Des collectivités boostent la pive, le franc comtois

La pive, une monnaie locale franc-comtoise créée en 2017, dépasse aujourd’hui les 120 000 unités en circulation, soit autant en euros. Conçue comme un levier de la vie économique locale, elle cherche à grandir avec le soutien de plusieurs municipalités. Entre versement d’indemnités aux élus, distribution de chèques cadeaux ou paiement de services municipaux en Pive, elles disposent de plusieurs moyens pour favoriser son développement, ce qui ne plait pas à tout le monde.

125 000 pives sont en circulation actuellement en Franche-Comté. Photo : Louis Colmagne

Étant donné que les monnaies locales ne sont acceptées que sur un territoire défini, elles y restent plus longtemps que les euros. L’idée est donc de favoriser les échanges au sein d’une aire géographique délimitée en se basant sur le principe du « multiplicateur local ». Aujourd’hui, la Pive compte 1000 adhérents dont 300 professionnels et l’association annonce le chiffre d’environ 125.000 pives en circulation, équivalent à un euro et échangées dans des comptoirs de changes. Depuis sa création en 2017 sur le territoire de la Franche-Comté, quelques communes de la région ont accompagné son développement pour insuffler une dynamique mise à mal par le Covid.

Danjoutin dans le Territoire de Belfort, avait été la première, il y a trois ans. Pour son actuel maire, Emmanuel Formet, « c’était important de prendre part au développement de la Pive. On a depuis l’ancienne municipalité une politique forte autour du local et de l’environnemental ». La mairie accepte la Pive dans ses services municipaux comme la médiathèque, le périscolaire ou encore pour payer la location de salles. Lors des manifestations, il est aussi possible de payer en monnaie locale. « Quatre élus de la précédente municipalité avaient une partie de leurs indemnités en Pive. Depuis l’année dernière [et les élections municipales NDLR] les regards étaient tournés sur le Covid, mais je vais essayer de réinsuffler ça dans la nouvelle équipe », ajoute Emmanuel Formet.

Hors des services municipaux, deux commerces acceptent cette monnaie locale. Le maire concède qu’il faut encore faire de l’éducation autour de l’intérêt de l’utilisation de la Pive. À Chaux-La-Lotière, la collectivité achète les produits des paniers garnis des anciens en Pive. « Avant, on allait au supermarché pour faire ces paniers. Maintenant, avec la Pive, on s’est tournés vers une épicerie coopérative de producteurs locaux », commente Alexandre Ormaux, le maire du village. Par cette action, la municipalité injecte entre 1000 et 1200 Pives par an dans le réseau. Aussi, les indemnités de certains élus sont pour partie distribuées en Pives. La volonté du village d’adopter la Pive, Alexandre Ormaux la résume : « pouvoir sensibiliser les acteurs du village et de soutenir toujours plus les commerces locaux ».

À une autre échelle, la nouvelle majorité socialiste et écologiste de Besançon a souhaité donner du poids à la monnaie locale en novembre 2020. Dans sa campagne pour aider les commerçants, la ville a lancé une campagne de bon d’achat pour soutenir les commerces bisontins. Une partie de ces chèques était distribuée en Pive. Sur l’investissement de 200 000€ pour les commerces, 20 000 avaient été convertis en monnaie locale.

Anthony Poulain, adjoint à la ville de Besançon en charge des finances, commente cette action : « Il y avait une volonté d’allier question locale et question de solidarité, puisqu’une partie de ces chèques ont été remis aux ménages les plus en difficulté ». Il ajoute que les réactions sont plutôt positives de la part des commerçants partenaires à cette action. Doubs Direct, magasin de produits régionaux à Besançon, fait partie des commerces ayant bénéficié de ce coup de pouce. « On a eu une bonne augmentation de l’utilisation de la Pive avec ces chèques, c’était une bonne chose », indique Thierry Dietsch, son co-dirigeant.

La ville cherche aussi à travailler sur deux autres pistes : la possibilité de payer des services publics en monnaie locale et celle, pour les élus volontaires, d’avoir une partie de leurs indemnités payées en Pive. Enfin, d’autres municipalités aimeraient mettre en place la Pive. C’est le cas des Fourgs, qui envisage ce projet aussi bien pour les services municipaux que les commerçants et acteurs locaux. Mais ce projet est toujours sur la planche à dessin pour le moment.

