Quand les délégués syndicaux ont rapporté les projets de la direction aux salariés de R.Bourgeois, une entreprise de découpage de précision de 380 salariés, ils ne l'ont pas bien pris. La direction revendiquait l'abandon de deux des onze jours de RTT qu'elle rémunérerait 25% de plus que l'ordinaire. Elle ne proposait aucune augmentation générale et annonçait des augmentations individuelles de 0,7 à 0,8%. C'était mercredi 20 mai et les salarié ont débrayé une heure et demie, prévoyant de se réunir le lendemain matin à 8 h 30.
Deux heures plus tard, la grève était votée, poursuivie par l'équipe de nuit, avec deux revendications principales : pas touche aux RTT et augmentation de 50 euros par mois pour tous. « On nous a répondu que ça représentait une hausse de la masse salariale de 1,92%, que c'était irresponsable et inconcevable. Et on nous a donné rendez-vous pour mardi prochain », dit un ouvrier syndiqué qui gagne 1520 euros net après plus de 30 ans dans l'entreprise.
Un affront qui passe mal
Ce vendredi matin à 8 h, il est avec une cinquantaine de collègues devant l'usine. Seule la CGT continue le mouvement. Majoritaire, la CFTC, a préféré une stratégie de débrayages. Sur un carton attaché au fil de fer au grillage, est écrit « 50 €uros pour tous ». En face, une série de cartons mentionne une phrase peu amène : « je m'en bats les c... de votre grève ». L'explication ne tarde pas : « C'est ce que le délégué général de l'entreprise, Olivier Bourgeois, est venu dire en pleine nuit aux gars qui faisaient grève. Il était éméché et leur a lancé un kilo de merguez ».
Pour les ouvriers, c'est un affront qui passe très mal : « C'est irresponsable de tenir ces propos quand on gère un groupe ! », dit l'un. « Il faut voir les voitures neuves de la société, une Porsche Cayenne, une Bentley, une Jaguar... et une Ferrari qui n'est pas à la société », dit un autre.
« Mais on a eu quelque chose ! on garde les RTT ».
Vendredi, 9 h 30. Les délégués CGT et CFTC reviennent du bureau de la DRH. Les grévistes les entourent : « Mardi », disent-ils simplement. Autrement dit, la direction n'entend pas avancer le rendez-vous qu'elle a fixé la veille. « On continue ! », disent plusieurs salariés. Certains sont remonté « contre le syndicat des cadres » qui aurait « tout arrangé » et appelé à la reprise. « Rien n'est arrangé », dit Hervé Grosjean, le délégué CGT, « mais on a eu quelque chose, on garde les RTT ».
Un ouvrier demande l'engagement écrit de la direction sur le rendez-vous. Quelques uns insistent auprès du délégué CFTC, Gérard Pharisat : « si Hervé reste avec nous que toi tu retournes au travail, ça le fait pas ». Le groupe demande aux délégués de retourner voir la DRH pour obtenir un écrit. Ils reviennent vite : « elle va appeler la direction... » Un instant après, ils lâchent : « C'est très dur, plus dur qu'avec le patriarche... ». Raymond Bourgeois, le fondateur de l'entreprise en 1929...
Danièle Leport, la DRH, les suit de peu : « je viens confirmer les négociations mardi sur une augmentation générale avec les délégués syndicaux et la direction ». Les ouvriers insistent pour avoir un écrit confirmant le rendez-vous : « c'est mon engagement, si ça ne vous suffit pas, je suis désolée », répond Mme Leport. « Les paroles, c'est du vent », entend-on. « Je vous confirme, je serait là, Olivier Bourgeois sera présent... C'est acté, on ne parle plus des RTT... ».
« Avant, Monsieur Bourgeois avait plus de respect pour les ouvriers »
Les échanges se détendent, la DRH écoute les doléances : « Avant, Monsieur Bourgeois avait plus de respect pour les ouvriers, aujourd'hui, il n'y a même pas un petit mot sympa, c'est quand même grâce à nous qu'il mange, même si l'inverse est vrai aussi... On est content qu'il investisse, mais à un moment, il faut répartir les dividendes ». Danièle Leport intervient : « il n'y a pas de dividendes versés aux actionnaires ». L'ouvrier en convient : « je voulais parler des recettes... »
Les délégués CGT, CFTC et CGC qui s'étaient isolés un instant reviennent avec un texte signé de leur main qui mentionne les points à discuter mardi. Le groupe demande une nouvelle fois à la DRH de le signer, elle refuse. Quelques conseils sont donnés aux délégués : « si le patron propose plus de 50 euros, tu dis oui ! Et s'il paie les jours de grève aussi ». Sourires. La question du pouvoir d'achat est sensible : « le salaire ouvrier commence à 1200/1300 euros, peut aller jusqu'à 2000/2500 pour certains outilleurs qui assemblent de différents outils très précisément rectifiés », témoigne l'un d'eux.
Peu après la suspension de la grève est décidée. « Si ça ne se passe pas bien mardi, on informera le personnel et ce sera plus dur », dit Hervé Grosjean, le délégué CGT.