmenté. Le problème, c'est que les jeunes ne veulent pas travailler comme ça, ils refusent l'idée des sceaux qui nous permettent de trier. Le vrai problème, c'est que les techniciens bio ne viennent pas voir comment on travaille... » Paul Polis est convaincu : « l'agriculture bio n'est pas qu'économique, mais demande de l'apprentissage, des moyens pour acquérir les connaissances... On n'a pas accès à l'enseignement officiel. Le conformisme est très fort en agriculture, des convertis en bio sont parfois exclus des corvées familiales... Les jeunes vétérinaires savent lire une formule chimique, mais plus regarder un animal ».

Pour Véronique Guislain, responsable EELV Lons-Poligny, son parti doit élargir sa réponse politique : « au bio, il faut ajouter l'agriculture paysanne, la proximité, l'alimentation entre voisins, les bonnes pratiques. Comment renverse la vapeur ? La réponse est peut-être apportée par les citoyens qui veulent collaborer avec ceux qui les nourrissent. Il faut aider les personnes à faible revenu à accéder au bio ». La tête de liste, Brigitte Monnet, est « d'accord à 100% », mais constate : « les aides européennes ne vont pas dans notre sens. La région doit arrêter de compléter les subventions européennes à l'agriculture intensive ». Arnaud Jacquet, huitième sur la liste, craint le changement d'échelle régionale : « On pensait être protégé par l'AOP comté, on va avoir davantage de grandes plaines céréalières ».

« La retraite agricole est un problème fondamental »

Paul Polis a bien vu les « tiraillements » au sein de la filière comté, ceux qui ont « plus de 100 vaches, ceux qui demandent des robots de traite » pour l'instant proscrits par le cahier des charges. Il évoque une « baisse de qualité du lait » concomitante de l'augmentation de la consommation de céréales par les vaches : « dans certaines fermes du Haut-Doubs, c'est la catastrophe, des vaches ont des diarrhées car elles mangent plus de céréales que prévu... Il faut défendre ce qui existe [le règlement d'AOP comté] car il est en danger ».

Véronique Guislain propose un autre axe à une politique agricole écolo, le lien entre foncier et social : « la retraite agricole est un problème fondamental. Aujourd'hui, les paysans capitalisent pour se payer une retraite ». Les propriétaires vendent leurs terres aux plus offrant quand la petite association Terre de Liens, où elle milite, propose un autre modèle : « la location pour transmission de génération en génération avec un bail rural environnemental ».

On ne parle pas encore de réforme agraire comme en Amérique latine, mais dans l'esprit, on n'en est pas loin...

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !