Disparition de Bernadette Curty, inlassable militante bisontine du droit au logement

Elle fut dès 1968 à l'origine de l'Amicale des locataires de Planoise qui devint la section locale de la Confédération nationale du logement. Soucieuse de l'action collective, elle commença par défendre l'implantation de cabines téléphoniques ou d'une pharmacie... Adhérente de la CGT jusqu'au bout, elle obtint 24% à Planoise aux élections cantonales de 1976 où elle fut candidate du PCF qu'elle quitta l'année suivante... 

bernadettec

Inlassable militante du droit au logement, Bernadette Curty est décédée mardi 31 mars à l'âge de 79 ans. Elle avait été à l'origine de l'Amicale des locataires de Planoise dès son installation dans le quartier à l'été 1968, en lien la CNL qu'elle a localement présidée à Besançon et dont elle était encore présidente d'honneur.

Sa vie commence en 1940 à Saint-Rémy, dans la banlieue de Chalon-sur-Saône. Fille d'un cheminot communiste à qui l'engagement dans la Résistance valut 18 mois d'emprisonnement au camp de Citeaux et des tortures, elle apprend de lui quelques préceptes au coeur de son engagement : « ce qu'on gagne, c'est par le travail » ou encore « on ne dénonce pas, on ne ment pas, on ne vole pas... » Sa mère étant catholique, Bernadette fréquente le caté et attend, en vain, une intervention divine pour faire cesser sa quinte de toux lors de sa communion... 

Elle suit l'école ménagère à Chalon, devient apprentie chez un tailleur, obtient son CAP de culotière avec la mention très bien, ce qui lui ouvre le droit à un salaire que refuse de payer son patron. Elle adhère alors aux Jeunesses communistes et rentre à la manufacture de pantalons de Chalon, puis trois ans plus tard aux Compteurs Gardy où elle gagne mieux sa vie. Elle adhère à la CGT le jour de son embauche.

« La contraception est arrivée ! »

Elle rencontrera son mari, Claude, lors d'une session de l'école élémentaire du PCF en région parisienne. Ils se marient civilement en 1965 et s'installent en haut de la rue Battant, au numéro 103, dans une pièce unique, avant de partir pour la rue Sancey, dans le quartier de la Grette, puis pour un « appartement neuf, vaste et lumineux » de Planoise qui vient de sortir de terre. Entre temps, trois enfants sont nés et Bernadette trouve que c'est assez : « la contraception est arrivée ! », dit-elle aux rédacteurs du bulletin des Amis de la Maison du peuple qui lui consacre une large place dans son numéro de septembre 2019 consacré aux luttes des femmes.

C'est à Planoise, où elle vivra jusqu'en 2010, que son engagement militant au côté des locataires prendra toute sa mesure. Recrutant en faisant du porte à porte, elle réunit vite 250 adhérents. Ses premières batailles consistaient à revendiquer l'installation de cabines téléphoniques, de l'éclairage public, d'une supérette, d'une pharmacie, des bus plus fréquents, des passages aménagés pour les enfants sortant de l'école dans un quartier en chantier permanent les premières années, et même défendre un noyer menacé d'être abattu et qui existe encore ! Elle participa à la lutte contre le surloyer décidé par le gouvernement gaulliste pour « éviter le développement d'un quartier de pauvres ».

Bernadette Curty le reconnaissait, elle était « bavarde », mais elle « écoutait beaucoup », témoigne Alain Genot qui lui succéda à la présidence de la CNL. « Il était toujours possible d'être en débat avec elle quand il y avait des désaccords, elle était très ouverte », ajoute-t-il. Entrée dans l'action sociale par la politique, l'intéressée faisait la différence entre le militantisme syndical ou politique et celui pour le logement pour lesquelles « les actions doivent être menées avec une forte adhésion des locataires de tous horizons : il faut que les luttes soient gagnables, donc pragmatiques ».

S'appuyer sur le « vivre ensemble »

Au fil du temps et de l'évolution du quartier, des politiques d'urbanisme, de la paupérisation, les problèmes ont changé. Les luttes ont commencé à porter sur le poids des charges locatives sur lesquelles il y eut des grèves, l'arrivée de la télé par câble, les réhabilitations suivies d'augmentations de loyer, les expulsions... Toujours Bernadette Curty s'activait pour que les actions soient collectives, s'appuyant sur le « vivre ensemble ».

