De la parentalité au militantisme associatif

A Planoise, Des Racines et des Feuilles oeuvre depuis treize ans auprès des familles, majoritairement issues de l'immigration, pour promouvoir l'éducation et soutenir la parentatlité. Ses fondatrices portent un foulard et affirment : « notre association n'est ni politique ni religieuse, sinon ce serait un champ de bataille ». Elles avaient organisé un rassemblement en mémoire des victimes des attentats.

Azouz Manai : « A Planoise, il y a de la matière grise ». Photos D.B.

Quelle est cette association Des Racines et des Feuilles qui a, le 19 novembre dernier, organisé à Planoise un hommage public aux victimes des attentats du 13 novembre ? Dans le quartier, les habitants la connaissent. En une quinzaine d'années, elle est devenue un acteur important qui compte 130 familles adhérentes et trois employées. A deux pas du collège Diderot, son local de deux salles est toujours animé.

Ce jeudi en fin d'après-midi, huit enfants fréquentant l'école primaire sont en accompagnement scolaire, chacun devant un ordinateur portable. La séance est consacrée à une initiation à la programmation à partir de Minecraft, un jeu connu des adolescents. « L'objectif est de montrer que l'enseignement du langage informatique n'est pas réservé aux bac+3, de montrer aux enfants que derrière les jeux, il y a des connaissances. Qu'ils utilisent des algorithmes ou des fonctions de boucle sans s'en rendre compte », explique Azouz Manai, directeur-fondateur de l'ESCIGécole supérieure de communication, d'information et de gestion.

« 90% des enfants accrochent »

Ancien lauréat du concours Talent des cités, il intervient à titre bénévole : « J'ai un enfant qui prend des cours ici, je veux participer aux actions dans le quartier, j'en suis issu... On essaie de changer les clichés, de montrer qu'à Planoise, il y a de la matière grise... La programmation apporte beaucoup. 90% des enfants accrochent, les autres ont du mal à se repérer dans l'espace, certains se lassent vite devant la difficultés ».

Ce n'est pas le cas d'Aya, élève de CM2, qui lâche un cri joyeux : « J'ai réussi, j'ai un treizième niveau ! » Elle nous explique le jeu : « récolter des pierres, éviter les monstres, construire une maison, tondre des chèvres... » Un instant plus tard, elle concluera le quatorzième et dernier niveau du jeu et passera au suivant, plus complexe. Sans hésiter, elle interpelle Azouz Manai : « comment on fait pour aller en diagonale ? » A la table voisine, Nadir, en CM1, « bon en math », à peine moins rapide, avance à son rythme. 

« Les enfants viennent d'abord pour faire leurs devoirs »

L'apparence et l'engagement
Chahrazed M'barek

 

Dans le quartier, l'association est perçue de façon parfois ambiguë. « Elle fait sortir de chez elles des jeunes femmes qui n'en sortiraient pas, donne accès à des informations sur la santé, l'hygiène ou l'alimentation, c'est un vrai travail de citoyenneté. Ses animatrices sont très actives, se montrent, recherchent l'ouverture », dit un observateur avisé qui souhaite rester anonyme pour ce qui suit : « mais comment prétendre être laïques quand on n'en a pas les apparences ? »
L'apparence visuelle, c'est un fichu sur la tête. Un foulard, pas un voile. Et aussi, une ouverture d'esprit, une facilité simple à entrer en contact. La remarque fait sourire Mme M'barek : « La burka me choque, je ne m'y habitue pas. Que des femmes se cachent le visage, qu'on ne voie que leurs yeux, je comprends le côté agressif. Ça vient du wahhabisme et du salafisme. Mais notre association n'est ni politique ni religieuse. Je reprends toujours les gens qui parlent de religion ou d'opinions personnelles dans nos murs, sinon, c'est un champ de bataille... »
Plus que l'apparence, il y a l'engagement. Cette décision d''appeler à ce rassemblement du 19 novembre : « En tant qu'association accueillant des enfants et des familles du quartier dont une forte proportion est issue de l'immigration, nous avons senti qu'il fallait faire quelque chose.  Avec les gens du quartier et sur le quartier. Après les attentats de janvier, l'association ne s'était pas sentie désignée pour porter un rassemblement, mais nous y étions allées. Là, c'est différent, tout le monde est touché. Nous avons écouté les gens nous dire leurs craintes, s'interroger : mon voisin pourrait faire ça ? Les gens ont peur, se demandent : où ça va nous mener ? Une communauté est montrée du doigt. Les haines ont commencé. Une femme de 60 ans me raconte s'être fait accusée dans un magasin. Une autre a vu un papy la dévisager et cracher devant elle. Tout ça me fait très peur. Nous avons fait ce rassemblement pour que les gens s'expriment et ne restent pas dans leurs peurs ».

De l'autre côté de la salle, Souad Sahraoui, supervise d'autres enfants. Salariée de l'association, titulaire d'une licence d'anglais, elle se partage entre secrétariat et soutien scolaire trois fois par semaine. « Les enfants viennent en premier pour faire leurs devoirs. Tous ne sont pas en difficulté, loin de là, mais quand il y en a, je donne parfois des exercices pour combler des lacunes. On utilise des jeux éducatifs, le scrabble... » Cela se fait-il en lien avec l'Éducation nationale ? « On commence », dit-elle.

