Chambres d’agriculture : la Confédération paysanne offensive dans le Jura

Les élections consulaires auront lieu du 15 au 31 janvier 2019. Après ses 23% des voix obtenues en 2013, le syndicat défendant une agriculture paysanne face à l'agro-business a depuis vu gonfler le nombre de ses adhérents, particulièrement dans les nouvelles productions et le maraichage. Il présente un projet alternatif de gestion de l'institution, notamment pour mieux accueillir des nouveaux dans la profession...

cpjura

La Confédération paysanne du Jura croit en ses chances. En lançant mercredi 7 novembre à Poligny la campagne pour les élections aux chambres d'agriculture, la tête de liste Elise Grossiord, productrice de lait AOP aux Moussières, annonce la couleur : « ça fait un an qu'on travaille à un projet de chambre plus démocratique et bienveillante. On voudrait que tous ceux qui veulent faire de l'agriculture dans le Jura soient accueillis puis accompagnés. Que les données pour toutes les productions soient disponibles, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On voudrait que la chambre ait un service juridique et ne pas avoir à passer par Agri-Conseil, une association contrôlée par la FDSEA. On souhaite un système d'information interne transparent... »

En creux, ce programme se veut le contrepied de la gestion de la FDSEA qui ne laisserait aucune miette aux minoritaires, ce qu'est la Conf' qui avait obtenu 23% des voix il y a six ans. « On est dans l'opposition et c'est difficile. Ils ne nous empêchent pas de parler, mais on n'est que deux en raison du mode de scrutin. Avec la proportionnelle intégrale, on pourrait prétendre à une place au bureau », explique Elise Grossiord qui a déjà fait un mandat. En fait, son absence au bureau de la chambre où tout se décide, fait qu'elle a bien peu d'information entre les deux sessions plénières annuelles. Et encore, a-t-il fallu qu'elle réclame avec insistance

La Confédération paysanne du Jura voudrait aussi que la chambre soit un lieu de débats sur les grandes questions agitant le monde agricole. « On parle très peu du comté à la chambre, en six ans de mandat, on n'en a jamais parlé en session. J'aurais par exemple aimé qu'en 2016, on parle de la mobilisation de Vercel contre le robot de traite. On m'a répondu ne pas être au courant... On ne parle jamais de la taille des exploitations... »

« Pendant dix ans, j'ai cherché 1,5 hectare... »

Ces questions au cœur de la révision du cahier des charges du comté relèvent certes du CIGC. La limitation de la taille des fermes est aussi portée par la Conf qui a réussi à la faire partager, ainsi que quelques autres comme la prohibition du glyphosate ou des mesures d'extensification de la production. Les coopératives et la fédération interdépartementale Doubs-Jura des coopératives laitières se sont également emparées de ces questions qu'on retrouve dans les débats de la chambre d'agriculture du Doubs. Et si elles ne viennent pas devant la chambre du Jura, c'est peut-être parce que la FDSEA du Jura s'y est opposée au sein du CIGC...

Bref, la Conf veut apporter de l'air frais à la chambre d'agriculture. « Elle doit vulgariser l'agriculture », dit Benoît Girod, éleveur laitier à Salins et numéro 6 sur la liste. « On a besoin d'un débat sur la végétalisation de l'alimentation, que la chambre présente ses orientations, qu'elle soit moteur du changement de l'agriculture, sans se substituer au CIGC ou aux coops », souligne Pierre-Emmanuel Forest, numéro 8 et producteur de lait, céréales et volailles de Bresse à Sainte-Agnès, dans le sud Revermont.

Consacré au thème crucial de l'installation et de la transmission, le premier rendez-vous de campagne de la Conf se tiendra le 19 novembre chez Sandrine Carrey qui élève des chèvres pour faire du fromage à Lemuy, à la frontière du Doubs, près d'Arc-sous-Montenot. Elle peut témoigner de l'importance de l'enjeu : « Pendant dix ans, j'ai cherché 1,5 hectare. A chaque fois qu'une ferme des environs arrêtait, c'était toujours pour agrandir une ferme laitière... »

Elle accueille aussi des élèves-paysans dans le cadre du stage de diversification de quinze jours et leur pose une condition : « je leur demande ce qu'ils viennent chercher. Beaucoup répondent qu'ils sont là par obligation, mais ça ne me suffit pas, alors certains parlent de curiosité... J'ai un message à leur faire passer : prendre garde à laisser de la place à un maraicher ou un chevrier... »

« Pour une retraite décente sans être obligé de capitaliser »

Cette question, c'est en fait tout ce que les paysans nomment ici le « problème foncier », l'analogue de « l'accès à la terre » dans les pays du sud... La concentration et l'accroissement de la taille des fermes deviennent de plus en plus faciles en droit. Une conséquence en est l'augmentation du coût d'installation qui peut être prohibitif pour des nouveaux paysans et, du coup, laisser la voie aux plus gros agriculteurs, voire aux capitaux spéculatifs...

