Dheepan : la libération d’un homme par la violence

Malaise : il n'y a pas de place pour la pensée dans le dernier film de Jacques Audiard. « Il n’y a pas de déclaration politique dans mon film, je suis lâche avec ça », avait-il déclaré à Cannes où il a reçu la Palme d'or...

dheepan

Chaque réalisateur a son propre rapport avec le monde et le cinéma et c’est ce qui fait la grande diversité des œuvres ; Jacques Audiard s’est fait remarquer jusqu’à présent par son œuvre illustrée surtout par Sur tes lèvres, Le Prophète et De Rouille et d’os.

Le vrai et le faux

Avec Dheepan il change de cap et de regard. Le film commence au Sri Lanka, début 2009, après la défaite des tigres de l’Eelam. Pour échapper à la répression consécutive à la guerre dans ce pays, Dheepan un combattant, se faufile parmi les civils dans un camp de réfugiés. Là, il se fait passer pour un père de famille en associant à sa fuite, une femme et une petite fille orpheline. Pris en charge par l’Ofpra, ils arrivent dans une cité française.

Dès le départ, le film pose certaines questions : comment des individus qui n’ont aucun lien de sang peuvent-ils cohabiter ensemble ? Comment dans un cadre différent et un autre pays, un faux couple et un enfant adopté peuvent-il construire une relation familiale ? Autrement dit, comment construire une vraie histoire avec du faux ? Une question de vie, et de cinéma puisqu’il s’agit ici de jouer avec le réel et l’inventé.

Dans cette première partie, le film fonctionne en s’approchant délicatement de l’apprentissage difficile d’une vie commune ; l’enfant va à l’école, la mère est au service d’un habitant handicapé pour 500 euros et le père gardien d’un immeuble. En empathie avec ses personnages, la caméra d’Audiard fixe la lente naissance des liens. Au-delà des contraintes et de l’inconnu, quelque chose du vivre ensemble va naître dans la complexité de la douleur de chacun. Au fil des images, les personnages commencent à construire un espace commun.

L’éradication de la violence

Dans la seconde partie, le film abandonne presque l’hypothèse de construction de liens familiaux et se tourne vers la vie de la banlieue. Dans la cité majoritairement habitée par des immigrés de toutes nationalités, la violence règne ; règlements de compte avec des armes de guerre, trafic de drogue sont filmés avec une caméra complaisante.

Le postulat du film devient : pour survivre (renaître ?) le héros doit affronter la violence et triompher. Ce faisant, Dheepan fait l’apologie de la violence avec l’extermination des caïds et c’est là que le bât blesse : « il n’y a pas de déclaration politique dans mon film, je suis lâche avec ça », a déclaré Jacques Audiard à Cannes. Ce qui donne : puisqu’il n’y a plus rien à attendre des politiques et des humains, le Tigre tamoul se charge de « karcheriser » la banlieue.

Pas de place pour la pensée. Juste des images ultraviolentes, filmées à l’instinct. Malgré les références cinématographiques au western et à la série B qui pourraient définir le film comme un film de genre, on se demande (avec raison) si cette représentation des banlieues ne finit pas par faire le lit du FN.

On passe de la violence au Sri Lanka à celle féroce de la banlieue française, comme si le héros devait laver le sang de la guerre par le sang de la violence pour pouvoir enfin vivre sa vie. L’image du justicier Tamoul et de sa machette porte en elle les relents de la guerre civile du Sri Lanka prolongée dans la banlieue.

Après cet épisode Dheepan peut enfin se reconstruire par l’amour.

Le spectateur pris en otage

Comment Jacques Audiard en est-il arrivé là ?

Que le cinéaste et ses scénaristes (Thomas Bidegain, Noé Debré) aient fait le choix de montrer les deux composantes du monde contemporain (les conflits lointains et les problèmes de leur terre d’accueil) est concevable, mais tout est dans la manière de montrer, de créer le personnage de l’étranger justicier et d’appuyer enfin sur le clou en remettant aux normes cette tragique histoire : dans une ultime pirouette, n’ayant plus rien à faire en France, on retrouve nos héros apaisés, sirotant un cocktail dans un éden en Grande Bretagne.

Dheepan fait partie d’une certaine tendance du cinéma français dont la préoccupation serait de gommer le politique au profit d’une recherche sur le genre. Au final, le spectateur pris en otage, assiste à une fiction qui n’est pas ce qu’il attend (ce qui est communiqué dans les médias) ; un film sur l’arrivée de réfugiés politiques Sri lankais dans une banlieue française. Il assiste impuissant à la libération d’un homme par la violence.

 

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