Cyril Mennegun : « J’ai travaillé avec des acteurs inconnus par souci de vérité »

Après le César du meilleur premier film pour « Louise Wimmer » et les paillettes de la 38 ème cérémonie qui réunit toute la profession, le réalisateur franc-comtois parle de ses début et de sa conception du cinéma : « un outil pour parler du monde dans lequel je vis ».

meneguin

Cyril Mennegun est né dans le Territoire de Belfort où il a passé toute son enfance. Il y a une vingtaine d’années, il travaillait au Mac Do et rêvait d’être cinéaste. Très engagé dans sa démarche, il commence sa carrière par le documentaire. « Louise Wimmer » est son deuxième portrait de femme. Il a aussi réalisé « Le Journal de Dominique » un film sur le quotidien d’une gardienne d’immeuble du quartier des Glacis à Belfort. Grâce à Laure Adler, le film deviendra un livre paru aux Editions Stock. En 2005 c’est un autre documentaire « Tahar l’étudiant » sur la vie de son ami Tahar Rahim autre belfortain devenu acteur de cinéma. Chaque fois qu’il touche à un sujet, quelque chose se transforme chez les êtres filmés qu’il révèle à eux-mêmes. C’est peut-être cela la beauté du cinéma…

D’où vous vient ce désir de cinéma ?
C’est la question à laquelle je ne parviens pas facilement à répondre. Ça a toujours été là, mais il y a une part d’aléatoire. Le cinéma est venu à moi. Je suis d’une famille modeste. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Des films ont jalonné une envie grandissante. J’ai découvert le cinéma tardivement avec de grands classiques « Une femme sous influence » de John Cassavetes, « Umberto D » de Vittorio de Sica, « Kes » et « Ladybird » de Ken Loach

Vous avez commencé par de la fiction, un premier court métrage « Le premier des deux qui rira », réalisé en 1997, pour vous tourner ensuite vers le documentaire…
Après mon court-métrage, le proviseur du Lycée Jules Ferry à Delle m’a proposé de faire un travail avec des élèves : j’ai saisi ma chance en continuant par la vidéo donc le documentaire…

Après avoir réalisé plusieurs documentaires, vous faites un retour vers la fiction ; il me semble que vous jouez sur la frontière entre documentaire et fiction : « Louise Wimmer » existe puisqu’aujourd’hui des gens dorment dans leur voiture…
Les streep-teaseuses existent et les chanteuses de country aussi (rires). Je ne fais pas de film sur ces femmes là… C’est un compliment de me dire que je suis entre les deux. Ce n’est pas très conscient en tout cas. C’est peut être autre chose aussi : je dirais que la fiction me fait arriver vers la vérité.

Vous avez réalisé des films sur la précarité : « Jours précaires » et des films sur l’apprentissage de la vie comme « Tahar l’étudiant », « Nous les apprentis ». Le cinéma est un outil pour parler du social et de la transformation des individus ?
Le cinéma est un outil pour parler du monde dans lequel je vis avec mon regard, ma sensibilité. J’essaie de donner un visage à des gens qui ne sont que des chiffres, à des gens qui vont de moins en moins bien. Donner des impressions fortes sur la fragilité et la force, la balance entre les deux. C’est une incarnation de ces gens-là…
C’est un outil et pas seulement par rapport à là d’où je viens, mais aussi de gens que je connais et de ce que je ressens.

Louise Wimmer est une résistante dans le monde d’aujourd’hui. Quelqu’un qui tient debout. Qui ne vacille pas malgré sa situation…
« Louise Wimmer » a une énergie brute. C’est une résistante dans le sens où elle travaille un type d’héroïne de cinéma non soumise à l’ordre des choses. C’est presque une femme avec la force d’un homme. Elle est non soumise à l’amour des hommes pour s’en sortir, ce que sont rarement les héroïnes de cinéma. La plupart des héroïnes de cinéma s’en sortent parce qu’elles couchent. Elle non.
Elle se refuse à la confidence, à la sensiblerie à travers une vérité sociale qui est la crainte de la plupart des gens aujourd’hui : perdre son travail, perdre son appartement…
« Louise Wimmer » est une guerrière.

Corinne Masiero est une actrice non professionnelle. Pourquoi ce choix ?
Je préfère travailler avec des acteurs inconnus, toujours par souci de vérité. On croit en « Louise Wimmer » parce que c’est Corinne Masiero. Si j’avais pris une actrice connue comme Juliette Binoche on parlerait de la performance de l’actrice. J’aime travailler avec la liberté de ne pas être soumis à une filmographie, à un passé d’actrice désireuse d’être choisie. Il n’y a pas de souci d’image, de carrière chez elle. Elle est « Louise Wimmer » et c’est beau.

Et votre prochain film ?
Je travaille sur un film intitulé « La Rencontre », pas avec Tahar Rahim comme on le dit (ce sera le suivant), mais avec un acteur inconnu, Alexandre Guancé.

Est-ce que vous auriez fait la même carrière si la Région n’avait pas aidé vos films ?
Pour mon premier court-métrage et les documentaires, le soutien de la Région était vital. Pour « Louise Wimmer » tourné en partie à Belfort aussi, mais là on était déjà dans une autre économie.
C’est triste de supprimer ces aides pour l’énergie de la jeune création qui aura du mal à émerger, les techniciens et tous les dommages collatéraux…
C’est une très mauvaise nouvelle. Je suis d’ailleurs très surpris car le site de la Région mentionne mon César et le Prix Delluc. Elle s’enorgueillit de ce qui arrive sans pudeur tout en supprimant cette politique !
Il y a pourtant aujourd’hui chez les jeunes auteurs une belle vigueur. C’est maintenant qu’il fallait augmenter les aides et c’était sans doute possible. Certains choix méritaient d’être discutés, et c’est là-dessus qu’il aurait fallu travailler…
La Région va perdre beaucoup parce que les talents s’en vont (toute la petite industrie audiovisuelle qui va des petits producteurs aux prestataires de services).
La Région pourra faire plus de voies de chemin de fer. Elle aide les sportifs : évidemment, le retour en terme d’images est plus rapide quand il s’agit d’un cycliste. Il faut dix ans pour émerger dans le cinéma. Aider, cela veut dire accompagner… Sans cela, cette politique n’a pas de sens.

 

 

 

 

 

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