Une opposition à la Pive bien présente

L’action des chèques en Pive n’a pas fait que des heureux. Ludovic Fagaut, élu Les Républicains à la ville de Besançon avait fait part de son mécontentement sur ses réseaux sociaux en novembre dernier. Il critiquait la transformation des 20 000€ en Pive en ajoutant que d’autres leviers existaient mais sans être mis en place. Il reprochait aussi en substance à la Pive d’être un lieu d’entre-soi : « Elle est ainsi peu utilisée, sauf par quelques initiés ». L’association de la Pive lui a ensuite répondu le mois suivant par une lettre ouverte : « La Pive n'est contre rien ni personne, elle est une solution, un outil innovant dans un monde où la finance empêche l'économie. »

Si les professionnels peuvent ré-échanger leurs Pives contre des euros à partir d’un certain niveau de cotisation, les particuliers, eux, ne le peuvent pas. Ce dernier point pose un problème pour Jean-Philippe Allenbach, ex-tête de liste régionaliste à la dernière élection municipale bisontine. Il pointe du doigt un risque de spéculation entre particuliers pour acheter des Pives moins chères. « Les clients ayant envie de se débarrasser de leurs Pives en trop pourraient être invités à les revendre à un prix en dessous de 1€ et créer une sorte de marché noir », ajoute Jean-Philippe Allenbach, qui plaide pour la création d’un franc comtois vendue moins cher qu’un euro.

. L’argent déposé en garantie contre des Pives va en réalité à différents endroits. Il est réparti dans trois banques : la Nef [Nouvelle Économie Fraternelle], le Crédit Coopératif et le Crédit Agricole. Les sommes les plus importantes vont chez la Nef et le Crédit Coopératif. L’argent sert ensuite à financer des projets éthiques et écologiques, par des prêts aux porteurs des projets.

Un réseau solidaire

Intégrer le réseau de la Pive permet de favoriser la mise en relation d’un secteur proche de l’économie sociale et solidaire.

« J’ai accepté cette monnaie car cela donne accès à un réseaux où j’avais envie d’être », commente Karine Cappretti, praticienne en médecine chinoise à Lons-Le-Saunier. Elle ajoute que bien que n’ayant eu que très peu de paiement en Pive, cette monnaie a permis à l’une de ses clientes de connaitre son activité. Les professionnels adhérents se retrouvent chaque année à la « Fête de la Pive » où tous les achats se font en avec des billets à pomme de pin. L’occasion pour eux de se faire connaître des particuliers.

De part leurs réseaux, les associations de monnaie locale mettent en place parfois des actions solidaires. C’est le cas de la Roue à Marseille pendant le premier confinement en 2020. L'association derrière a créé une plateforme pour lier les producteurs locaux (du réseau de la Roue ou non) et les acheteurs, avec des livreurs à vélo, pour pallier la fermeture des marchés. Ce réseau peut devenir vertueux pour les personnes en faisant partie. Ainsi, d’après une étude de 2021 du mouvement sol -mouvement regroupant 40 monnaies locales françaises-, 66% des particuliers qui utilisent une monnaie locale déclarent aller d’abord chez les professionnels qui acceptent la monnaie locale. Du côté des professionnels, 80% déclarent qu’ils ont déjà recommandé un autre professionnel du réseau à des clients.

Comme d’autres monnaies, la Pive travaille à une version numérique sur téléphone pour la fin de l’année 2021. « On attend l’arrivée de la version numérique avec impatience, ajoute Thierry Dietsch. On espère que ça va donner un coup de boost à l’utilisation de cette monnaie ».


La Pive, une monnaie locale parmi d'autre
Il en existe 82 à travers le territoire. La toute première est l’eusko, créée en 2010 dans le Pays Basque. Aujourd’hui, ce sont plus de 40 000 particuliers et 10 000 professionnels qui s’échangent l’équivalent de 5 millions d’euros. En Franche Comté, la Pive s’échange entre environ 700 particuliers et 300 professionnels. « Autour de 125 000 Pives sont en circulation », ajoute Marion Fichet, chargée de communication pour l’association La Pive.

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