Disparition de Viviane Isambert-Jamati, pionnière de la sociologie

Enseignante-chercheuse à la Sorbonne jusqu'en 1990, elle s'est éteinte le mois dernier à 95 ans. Ancienne résistante, elle fut l'une des premières sociologues à s'intéresser aux femmes au travail et aux rapports sociaux de sexe, avant de s'orienter vers les sciences de l'éducation dont elle devint une sommité reconnue. Elle a travaillé au début de sa carrière au CNRS à Besançon, publiant notamment une étude sur les travailleurs de l'horlogerie.

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La sociologue Viviane Isambert-Jamati est décédée le 19 novembre en région parisienne à quelques jours de son 95e anniversaire. Elle fit l'essentiel de sa vie professionnelle comme chercheuse au CNRS (1947-1970), puis enseignante-chercheuse à Paris, notamment à la Sorbonne où elle dirigea le département de sciences de l'éducation (1970-1990) 

Sa carrière au CNRS passa par Besançon, lui donnant notamment l'occasion d'écrire en 1955 un petit livre intitulé L'Industrie horlogère de la région de Besançon. L'étude est conduite sur l'observation des postes de travail et des entretiens avec des ouvriers et des syndicalistes. L'année suivante, elle signe avec Madeleine Guilbert, sociologue pionnière des recherches sur le travail des femmes, un temps chargée de mission au ministère du Travail alors tenu par le fondateur de la Sécurité sociale Ambroise Croizat, Travail féminin et travail à domicile, enquête sur le travail à domicile de la confection féminine dans la région parisienne. Toutes deux sont les premières sociologues à travailler sur les rapports sociaux entre les sexes.

« J’étais préoccupée par le constat selon lequel les femmes se soumettaient davantage que les hommes aux exigences du patronat, en une période où le syndicalisme était pourtant puissant », explique Viviane Isambert-Jamati en 2003 dans un entretien à Carrefour de l'Education. « Bien sûr elles avaient moins de temps que les hommes pour militer dans un syndicat ; elles étaient aussi moins qualifiées, se trouvaient devant un éventail d’emplois plus limité, et travaillaient plus souvent dans de petites entreprises… Mais je voulais aussi questionner la fameuse ''éducation à la soumission'' dont les milieux plus ou moins féministes parlaient déjà.... »

L'université la recrute en 1970 pour enseigner la sociologie de l'éducation, peu après sa thèse qui sera publiée la même année aux Presses universitaires de France sous le titre Crises de l'enseignement, crises des sociétés, recherche saluée pour sa méthode par la profession, portant sur l'évolution, entre 1860 et 1965, des valeurs portées par les discours de remise de prix… Le grand historien natif de Lons-le-Saunier Antoine Prost saluera la recherche comme très originale, permettant notamment de « savoir comment les hommes qui assurent l'enseignement secondaire français se sont représenté l'institution dont ils étaient les agents ».

Elle décèle notamment, analyse son collègue Jean-René Tréanton dans la Revue française de sociologie l'augmentation de « la prise en compte des différences individuelles, de la morale hédoniste, ou encore l'éloge des grands hommes » ; et a contrario « la régression des "valeurs suprêmes", de l'exemplarité morale des enseignants, de la morale individuelle de perfection, de l'exhortation au travail ou encore de l'idée que les lycées n'ont pas à préparer à un métier ». L'ouvrage doit faire l'objet d'une prochaine réédition aux Presses universitaires de Lyon, avec une post-face de Roger Establet, co-auteur avec Christian Baudelot de plusieurs ouvrages très critiques sur l'école française (voir notamment ici et ).

Etudiante de Maurice Halbwachs qui mourra en déportation, engagée dans la Résistance dès 1943 dans le réseau de renseignements Périclès qui changea plusieurs fois de nom, Viviane Isambert-Jamati a ensuite soutenu les luttes des peuples colonisés réclamant l'indépendance, allant jusqu'à protéger des soutiens du FLN algérien. Attachée au Moyen-Orient, petite-fille d'un immigré syrien, elle soutenait la revendication d'un état palestinien.

Elle aura dirigé 125 thèses dont un grand nombre sont l'œuvre d'étudiants étrangers, d'Europe et d'Amérique latine, du Maghreb et du Proche-Orient. Elle fut l'une des premières à analyser « l'échec scolaire », dans les années 1960, comme un produit de la massification de l'enseignement secondaire. Elle argumentait aussi pour sa discipline, souvent injustement considérée, voire combattue. Elle semblait ainsi anticiper une critique formulée il y a quelques années par Manuel Valls voyant en la sociologie une fabrique de justifications et d'excuses : « A mes yeux la sociologie ne vise pas d’abord la remédiation sociale. Sa tâche est d’expliquer les phénomènes sociaux, de saisir comment ils se rattachent les uns aux autres, donc de faire avancer une compréhension globale des sociétés. Si, avec nos cadres de pensée et nos méthodes, nous faisons progresser la connaissance des faits sociaux d’éducation, à nous de faire connaître nos interprétations, de les mettre à la disposition des agents de l’éducation, qui peut-être s’en serviront pour remédier. Cela ne veut pas dire qu’à titre de citoyens nous soyons neutres, mais je crois vraiment que des résultats de recherches sociologiques ne dictent jamais une solution et une seule. »

Viviane Isambert-Jamati était l'épouse du sociologue des religions François-André Isambert, rencontré sur les bancs de la faculté de philosophie en 1943, décédé en 2017, qui a également enseigné à Besançon dans les années 1950.

 

 

 

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