Des administrateurs de l’Université ont touché des primes contestées

Le vice-président pressenti pour présider la Communauté d'universités Bourgogne-Franche-Comté, Charles Fortier, est visé par une requête du syndicat SUD-Education qui demande le remboursement des sommes perçues. D'autres administrateurs seraient concernés.

charlesfortier

Des membres du conseil d'administration de l'Université de Franche-Comté ont touché indûment une prime d'encadrement doctoral et de recherche (PEDR, ex prime d'excellence scientifique) alors qu'ils ne remplissent pas ou plus les critères d'attribution. C'est en tout cas la thèse défendue par des syndicalistes qui en réclament le remboursement en s'appuyant sur une note de la direction juridique du ministère de 2011 (voir ) et une circulaire de février 2014 (lire ici). Elles précisent que cette prime de 7000 euros par an ne peut être versée qu'aux enseignants effectuant 42 heures de cours magistral dans l'année ou 64 heures de travaux dirigés. Or, ces administrateurs ayant obtenu une décharge totale de service, ils n'ont ni fait cours, ni encadré de TD.

« C'est totalement illégal », s'insurge Patrick Charlot, professeur à l'Université de Bourgogne, vice-président de la section droit public du Conseil national des universités, dans un mail adressé le 16 mars à la Conférence des présidents d'universités et resté sans réponse. Ce faisant, c'est l'un des vice-présidents de l'Université de Franche-Comté attributaire de la PEDR, Charles Fortier, qui est notamment visé. Il est également candidat à la présidence provisoire de la COMUE, la communauté d'universités et d'établissements Bourgogne-Franche-Comté, dont l'élection a lieu dans quelques semaines. D'autres administrateurs seraient également concernés : « pour certains, il s'agit de 5 ans de prime, soit 35.000 euros, mais on ne sait pas qui car l'université refuse de donner la liste des bénéficiaires ».

Charles Fortier : « je vais reprendre un cours »
- Percevez-vous la PEDR ?
- Je la perçois. C'est le résultat d'une évaluation par des experts extérieurs à l'université, choisi selon des critères rigoureux : ils n'ont jamais enseigné ici, jamais été invités dans un jury de recrutement ou de thèse, ou dans un colloque...
- C'est la loi...
- Non.
- Vos contradicteurs demandent la publication de la liste des experts...
- En effet... Il faut savoir qu'il y a cinq experts par discipline, proposés par les directeurs de labos il y a un an et demi. Le président de chaque groupe d'expert est tiré au sort et choisit le rapporteur de chaque dossier. Le président de l'Université s'est engagé à respecter le classement des experts. C'est écrit dans la procédure. Et quand il y a des ex-aequo, on demande aux experts de les départager.
- Pourquoi ne pas publier la liste des experts ?
- Si elle était publiée, les candidats pourraient choisir. Si j'avais mauvais esprit et que je connaissais un expert et que je l'appelle...
- Il se déporterait...
- Le monde universitaire est si petit... Le conflit d'intérêt est ce contre quoi nous agissons...
- Vous touchez donc la prime...
- Il y a deux décrets. L'un dit qu'il faut faire 42 heures de cours ou 64 heures de TD, l'autre qu'une décharge de plein droit vaut accomplissement du service...
- Dans la même situation, le président de Lyon 2 a dit qu'il allait rembourser...
- Peut-être est-il mal conseillé. Il n'y a pas d'irrégularité. La doctrine a changé et le ministère dit maintenant qu'il faut faire les heures. Donc je ferai les heures. Quand j'ai eu la prime, pour les quatre précédentes années, je n'étais pas vice-président. Je le suis depuis la rentrée 2012. Je viens d'être attributaire pour quatre nouvelles années, je vais donc reprendre un cours. J'avais décidé de toute façon de le faire car le contact avec les étudiants me manque.
- Serez-vous candidat à la présidence de la COMUE ?
- Je serai candidat à la présidence provisoire, pas après. Il s'agit de préparer les élections, d'installer les instances dans les six établissements adhérents, de rédiger les statuts. Or, je suis aussi en charge de la COMUE au conseil d'administration de l'Université de Franche-Comté. Je me suis engagé par écrit à ne pas me présenter à la présidence définitive car il y aurait conflit d'intérêt à être président provisoire et s'y présenter.
- Allez vous rembourser les primes perçues ?
- Il n'y a pas de rétroactivité. C'est une époque passé, avec des règles différentes.
- Peut-on cumuler un mandat de vice-président et un enseignement ?
- Je n'ai pas su le faire. Quand j'ai pris cette vice-présidence, j'étais directeur de labo, le seul labo de droit de Franche-Comté. J'en ai démissionné au bout de deux ans.

