Cyril Keller : « nous avons échoué à reconstruire un outil syndical »

Cyril Keller, le secrétaire de la CGT du Doubs qui tenait récemment son congrès à Baume les Dames, dresse le tableau d'un syndicalisme affaibli dans un paysage social ravagé par les politiques libérales. « La smicardisation de la société est encouragée par les exonérations sur les bas salaires », dit-il en mettant en garde contre l'extrême-droite et en exhortant les militants à recréer le lien avec les salariés.

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« Pendant la bataille contre la loi travail, moins de 50% de nos syndicats ont distribué des tracts et appelé à la grève ! Imaginons le nombre de salariés que nous aurions pu mobiliser si tout le monde avait joué le jeu ! Même si tout ce que nous avons fait reste formidable... »

Elles en disent long, ces quelques lignes tirées du rapport d'activité présenté par Cyril Keller en ouverture du congrès départemental de la CGT du Doubs qui s'est tenu les 18 et 19 octobre à Baume-les-Dames. Malgré la « mobilisation extraordinaire » contre un texte passé au forceps du 49-3, la principale organisation d'opposition aux politiques économiques libérales n'est ni monolithique ni en bon ordre de marche. Elle se vit surtout comme un bien commode bouc émissaire sur lequel tombent « les médias, le gouvernement et le Medef [qui] tentent d'isoler, de dénigrer la CGT, parce qu'elle est le moteur de l'action », explique aussi le secrétaire de l'union départementale du Doubs en dénonçant à son encontre « des mensonges, des insultes et des menaces... Gattaz nous a même traités de terroristes. Quelle outrance... ».

« Un manque de qualité de vie syndicale »

Les difficultés de la CGT sont celles du mouvement syndical dans son ensemble, elles ne sont pas nouvelles. Il y a trois ans, le précédent congrès s'était déjà fixé l'objectif de renforcer la syndicalisation en modifiant les pratiques sur les lieux de travail. Les militants avaient constaté que « l'absence d'identité syndicale dans [les] démarches revendicatives, le manque d'information en direction des adhérents et des travailleurs ne permettaient pas de créer un rapport de force à hauteur des enjeux dans les mobilisations interprofessionnelles ».

Et si cette année encore le sujet est toujours au centre des travaux de Baume-les-Dames, c'est, constate Cyril Keller, « parce que nous avons échoué dans la reconstruction de notre outil syndical ». Autrement dit, les structures de base, les syndicats d'entreprises, les sections syndicales souffrent d'un « manque de qualité de vie syndicale » se traduisant par « des difficultés à mettre en œuvre une véritable démocratie syndicale ».

Franche autocritique

L'autocritique s'exprime rarement aussi franchement. Elle ouvre sur un débat où l'on soulève la difficulté de la centralisation des cotisations : certaines sont payées mais pas enregistrées, ce qui entraîne des impossibilités de voter dans les instances de l'organisation. Un militant soulève les problèmes générés par les « élus [du personnel] qu'on ne voit jamais, les accords signés qu'on ne voit jamais », dit Bernard Boillon, délégué chez Rivex à Ornans.

Tout cela renvoie notamment à l'institutionnalisation de l'engagement syndical, ce qui n'est pas propre à la CGT. Les militants passeraient trop de temps avec les employeurs et pas assez avec les salariés desquels ils se déconnecteraient peu à peu. Pas question pour autant de « boycotter les DP, CE, CAP, CTP, CHSCT », prévient Cyril Keller qui suggère plutôt de « reprendre le travail de contact et d'information auprès des travailleurs ».

Il en appelle à une « prise de conscience et de responsabilité » pour faire face aux « enjeux politiques présents et à venir ». Se projetant dans l'après présidentielle, il est sans illusion : « ce sera soit la poursuite de la politique socio-libérale du PS, soit le retour des Républicains que cinq années de politique socialiste contraignent à rehausser le niveau d'exigence libérale pour paraître à droite du PS », leur primaire étant vue comme une émission de télé-réalité intitulée « Faites entrer l'accusé CGT » !