C'est ce que dit en substance Christiane Aymonier, tête de la liste pour le collège des exploitants retraités, 35 ans de production de lait à comté à Marnoz et de vie des fruitières de Marnoz et Salins derrière elle. « Préparer un départ, une arrivée, c'est tout un processus, tout un poème... Je milite pour une retraite décente sans être obligé de capitaliser : on nous a dit que ce n'était pas grave d'avoir une petite retraite car on avait une ferme à vendre, mais il faut voir aussi le coût d'une installation... »

« On est plus visibles et on a gagné des choses, par exemple sur la liberté vaccinale... »

Déjà varié, le tissu agricole jurassien, avec de la vigne le long du Revermont, des céréales et de la polyculture au nord, du lait partout mais davantage sur les plateaux, s'est largement diversifié ces dernières décennies. Le maraichage a pris sa place, notamment sous l'impulsion de politiques publiques (cantines bio à Lons), associatives (Terre de liens), d'une tendance à la relocalisation du rapport producteur-consommateur...

C'est notamment dans ce vivier que la Conf a recruté de nouveaux adhérents et sympathisants, porteurs d'une autre image du monde paysan, sans toutefois se couper des productions plus traditionnelles : « On a beaucoup d'adhérents hors filière comté, mais on est aussi plus visibles et on a gagné des choses, par exemple sur la liberté vaccinale avec la FCO pour laquelle des non adhérents nous ont contactés. On a aussi été très actifs sur la révision du cahier des charges du comté », explique Elise Grossiord.

Parmi les symboles de ces évolutions, Lionel Masson, maraicher et producteur de fraises – « pas cette année » – à Frontenay, explique par exemple qu'un service juridique serait financièrement plus intéressant que payer une convention d'installation 2000 euros à Agri-Conseil : « ce n'est pas un problème de performance, mais de fonctionnement... »

« Il faut avoir aussi une vie familiale et être heureux... »

Il y a aussi l'hôte de la conférence de presse de présentation de la liste, le jeune viticulteur Valentin Morel qui a « toujours revendiqué une conception paysanne et politique de la Confédération paysanne » dont il reprend le slogan : « produire pour vivre ». Il est dans le mouvement du passage au bio de la viticulture jurassienne – aujourd'hui 25% des vignerons – et a converti il y a cinq ans le domaine transmis par son père : « je fais des vins naturels, sans intrants ». Il parle aussi de la vie tout court : « à un moment, on a assez travaillé, il faut avoir aussi une vie familiale et être heureux... » 

Dans le petit groupe, on opine en souriant et chacun se présente. De l'éleveuse de brebis en ferme pédagogique aux Bouchoux Loëtitia Lapprand, à Sylvie Bonnefoy qui fait des petits fruits rouges à Chaux-des-Crotenay, en passant par Alexandre Camuset, le numéro 2 de la liste, éleveur à comté en petite montagne, dont les brebis du voisin viennent de se faire attaquer par un « grand canidé ». Un loup ? 

L'événement fait réagir Pierre-Emmanuel Forest : « les agriculteurs peuvent se sentir stigmatisés par des bobos parisiens leur disant comment ils doivent travailler... Quant au loup, on n'est pas pour faire un carnage, mais il faut faire attention aux risques de fermeture de territoires si l'élevage, qui permet une grande biodiversité, devient difficile... »

Toutes ces réflexions témoignent d'une dynamique certaine. Reste que la marche est haute : en 2013, la FDSEA avait fait 57% contre 23% à la Conf et 19% à la Coordination rurale. Entre temps, il y a eu une radicalisation - notamment politique - de la frange la plus droitière du monde paysan, parallèle à la montée en crédibilité des positions de la Conf... Travaille-t-elle alors plutôt pour le coup d'après ? Elle dit en tout cas compter sur les abstentionnistes (43% il y a six ans) et met en avant les enjeux de la représentativité et de la répartition des subventions nationales...

 

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