Comment le cercle de silence de Besançon s’est rompu il y a un an

Cette protestation muette contre la situation faite aux migrants lancée par un Franciscain de Toulouse en 2007 est encore organisée dans plusieurs villes de Franche-Comté : Dole, Lons (photo ci-contre), Vesoul, Poligny... A Besançon, l'éclatement de différents tus entre chrétiens engagés et militants de gauche laïque sur les mots d'accompagnement, a eu raison du rendez-vous mensuel il y a un an sur fond de politique dure de la préfecture.

cercle

Ils sont une bonne vingtaine sous le soleil qui écrase la place de la Liberté ce samedi 26 août à Lons-le-Saunier. Il fait si chaud que les plus âgés sont venus avec un siège pliant. Une heure durant, ils font cercle et se taisent. Au centre, une lanterne et un ballon représentant la planète. Dans les voitures qui passent à quelques mètres, les passagers jettent un regard étonné.

Les piétons qui passent tout près s'arrêtent parfois pour lire un petit texte affiché sur un panneau de bois : « Par notre participation au Cercle de silence citoyen, nous dénonçons l'enfermement d'hommes, de femmes et d'enfants (même des nourrissions), en centre de rétention administrative au seul motif d'être entrés en France pour vivre dignement ou sauver leur vie ; nous dénonçons les conditions de détention de type carcéral qui ne respectent pas la dignité des personnes, dans les centres de rétention et les zones d'attente des ports et aéroports, et avant tout l'existence même de ces lieux ; nous dénonçons le recours à la violence lors des arrestations, des détentions et des expulsions (avions, bateaux) et notamment la séparation des couples mixtes, la dislocation des familles, la séparation des parents et des enfants, la violation des lieux protégés comme les établissements scolaires, les préfectures, les églises, pour arrêter des adultes et même des enfants; Nous pensons qu'il est important d'engager une réflexion collective sur le respect des droits de l'homme en France, en Europe et dans le monde. »

Dole, première et toujours là

Certains lecteurs expliquent le texte à leurs enfant, quelques uns intègrent le cercle un instant. Les membres du cercle font une petite place, se décalent, sourient. Toujours en silence. Il en est ainsi chaque dernier samedi du mois de 10 h à 11 h dans la préfecture du Jura. On note la présence d'une religieuse et d'un ancien militant de la Confédération paysanne, d'une élue municipale verte, de bénévoles d'associations d'aide aux migrants...

Le premier samedi du mois, c'est à Dole que se tient un événement similaire. L'ancienne capitale régionale a même été la première ville de Franche-Comté à tenir un cercle du silence. On y a célébré en mars dernier, le centième... L'initiative a été lancée en octobre 2007 par un religieux franciscain de Toulouse, Alain Richard. Elle a prospéré, fait boule de neige, est sortie des seuls réseaux croyants, a amalgamé à ceux qui croient au ciel des militants qui n'y croient pas, des personnes engagées dans des causes humanitaires, certains étant proches voire membres de partis de gauche ou de syndicats

Des cercles de silence se tiennent aujourd'hui dans la France entière. Il y en à Poligny et à Vesoul4e vendredi du mois à 17h30, place Edwige-Feuillère. Il y en a eu un temps à Lure... A Besançon, le rendez-vous mensuel initié en 2008 s'est arrêté il y a un an... Il y avait certes de moins de moins de participants, après un pic à près de 150, mais aussi l'érosion d'une dynamique ponctuée d'un clash. Militant du Réseau Éducation sans Frontière, Jean-Jacques Boy, qui portait seul depuis quelque temps l'organisation du rendez-vous, a assez mal pris une critique de sa façon de faire.

Un procès et une critique virulente d'un cadre de la préfecture

Dans le tract accompagnant le cercle de silence du 10 septembre, il citait une lettre ouverte au secrétaire général de la préfecture à l'occasion d'un rassemblement. Ce texte le traite de « monstre » et de « menteur ». Il était reproché au fonctionnaire de n'avoir pas tenu parole après l'expulsion d'une famille dont la mère venait d'être hospitalisée en urgence. Nombre de militants ne cachaient pas leur écœurement, à l'image d'un blogueur qui avait écrit des mots très durs à l'encontre du fonctionnaire, avait été poursuivi, dit assumer et regretter certaines formulations, mais n'avait pas été condamné, les faits étant prescrits...

