Dédé et la 3 D

Mettre des lunettes au ciné pour voir en relief. Mettre des lunettes au ciné, mais s'assoir au centre de la salle parce que sur les côtés ça ne marche pas. Ecouter Jean-Claude Brissau, penser à Hitchcock et Antonioni, imaginer Grace Kelly, se souvenir d'avoir roulé en Simca 1000...

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J’ai croisé Dédé. Il sortait de Monop.

Je lui dis :

-  Et si on allait voir un film au festival Entrevues ? Il paraît que Jean-Claude Brisseau a fait un remake en 3 D d’un ancien film à lui. Ça s’appelle Des jeunes filles disparaissent. Ça te dit ?

- Pourquoi pas.

On arrive dans la salle. On nous donne des lunettes. On s’installe. On ressemble à des terriens devant une éclipse solaire. Le même silence étonné. La même allure de zombie.

Jean-Claude Brisseau dit : « Mettez-vous au centre de la salle car sur les côtés on voit mal... » (Heureusement, nous ne sommes pas trop nombreux sinon tous au centre, ça peut devenir compliqué !).

Dédé s’installe au milieu d’une rangée.

Le film commence : deux filles font l’amour dans un paysage interstellaire. On se croirait dans Gravity  sauf que dans le ciel, c’est un couple sur orbite.

Après cette scène torride, ça se corse : une des deux filles est mariée et son mari va arriver. Entre temps, des tueurs tapis dans l’ombre zigouillent sauvagement les filles, l’une après l’autre… Vous me suivez ? Avec le relief, on a la sensation que le radiateur de la chambre va nous péter au visage !

La lumière s’allume. Jean-Claude Brisseau demande si on a vu rouge au moment du générique. Quelqu’un dit : non moi j’ai vu noir (comme quoi la perception est toujours subjective !).

Dédé prend la parole :

- Je ne vois pas ce que la 3 D apporte à votre film… 

- Je voudrais utiliser le relief pour accentuer la dramatisation du vide reprend Jean-Claude Brisseau. Par exemple, une jeune fille est dans un appartement. Des gens lui en veulent et sont cachés quelque part à l’intérieur. On devrait avoir peur pour elle. On regarde partout dans le décor pour déceler quelque chose. C’est ce côté expérimental qui m’intéresse.

Vous imaginez, vous, Massacre à la tronçonneuse en 3 D ? Etre assise au premier rang et voir débouler le mec cinglé avec sa Black & Deker vrombissante. Y penser me glace le sang !

- Le relief reprend le cinéaste est intéressant pour filmer les grosses bêtes dans la jungle. On peut regretter dans Avatar que l’œil soit distrait par mille autres choses, des plantes, des arbres.

Hitchcock avait prévu la 3 D pour Le crime était presque parfait. A un moment donné, l’écharpe de Grace Kelly tombe et notre œil se focalise sur une branche qui se trouve là. Comme l’œil va partout, le film perd son intensité dramatique. C’est un des problèmes de cette technique.

Dans Des jeunes filles disparaissent, aucun spectateur n’a vu la même chose. L’un voit du noir. L’autre voit rouge. Le troisième se dit insensible à la 3 D. Le quatrième trouve que ce n’est pas érotique.

Dédé bougonne : au cinéma, il aime se mettre sur le côté pour pouvoir sortir quand il s’ennuie. Et là, il est coincé au milieu de la rangée.

De toute façon, Dédé préfère la 2 D.

Un spectateur explique :

- C’est très bizarre, quand je vois les jeunes filles dans le film, j’ai l’impression que les étoiles sont aussi dans leurs bouches et dans leurs yeux.

- Je voulais travailler les incrustations reprend le cinéaste. Je cherche la stylisation érotique…

Un autre spectateur parle de l’absence de lumière sur les côtés de l’écran. Son voisin évoque son astigmatisme.

Le débat s’enlise. Et comme, dans un festival, il faut vite libérer la salle pour la projection suivante, Jean-Claude Brisseau nous propose de voir les deux autres versions du film Des jeunes filles disparaissent ; la première en noir et blanc date de 73, la seconde en couleur de 76. Les crimes sont plus effrayants en noir et blanc je trouve. Comme le sang noir dans Le sang des bêtes de Franju ; j’étais à deux doigts de m’évanouir !

- Ce qui est étonnant me souffle Dédé, c’est que le film de 2014 montre que les deux filles sont lesbiennes. Dans les autres versions ce sont deux copines qui partagent le même lit pour se raconter leurs histoires.

- Et le mari roule en 4L. J’ai même vu une simca 1000, je réponds l’air rêveuse…

Les temps changent. La représentation de l’amour aussi. Quant à la stylisation de l’érotisme avec la 3 D, je suis sceptique. Je préfère lorgner du côté du cinéma de Michelangelo Antonioni. L’amour est un mystère ; à trop vouloir le filmer de près, on lui enlève sa poésie. Dans Identification d’une femme, le cinéaste à la recherche d’une femme se tourne à la fin du film vers le cosmos. Indéchiffrable comme l’amour.

- Tu vois me dit Dédé, toi aussi, tu ne peux pas t’empêcher de parler des étoiles…

 

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