La liste des bénéficiaires sera connue à la fin de l'évaluation, promet la présidence

Depuis la loi LRU, les universités ont le choix entre deux procédures pour l'attribution de cette prime. Soit elles la confient au Conseil national des universités, « ce qui est transparent et ne coûte rien », explique un enseignant bisontin ; soit elles choisissent une procédure locale en faisant appel à des experts extérieurs à l'établissement, et « qu'il faut rétribuer ». C'est cette seconde solution qu'a choisie l'université de Franche-Comté, comme six ou sept autres universités.

Selon le syndicat SUD-Éducation, le président de l'Université de Franche-Comté, Jacques Bahi, a reconnu « l'anomalie » le 8 avril dernier lors d'un conseil académique mais « ne veut pas revenir en arrière ». Des mesures pour « améliorer l'évaluation » sont cependant mises en place, lit-on dans le compte-rendu que le syndicat a publié : « la PEDR sera dorénavant appliquée à condition que le bénéficiaire ai exercé 64 heures équivalent TD. Transparence de la liste globale du vivier d'experts qui attribuent la PEDR, elle sera accessible après accord des-dits experts ; la liste des bénéficiaires sera connue à la fin de l'évaluation. Une demande d'avis sera faite à la CNIL pour savoir dans quelle mesure la liste des bénéficiaires, avec leur accord, pourrait être publiée sur l'intranet. De vrais rapports devront être rédigés par les jurys sur chaque dossier pour motiver la décision » (lire ici page 3).

Ecrire des « vrais rapports » : les précédents étaient-ils faux ?

Ces promesses sont pour le moins curieuses, s'agissant de l'utilisation de procédures et d'argent publics. Attribuer la prime à des enseignants effectuant des heures est dans les textes. Publier le nom des experts l'attribuant paraît la moindre des préventions de conflit d'intérêts : la conditionner à leur accord est très étonnant. Demander à la CNIL l'autorisation de publier les noms des bénéficaires, c'est comme si une collectivité territoriale lui demandait le droit de publier les attributaires de subventions ! Quant à la rédaction de « vrais rapports », est-ce l'aveu qu'ils étaient auparavant faux ?  

Charles Fortier, que nous avons rencontré lundi 13 avril, nous a indiqué qu'il allait « reprendre un cours » pour satisfaire aux obligations de la circulaire, et ajoute : « j'avais de toute façon décidé de le faire car le contact avec les étudiants me manque ». Il assure cependant qu'on peut soutenir une autre argumentation en appui de la perception de la prime sans effectuer les cours : « depuis toujours, une décharge de plein droit vaut accomplissement du service, c'est comme si les heures étaient faites ». C'est ce qu'avait indiqué lors de la réunion du 8 avril le responsable du service juridique de l'université, Elouan Kergadallan, en citant un décret de 1984 et une note de la direction générale des ressources humaines de 2012.

Un précédent à l'université de Lyon 2 : le président s'est engagé à rembourser

La décision de Charles Fortier fait ironiser un juriste : « C'est se moquer du monde car l'année universitaire est terminée ». Quant à l'argument défendu par MM Fortier et Kergadallan, elle « n'est plus applicable : le ministère a eu à juger cette situation à l'université de Lyon 2, et son président s'est engagé à rembourser. A Besançon, on nous dit qu'ils ont attribué la prime en toute bonne foi et qu'ils vont désormais appliquer le droit ». Quant à la promesse de publication de la liste des experts, il considère que c'est la moindre des choses : « c'est une règle de la fonction publique ! D'ailleurs, la liste des membres du Conseil national des universités est publique. Quand on refuse de la rendre publique, on ne sait pas si ce sont des copains ou pas qui vous évaluent ». 

Pour sa part, SUD-Éducation demande le remboursement des primes. Selon le calcul d'un enseignant bisontin, plus de 50.000 euros ont ainsi été indûment versés sur un budget PEDR annuel de 193.000 euros. Il met en parallèle le « manque de moyens » pour, par exemple, refaire des salles de cours « délabrées ». Il conteste également le fait que la liste des experts étant appelés à se prononcer sur l'attribution de la prime ne soit pas rendue publique. Le syndicat envisage de saisir le rectorat et la Cour des comptes.

  • Factuel.info a également sollicité le président Jacques Bahi qui n'avait pas retourné notre appel lundi à 18 h 30. Le cas échéant, nous complèterons cet article des précisions qu'il voudra bien nous apporter. 

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