Pour certains chrétiens participant au cercle de silence, la référence à la première lettre n'est pas passée. « Il y a des choses qu'on ne peut pas écrire », nous explique une militante bisontine de la Cimade, association protestante peu tendre avec la préfecture du Doubs qu'elle estimait l'an dernier « rompue aux décisions illégales ». « Ils appliquent les circulaires, mais c'est notre interlocuteur privilégié. Quand ils voient ça, ils se raidissent ». La préfecture a-t-elle fait des remarques à la Cimade ? « Oui, ils nous ont dit : vous participez à un truc qui nous en met plein la tête ! Vous avez besoin de nous et vous nous maltraitez ! »

De son côté, la pastorale des migrants, avait réagi en ces termes : le tract « contient un courrier injurieux pour le Secrétaire Général de la Préfecture et un appel à manifestation. Si nous ne sommes pas d'accord avec la position de la Préfecture vis à vis de la manière dont sont menées les reconduites à la frontière depuis le mois de juillet, nous ne cautionnons pas les propos outranciers de l'auteur de ce tract et nous réprouvons ce type d'intervention.
Les Cercles du Silence [ne sont pas] un support pour des communiqués coup de poing. »

« Débrouillez-vous, j'arrête ! »

Du coup, Jean-Jacques Boy s'entend reprocher de façon plutôt virulente de politiser les cercles de silence. Il avait pourtant, explique le CDDLE, transmis préalablement au cercle de silence le tract l'accompagnant aux structures y participant. Il a alors dit en substance : « débrouillez-vous, faites les textes, animer les cercles, j'arrête. Ils ne s'en sont jamais occupé ». Frère franciscain à la Chapelle des Buis, Jacques Jouët, est aujourd'hui un peu contrit : « Je n'ai jamais voulu arrêter le cercle, je ne pensais pas que ça provoquerait ça, ce n'était pas mon but... »

Il revient aussi en arrière : « nous avions été plusieurs à réagir à la pastorale des migrants, on commençait à être soucieux de ce que devenait le cercle de silence. Pour nous, ça devait être pacifique, non violent. Je ne supporte pas les mots insultants, même à l'égard de mon pire ennemi, ce n'est pas ma manière... On a été plusieurs au Secours catholique à être choqués, je l'ai dit... »

Des participants ont aussi entendu Jacques Jouët dire que les Franciscains, étant à l'origine du mouvement, allaient prendre le relai. Il ne dément pas, mais nuance : « si une partie sent un manque, aimerait continuer, aurait besoin de notre appui pour repartir, ça pourrait être envisageable. Mais le fait tout seul, non.... Aider à relancer quelque chose qui a existé, pourquoi pas ? Je suis très triste de voir l'absence de dialogue dans la société... » La dimension politique du cercle de silence ne le gène pas : « on peut être de n'importe quel bord, sauf peut-être les extrêmes qui se barricadent bêtement dans des cercles non humanistes... »

« Un cahier des charges pour faire perdurer l'esprit du cercle de silence » ?

Comment a-t-il pris la réaction de Jean-Jacques Boy disant « faites le vous-même alors ! » ? Le franciscain fait amende honorable : « C'est dommage qu'il ait pris la mouche, mais je reconnais qu'on n'était pas assez présent, je ne savais pas qu'il était seul à porter ça... » Pour que le cercle de silence reprenne, il le voit bien porté par « un petit comité avec de la  diversité exprimant le désir que ça continue ». Il y met des conditions : « donner à l'autre la liberté de refuser notre message », ce qui passe par « un cahier des charges pour faire perdurer l'esprit du cercle de silence »...

Que le cercle se tienne ou pas, « la lutte est très difficile », souligne Jean-Jacques Boy en apportant une bribe d'explication aux positionnements des uns et des autres : « Le réseau Welcomeessentiellement d'inspiration chrétienne, notamment la pastorale des migrants s'occupe seulement de ceux qui sont en situation régulière. Ça permet aux gens dans l'attente de se reposer... » A côté, des militants plus jeunes, notamment ceux du comité SolmiréSolidarité migrants réfugiés s'impliquent dans des actions de solidarité concrète pour les gens qui débarquent sans cesse...

Mais la palette est large et complexe de ceux qui agissent pour rendre la vie moins dure à ceux qui ont fui leur pays. Oeuvrant à l'aide concrète, mais aussi en engageant des procédures juridique, la Cimade joue sur deux tableaux, ce qui n'est pas forcément confortable « quand on voit apparaître des choses qui peuvent porter préjudice... »

 

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