« Transformer les pratiques syndicales »

Le contexte politique lui fait donc dire que la CGT ne dispose « probablement pas des outils adaptés pour répondre à ces défis ». Il propose donc de « transformer les pratiques syndicales ». Après la création d'un collectif jeunes, un collectif ingénieurs sortira des travaux du congrès. Tout ne va cependant pas de mal en pis et, malgré les faiblesses énoncées, la CGT du Doubs « progresse en nombre de syndiqués et de syndicats ».

Avec 3300 adhérents, l'augmentation reste minime. Si elle perd des adhérents en raison « des licenciements et des mises à la retraite », elle en a de nouveaux chaque année. Elle prévoit de travailler la « continuité syndicale » pour garder les retraités — sept sur dix ne reprennent pas leur carte — en mettant notamment l'accent sur les questions interprofessionnelles en entreprise comme en formation.

La faiblesse du lien entreprise-interprofessionnel, symbolisée par « la disparition des cahiers revendicatifs » est identifié comme un frein aux mobilisations : « pendant le mouvement contre la loi travail, nous avons enregistré très peu de luttes internes durables dans les entreprises du département », constate Cyril Keller en ironisant : « soit nous avons les travailleurs les plus heureux et les mieux payés de France, soit nous avons un problème d'information et de construction du rapport de force ».

Dans ce contexte, la « suite de la mobilisation » risque d'être plus décentralisée encore quand on note le slogan « pas de loi travail dans ma boîte ». Comme le syndicalisme salarié est absent de la majorité des entreprises, on mesure l'ampleur du travail militant d' « information plus régulière des travailleurs et de sensibilisation sur les liens entre politique gouvernementale et patronale » sensé conduire à « mobiliser sur les journées d'action interprofessionnelles ». Bref, résume le secrétaire départemental, si « la grève générale ne se décrète pas, la lutte des classes se travaille au quotidien ».

Le coût du capital

Elle passe par « l'évaluation des conséquences financières des mesures combattues » mises en regard du coût d'un arrêt de travail. Elle passe également par un bilan, dans chaque entreprise où la CGT est implantée, du CICE accusé de ne servir qu'à « remplir les poches des actionnaires » : « sommes nous capables de le faire avant la fin de l'année ? » Autrement dit, il s'agit de répondre par le coût du capital au soit-disant coût du travail. Pour ce faire, comme pour parler à nouveau aux salariés, les délégués d'entreprises sont invités à « utiliser l'ensemble des moyens disponibles et ne plus rendre d'heures syndicales aux tôliers ». Il s'agit des fameuses heures de délégation qui sont loin d'être toutes utilisées par les représentants du personnel, celles qui font parfois dire aux anti-syndicalistes que les militants ne travaillent pas...

Le rapport d'activité abordait aussi la situation du pays. Il évoque les « défauts d'actualisation [à Pôle emploi] qui permettent à Monsieur Moi Président de sortir 190.000 demandeurs d'emploi des statistiques, à mettre en rapport avec la baisse annoncée de 57.000 ». Il signale que plus de 8,5 millions de personnes ont des revenus mensuels inférieurs à 993 euros (60% du revenu médian). Il dénonce la « smicardisation de la société encouragée par les exonérations sur les bas salaires »

Cyril Keller accuse la « trahison politique », « les affaires et le comportements outranciers » d'offrir un « boulevard au FN ». Là aussi, c'est un  travail militant à accomplir : « il nous appartiendra de pousser les travailleurs à ne pas se laisser avoir par le FN. L'indépendance politique ne doit pas nous conduire à l'indifférence quant aux débats de société. Il faudra aller au débat avant tout avec nos syndiqués car être à la CGT n'empêche pas aujourd'hui malheureusement de voter FN... Ça va en déranger certains dans nos rangs, mais on ne peut pas être à la CGT défendre les thèses des partis d'extrême droite ».

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