Rendez-vous est ainsi pris pour la semaine qui vient avec la direction du collège Diderot. « On va voir comment on pourrait travailler ensemble », confirme au téléphone le principal Gilles Grillot, arrivé récemment sur le quartier. « Le tissu associatif est très étoffé à Planoise et la mission du collège est de travailler avec l'ensemble des acteurs sur des objectifs. On travaille déjà en relation avec plusieurs structures de soutien scolaire, et cette association est présente au comité de pilotage du Café des parents du collège ».

Gilles Montenoise passe la tête dans l'entrebâillement de la porte. Il est venu à l'association grâce à un adhérent prenant, comme lui, des cours d'arabe à la maison de quartier. Depuis, il intervient dans l'accompagnement scolaire : « J'ai enseigné le français quelques années en collège, là, je donne des cours bénévolement ».

Le café des parents, « action fondatrice »

A l'école Ile-de-France, également à Planoise, Des Racines et des Feuilles animait le Café des parents quand Guy Pourchet, le directeur, est arrivé il y a cinq ans, mais « ça s'essoufflait, faute de parents ». C'est le propre des groupes qui se constituent le temps de la scolarité de leur progéniture. Il trouve intéressant ces moments conviviaux entre enseignants et parents, mais en pointe les limites : « Quand j'étais dans le quartier de Rosemont, il n'y avait pas les parents que je voulais toucher, seulement les concernés. Par exemple, sur la question du sommeil, ne venaient que ceux qui couchaient leur enfants tôt... »

Le café des parents, c'est « une action fondatrice », peut-on lire dans le rapport d'activités 2013 de l'association. Elle fait vivre, sous cette appellation ou celle de groupe de parole, des actions de soutien à la parentalité. « A la base, nous étions cinq jeunes mères au foyer, toutes universitaires ou venant de quitter une activité professionnelle », explique Chahrazed M'barek, la coordinatrice. « Grâce à nos échanges, nous avons découvert que chacune avait une vision de l'éducation, de la vie, des rapports avec les autres parents et les autres enfants ».

Au départ, l'interculturalité

Deux des fondatrices habitaient le quartier de la Grette, trois à Planoise. Parmi elles, Murielle Taïeb enseigne les lettres classiques au lycée Victor-Hugo. La présidente Amina Bennadi a étudié la pharmacie avant de se reconvertir vers l'enseignement du français lange étrangère au CLACentre de linguistique appliquée. Diplômée de langue et littérature arabe, Chahrazed M'barek a suivi en France son mari, réfugié politique tunisien, en froid avec l'ancien président Ben Ali. « On voulait partager ce qu'on pouvait pour l'épanouissement de nos enfants et le nôtre, que nos enfants soient bilingues, pas seulement franco-arabe, mais parlent aussi l'anglais. Notre projet de départ, c'est l'interculturalité. Il y a aussi de l'italien et de l'espagnol... »

De fait, l'association accompagne la nouvelle classe moyenne des quartiers, largement issue des immigrations. En 1999, des premiers ateliers de langue et culture arabe et anglais voient le jour, accueillis le samedi matin dans les locaux de la FRATEFédération régionale pour l'alphabétisation des travailleurs étrangers : « ça a marché très vite, on a constitué deux groupes de vintg enfants ayant chacun trois adultes. Mais le local servait aussi de salle de prière et il fallait emménager et déménager à chaque fois... » L'association se créé officiellement en 2002 et intègre les locaux qu'elle occupe aujourd'hui. Cela lui permet de structurer ses activités. De distinguer éducation, aide à la parentalité, et, à partir de 2011 accompagnement scolaire.

« Pour nous, c'était une sonnette d'alarme »

Un exemple montre la complexité de l'investissement dans les études des enfants en lien avec l'éducation : « Il y a quinze ou vingts ans, nous étions très touchées de voir beaucoup d'enfants très jeunes, dès 4 ou 5 ans, seuls sur les parcs publics. C'est un mode de vie de village. Les gens ne pensent pas à mal en les laissant dehors seuls ». Dans les villages du monde entier, tous les enfants sont sous la surveillance de tous les adultes. En ville, il en va un peu différemment. « Pour nous, c'était une sonnette d'alarme. Nos enfants nous disaient on veut aussi sortir seul, comme les copains... On s'est senties en danger. On a alerté, on en a parlé dans des réunions, dit que ça annonçait des problèmes pour plus tard. Il y avait des agents de la ville, des éducateurs... », dit Chahrazed M'barek.

En parlaient-elles aux parents concernés ? Non, du moins pas directement : « si on en parle en donneurs de leçons, on n'est pas entendu. On en a parlé entre nous, puis on a découvert l'Antenne petite enfance qu'on a contactée. Elle organisait des groupes de parole sur des thèmes concernant l'enfance. On s'est dit : c'est ce qu'il nous faut. On en fait un au rythme d'un par mois, avec une psychologue de l'Antenne sur des sujets très variés : la place de l'enfant dans la fratrie, la jalousie, l'énurésie, les lolitas, l'alimentation, les jeux électroniques... » Des entretiens individuels ont plus tard vu le jour.

Directeur de l'Antenne petite enfance, Xavier Jounin se réjouit de ce partenariat de treize ans : « On l'a même enrichi pour 2015 et 2016 d'exposés-débats semestriels sur des thèmes qui peuvent être très actuels, par exemple l'enfant face aux écrans... »

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !