Chasseur de démons, la mission de Max

Max de Wasseige est l'exorciste du diocèse catholique de Besançon depuis vingt ans, quand l'archevêque Lucien Daloz lui en a fait la proposition. Une expérience proche du soutien psychologique et de l'accompagnement qu'il va arrêter en octobre.

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Un exorciste ? Quand l'ancien archevêque de Besançon, Lucien Daloz, lui proposa cette mission en 1995, Max de Wasseige s'étonna : « J'avais mis le Diable au placard depuis longtemps ! » Ce franciscain à casquette et veste en cuir venait d'arriver de sa Belgique natale et avait fait sienne la boutade de Rainer-Maria Rilke : « Si mes démons doivent me quitter, j'ai peur que mes anges prennent aussi leur envol... » Il interrogea les frères dont il partage la vie à la Chapelle des Buis, sur les hauteurs de Besançon : « Ils avaient une expérience négative de cette mission. Ils m'ont cependant donné leur accord à condition que j'aie un bureau au Centre diocésain de Besançon et un téléphone privé afin de ne pas interférer sur la vie de la fraternité ».

Max de Wasseige a annoncé mi-août qu'il cessait ses fonctions d'exorciste. Il sera remplacé par M. Cachot, aumonier de... prison.

Dès qu'on discute avec Max, on entend sa voix douce et son accent belge prononcé. Il appartient à l'ordre de Saint-François d'Assise, le créateur des franciscains, une branche de l'église catholique. Droit dans les yeux, il explique que pressentant qu'il rencontrerait beaucoup de problèmes psychologiques, il a demandé à être supervisé par une psychiatre : « Nous rencontrions les mêmes personnes, elle au niveau psychologique, et moi, au niveau personnel. Nous avons même participé tous les deux à des colloques de psychiatres ». En plus de cette collaboration, le franciscain a reçu une bonne formation avec des intervenants tels que le jésuite Eric de Rosny (auteur de Les Yeux de ma chèvre, chez Plon-Terre humaine) ou le théologien et anthropologue Bernard Ugeux, consultant pour la revue en ligne La Vie.

Qui t'a fait ça : un voisin, l'envoûteur, le Diable...?

Max reçoit des personnes de toutes les classes sociales et de tous les âges. Des gens du voyage au directeur d'entreprise, en passant par le gendarme, le pilote, le médecin ou le gamin de 16 ans qui se croit endiablé. Des gens viennent le voir car souvent déçus par des relations perturbées ou par des échecs affectifs. Et il y a souvent quelqu'un dans l'entourage pour murmurer : « Il y a certainement quelqu'un qui te fait cela ». Ce quelqu'un serait peut-être le voisin, l'envoûteur ou même le Diable...

Il cite l'exemple d'un homme en Haute-Saône qui lui téléphona à 3 h du matin car il entendait des coups forts dans les murs de sa maison ou encore celui d'une jeune fille de 17 ans venue le voir car elle se sentait emprisonnée par une force mauvaise. Max prend cet imaginaire diabolique au sérieux : « Quand une personne me dit que le Diable l'a violée, qu'il s'est passé quelque chose dans son corps et qu'il y a eu combat, ce n'est pas seulement un concept, même si cette personne emploie une anthropologie ancienne, elle me dit sur elle une parole profondément humaine ».

« Savoir prendre la juste distance »

Il y a des difficultés à occuper un tel ministère au sein de l'Église. L'une d'elles provient d'une attente, souvent ambiguë, des personnes avec qui il s'entretient. Elles veulent faire de lui un sorcier qui, d'un coup de baguette magique, ferait disparaître tous leurs problèmes : « Je ne dois pas me laisser trop envahir par tout ce que j'entends, à moi de savoir prendre la juste distance ». Dans ce chaos, il doit trouver la signification : « Face à ce rêve de puissance dont on m'investit, je constate deux réactions en sens contraire. Ou on fait de moi un désensorceleur, ou au contraire un incapable car la personne en face pense que je suis son sauveur... »

Quelles sont les joies de cette mission ? « En écoutant avec le coeur ces nombreuses personnes blessées, j'ai compris que plus un individu est accepté sans aucun jugement, plus il va abandonner ses peurs et ses angoisses pour s'engager dans une voix progressive de reconstruction. Ces personnes souffrantes souhaitent au départ que je travaille sur elles et pour elles. Or, je travaille avec elles pour qu'elles retrouvent une force revivifiée. C'est une de mes plus belles joies ».

« Permettre aux gens blessés de se laisser toucher »

Son principal questionnement est de savoir comment faire entrevoir au mieux ce qu'il pense être le véritable visage de Dieu et de faire entendre sa parole au coeur de cette réalité-là. « Il s'agit aussi de permettre aux gens blessés de se laisser toucher dans la durée par ce regard qui engendre en elles la vie ». Quand on l'interroge sur la la nouvelle encyclique du pape François, Max répond : « Je pense le Pape profond et sincère dans son écrit. Il ne prend parti pour aucun parti, même écologique, et ne s'intéresse qu'à l'essentiel, c'est-à-dire à l'avenir sur terre qui est réellement en péril ».

La force du frère exorciste réside également en le fait qu'il conserve un pied dans l'Église et l'autre en dehors, lui permettant ainsi de garder son oeil alerte et critique. Le franciscain étant par définition « un éveillé sage au sein des chrétiens, la figure de Saint-François est celle d'un homme de conviction resté lucide et rebelle dans son Église ».

Le Diable continue de fasciner, d'inquiéter ou de séduire

Dans une société de plus en plus complexe, changeante et en crise, le risque est devenu intolérable alors qu'on s'assure pour tout. Ainsi, quand il y a échec, il faut chercher un responsable. Dès lors, il est plus commode de se dire « possédé » que de reconnaître qu'on va mal et qu'on n'est plus capable de gérer sa vie. Max résume cela en ces termes : « Si je souffre, c'est qu'il y a une raison, et comme je ne la trouve pas, je cherche quelqu'un qui m'en veut et qui me fait souffrir ».

On se trouve souvent en présence d'une grave situation de désarroi existentiel et d'angoisse face aux grandes questions de la vie, et comme le religieux est chassé du quotidien, il réapparaît de façon sauvage par le biais de croyances archaïques qui touchent plus particulièrement les individus fragiles. À l'heure où nous assistons à la décomposition du paysage religieux, il est intéressant de remarquer que le Diable continue de fasciner, d'inquiéter ou de séduire. Les sociologues de la religion se sont penchés sur cette question. Il y a certainement un retour au diabolique ou à son contraire, l'angélique, alors que l'on croyait que nos sociétés allaient faire disparaître toutes ces croyances.

Un combat spirituel quotidien...

Comment garder une pensée positive dans ce monde ? Le frère répond que « c'est un travail difficile mais cela est possible. Par l'amour et parfois par l'humour, les humains peuvent s'exorciser eux-mêmes; c'est la peur qui domine dans ce monde, elle donne donc libre cours au Mal d'entrer dans l'esprit des gens et de s'y loger confortablement. Il est nécessaire de ritualiser l'amour pour mieux combattre l'action maléfique de la haine et de la division. La haine, c'est la désunion et la non-communication, aimer, c'est réunir et harmoniser ».

Dans son travail comme dans la vie, il y a une espèce de rite qui doit s'installer afin de délier, de délivrer et de relier. « L'individu qui se présente à moi dans un état disloqué peut revenir à lui complètement unifié. Il sera son sauveur, je ne suis qu'un fusible à sa réussite ». La foi de Max de Wasseige est une quête quotidienne et en rien un acquis inébranlable et certain. Sa lucidité va jusqu'à le faire susurrer que « quelques secondes avant de mourir, je serai plus que jamais toujours habité par ce doute vaincu jusqu'à aujourd'hui ».

Max, vous croyez en Dieu ? « Oui. Mais je n'oublie pas que dans toute croyance, il peut y avoir une once de doute. Je viens d'avoir 82 ans et mon constat à ce jour est que j'y crois bien plus que ce que mes doutes me laissent parfois entendre ». Il a vingt ans quand « un appel irrésistible » vint à lui, « une parole de Dieu qui m'a ébranlé, je n'étais pas préparé à cela, mais sans regret, j'y suis allé... Je travaille ma foi chaque jour, c'est un combat spirituel, je l'entretiens par la prière. J'observe ce monde et je me pose des questions sur lui, je m'interroge sérieusement et je ne peux pas prétendre que ma croyance est aveugle. Au contraire, je la teste chaque jour, c'est une expérience renouvelée en permanence grâce aux outils dont je dispose, la méditation étant l'un des principaux. Ma croyance en Dieu est un doute surmonté chaque jour ».

 

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