« Elle m'a fait découvrir le reste du monde », souligne Alain Genot, jusque là syndicaliste enseignant, à qui elle avait demandé de se présenter sur la liste de la CNL pour les élections des représentants des locataires. « Ça m'a fait prendre du recul par rapport à mon activité syndicale : les locataires HLM, c'est les 20% les plus pauvres. C'est une autre relation sociale que les carrières ou les promotions des collègues. Ça met les choses en relief, ça m'a beaucoup appris... »

Il se souvient d'un coup de colère de Bernadette Curty avec qui il s'était rendu à la fédération nationale de la CNL : « Nous avions parlé de notre campagne annuelle contre les expulsions. La responsable fédérale avait répondu que des locataires étaient de mauvaise foi et qu'il fallait bien les expulser ! On n'y a plus remis les pieds... » 

Une autre anecdote lui porta un coup au moral. Une bande de jeunes, parmi lesquels quelques dealers, avait investi le hall de son immeuble, incommodant bruyamment les habitants. Mme Curty et ses voisins ne s'étaient pas démontés et avaient décidé d'occuper quelques temps leur hall, une fois avec le maire et le commissaire de police, pour ne pas le laisser aux gêneurs. S'en suivirent des menaces sur les enfants des militants, et un jour une inscription sur le mur du hall : « Mort à Mme Curty ». Peu après, elle quittait Planoise pour s'installer rue d'Arène, dans le quartier Battant.

« La misère peut nourrir la délinquance... »

L'an dernier, elle revenait ainsi sur l'épisode pour les Amis de La Maison du peuple : « Pourquoi ça s'est dégradé comme ça ? C'est le chômage et ses conséquences. La misère peut nourrir la délinquance... Alors, à 70 ans, après avoir passé 42 ans dans mon quartier à Planoise, j'ai déménagé en 2010. Plus assez de force physique et de soutiens en nombre des locataires pour continuer à me battre... J'ai quitté Planoise, aussi, à cause du bruit : les rodéos de scooters, les hurlements à toute heure de la nuit, la musique à tue-tête chez certains voisins... »

Le temps était loin de cette année 1976 où elle fut candidate du PCF aux élections cantonales et obtint 24% sur les bureaux de vote de Planoise. L'année suivante, après avoir des années durant vendu L'Humanité à la criée, elle quittait le parti sur deux divergences. Une locale car elle avait été évincée par la section de Besançon de la liste d'union de la gauche aux élections municipales, l'autre nationale : elle n'a pas accepté que Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, se prononce en faveur de la dissuasion nucléaire française : « Depuis la Guerre d'Algérie, j'avais ardemment participé, aux côtés du Mouvement de la Paix, à toutes les manifestations anti-guerres. Je n'acceptais pas qu'un dirigeant prenne une telle décision sans consulter les adhérents ! »

Son long entretien aux Amis de la Maison du peuple contient une sorte de testament militant : « J'ai adhéré à la CGT à 19 ans, j'y suis toujours à bientôt 80... J'étais adhérente en tant que salariée du privée. J'ai travaillé 22 ans au comité régional de la CGT en tant que secrétaire administrative.... C'est à travers les témoignages des personnes qui s'adressaient à la CGT que j'ai vu de près toute la société se déglinguer. J'ai été témoin de la destruction humaine de la société... Mes engagements procédaient d'une même conscience : syndicat, amicale des locataires, parti communiste, militante au grand jour... » Invitée à parler de l'actualité (août 2019), elle expliquait être « très contente de l'existence du mouvement des gilets jaunes. Je le soutiens et je souhaite qu'il continue... Ce que je ne comprends pas, c'est que ça ne bouge pas plus. Mais le feu de l'espoir n'est pas éteint. »

Ses obsèques seront célébrées samedi 4 avril dans l'intimité. Un hommage lui sera rendu après le confinement lors d'une cérémonie initiée par la CGT et la CNL.

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !