Center parcs dans le Jura : un hold-up sur les finances des collectivités locales se prépare

Ancien gestionnaire-financier à la banque Paribas-Luxembourg, le Jurassien Pierre-Emmanuel Scherrer enseigne la gestion et l'économie des entreprises. Il a décortiqué le montage des deux projets de center parcs de Poligny et du Rousset (Saône-et-Loire) dont il ressort que les investisseurs institutionnels pressentis mais toujours inconnus, souscriraient des obligations rémunérées à près de 7%, un taux important qui reflète un risque auquel les collectivités sont, de son point de vue, excessivement exposées.

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Un Center Parc dans le Jura, ce pourrait être l’histoire sans faille de Pierre et Vacances Center Parcs qui affiche une santé florissante et poursuit inexorablement l’expansion de ses activités de réalisation de résidences de tourisme. Mais la crise financière de 2008 a tout changé, durablement. Ne remettant pas en question son modèle économique, le groupe voit inexorablement ses comptes virer au rouge. Sanctionné par les marchés financiers, le groupe voit ses partenaires marquer leur défiance en ne cautionnant plus le développement de nouveaux projets. Les marges de gestion des sites existants étant également mises à mal, la seule solution pour redresser la barre est la fuite en avant, mais avec quels moyens ? Surfant sur la notion usurpée de partenariat public-privé dans un contexte où tout est bon pour générer de l’emploi, les élus des collectivités se retrouvent pris dans le piège de l’affairisme économique où le discours et le savoir-faire affiché d’un spécialiste de l’immobilier touristique occultent le manquement aux règles élémentaires de la logique entrepreneuriale. Sur le dos des contribuables qui en supporteront tous les risques…

Pierre et Vacances Center Parcs, ou l’histoire d’un homme

Analyse réalisée de juin à août 2015 à partir de sources diverses : presse écrite et audiovisuelle nationale, régionale et locale ; documents PVCP et collectivités, CESER ; réunions de la CNDP à Poligny ; organismes indépendants ; entretiens divers.

Le groupe PVCP (pour Pierre et Vacances Center Parcs) et ses 1,4 Milliard d’euros de chiffre d’affaires, c’est l’histoire d’un homme, son fondateur Gérard Brémond, qui détient toujours 44% des titres et 61,5% des droits de vote d’un groupe spécialisé dans les résidences hôtelières de tourisme. Depuis ses débuts à la station de ski d’Avoriaz dans les années 60, cet homme d’affaires intrigant a toujours développé ses activités immobilières grâce au déploiement savamment orchestré de réseaux d’influences et d’intérêts. Très proche des milieux du pouvoir politique au plus haut niveau, M. Brémond est considéré comme le principal instigateur des lois successives de défiscalisation immobilière (actuellement la loi Censi-Bouvard et les dispositifs LMP/LMNP) qui ont largement contribué à faire sa fortune. Comparant volontiers sa fonction de chef d’entreprise avec celle d’un chef d’orchestre « qui laisse à chacun la possibilité de s’exprimer », M. Brémond est pourtant un patron doté d’une logique très personnelle qui ne laisse pas de place à la gouvernance déléguée, comme en témoigne la valse des cadres dirigeants qui se succèdent à ses côtés (trois en sept ans). Dernière en date, la réputée Françoise Gri a été brutalement congédiée de la direction générale de PVCP moins de deux ans après son arrivée et M. Brémond a repris seul les rênes de son groupe à l’automne 2014.

Un développement effréné brutalement enrayé par la crise

L’homme aujourd’hui âgé de 78 ans voit son empire sérieusement fragilisé par la crise financière mondiale de 2008, dont les effets dévastateurs se font toujours aussi fortement ressentir sur le marché actuel de l’immobilier. Le resserrement du crédit pour les entreprises et les ménages pèse durement sur l’économie mondiale et frappe de plein fouet le groupe PVCP, axé sur la conception, la commercialisation et l’exploitation de résidences immobilières de tourisme. Après un résultat en rapide et constante régression, le groupe a finalement enregistré des pertes historiques en 2012 et 2013 (27,4 puis 47,5 Mios€) avant de présenter à nouveau de timides bénéfices, grâce à une présentation comptable rendue possible consécutivement au réaménagement de sa lourde dette (ratio d’endettement de 73% en 2014). Mais les données ont durablement changé, le modèle économique ne tient plus et les marges autrefois considérables se sont effondrées. Véritable machine à cash du groupe, l’activité de promotion immobilière est sérieusement mise à mal car les investisseurs particuliers se détournent de produits touristiques survalorisés (prix artificiellement gonflés grâce aux avantages fiscaux induits) et présentant des rendements qui se réduisent in fine à peau de chagrin. De surcroît, l’exploitation touristique adjacente est entachée par des taux de remplissage qui s’érodent et conditionnent des prix revus à la baisse (multiplication des offres promotionnelles), consécutivement au recul généralisé du pouvoir d’achat des ménages.

La défiance des banques et des marchés financiers

Les marchés financiers ont bien sûr sévèrement sanctionné ce constat, le cours de bourse du titre ayant drastiquement chuté, passant d’un plus haut historique de 112€ en 2007 à un point bas de 13€ en 2012, pour se situer au niveau relativement stable de 30€ actuellement. Bien entendu, PVCP a connu une défiance accrue concernant l’évaluation de sa solidité financière, son « credit rating » (notation du critère de solvabilité d’un agent économique) ayant été fortement dégradé pour ses engagements obligataires. Consécutivement, le groupe ne peut plus miser sur le soutien de ses banques et partenaires financiers traditionnels pour démarrer de nouveaux projets. N’ayant pas remis en question les fondamentaux économiques de son groupe ni envisagé une quelconque restructuration (ce qui aurait pu être possible, mais il est désormais trop tard !), M. Brémond s’enferme dans les scénarios du passé et compte au contraire poursuivre sa logique d’expansion par la mise en route de nouveaux concepts Village Nature ainsi que par le développement d’un réseau de Center Parcs, activité rachetée par le groupe Pierre et Vacances en 2003 et dont le nom fait désormais partie intégrante de l’identité du groupe (Pierre et Vacances est ainsi devenu Pierre et Vacances Center Parcs). L’homme d’affaires compte également sur des partenariats en Chine, mais la toute récente crise boursière de Shangaï pourrait sérieusement en hypothéquer les conditions et les perspectives.

La fuite en avant du développement comme seule perspective de salut

C’est en quelque sorte un mauvais cas d’école : construit historiquement sur des bases de forte croissance par (fausse) hypothèse illimitée de la sphère immobilière, le groupe a de plus accéléré son expansion grâce à des acquisitions externes, sans avoir consolidé une activité économique interne solide et durablement rentable lui permettant de générer une capacité d’autofinancement récurrente. Face à cette crise devenue structurelle et devant faire face à ses très importants engagements financiers, le groupe doit donc aujourd’hui impérativement sauver les apparences de quelque chose qui s’apparente à un naufrage inéluctable. N’ayant pas remis en question son modèle économique historique, PVCP se retrouve dans une impasse et n’a d’autre choix que la fuite en avant en intensifiant le développement de nouveaux projets susceptibles de générer des profits importants à court terme. Problème : comment les réaliser puisque le groupe ne peut plus s’appuyer sur des mécanismes classiques de financement ?

Le concept usurpé du « partenariat public-privé » avec les collectivités

Il s’agit donc pour PVCP de rentrer de l’argent, vite et beaucoup. Mais la situation de défiance des marchés rendant impossible toute perspective de financement classique, voire de recapitalisation, il s’agit alors d’imaginer de nouveaux paradigmes pour mettre en œuvre les indispensables nouveaux projets tout en occultant l’image d’une crédibilité défaillante. Continuant d’écarter sciemment la logique naturelle du pragmatisme entrepreneurial, M. Brémond va donc poursuivre le schéma historique de développement de PVCP en surfant sur la notion très en vogue du « partenariat public-privé », concept très prisé des élus des collectivités qui voient là une occasion idéale pour redorer leurs blasons en matière d’interventionnisme contre le chômage grandissant. Né dans le berceau d’une dette publique qui ne laisse plus aucune marge de manoeuvre à l’Etat pour financer de nouvelles infrastructures, le terme de « partenariat public-privé » est théoriquement réservé à un mode de financement par lequel une entité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant à un service public. Mais par extension, dérive ou abus de langage (selon le point de vue), l’expression semble désormais applicable à tout type d’accord contractuel qui implique un agent économique public et une entreprise privée, dans une sorte de symbiose glorieuse et incontournable de moyens en vue de réaliser l’achèvement ou l’exploitation de toute activité susceptible peu ou prou de générer de l’emploi.

L’art du discours et de la méthode dans une opportunité de contexte

Profitant de son lobbying intense auprès des milieux politiques, M. Brémont colle ainsi au plus près avec la pensée institutionnelle qui projette l’image vertueuse du développement économique traditionnel comme seule issue, avec ses bienfaits en matière d’emploi et de vitalité des territoires « bénéficiant » d’implantations supposées garantir de nouveaux vecteurs de croissance. Solidement armé de son expérience d’hommes d’affaires, confronté à des politiciens inexpérimentés mais avides d’un « affairisme d’image » à vocation électoraliste, il lui sera alors facile de viser à réaliser un maximum de profits par « opportunisme de contexte » et in fine grâce à l’argent des contribuables qui se retrouvent otages d’une situation non désirée pour laquelle aucune procédure de consultation ni d’appel d’offres n’a été effectuée, malgré l’importance des montants en jeu ! Par le biais d’approches plus ou moins directes, PVCP fait donc miroiter aux élus des collectivités les futures retombées locales si un nouveau Center Parc s’installait par-ci, par-là… « Des centaines d’emplois créés, des hordes de touristes venant dépenser chez les commerçants locaux, comment envisager de se priver d’une telle perspective ? C’est sûr, le Center Parc se fera ici, et pas ailleurs ! »

Le pouvoir de la séduction et de la conviction sur la base de faux arguments

Auréolé d’une attitude responsable, porteur par procuration de la notoriété d’un grand groupe, il fallait entendre un certain élu s’écrier en réunion de débat public à Poligny « Vous vous rendez compte ? Une grande entreprise comme Pierre et Vacances qui s’intéresse à nous, petits jurassiens ? » Autant dire que les dignes représentants de nos collectivités avaient avalé depuis longtemps l’appât, l’hameçon, le fil et la canne à pêche et qu’il fallait s’attendre à découvrir de belles couleuvres lors de la présentation du montage financier « indispensable » à la réalisation d’un Center Parc dans le Jura. Car tout l’art de la communication de PVCP vise à décliner le projet comme une solution clés en main incontournable présentée sous la forme d’un partenariat naturel et évident, dans lequel l’argument trompeur du « retour prévu sur investissement » est le sous-jacent d’une logique de séduction-conviction de laquelle l’interlocuteur néophyte aura du mal à s’extirper sans les connaissances et l’expérience requises en matière de négociation commerciale et financière à un certain niveau. Et à la question (posée à PVCP en réunion de débat public) : « Puisque vous nous décrivez votre projet comme si sûr et rentable, pourquoi ne le financez-vous pas vous-même, par un emprunt obligataire ? » on s’entend répondre : « S’agissant d’une opération longue, nous n’intéressons pas les investisseurs qui recherchent des rendements à court terme, les collectivités, dans leur approche patrimoniale sont donc des partenaires naturels et privilégiés pour réaliser ce type d’investissement… » Quel bel enfumage pour occulter la santé financière dégradée de PVCP et son « credit rating » qui n’inspirera aucune confiance à un gestionnaire averti ! A noter ici que le projet d’un Center parc à Roybon (Isère) lancé en 2007 (donc avant la crise de 2008) ne fait pas appel (hormis les VRD pris en charge par les collectivités) au financement public via une SEM, comme il est prévu à Poligny.

Un financement « original » où l’acteur économique PVCP n’investit rien !

L’opérateur de tourisme a donc tout prévu pour placer habilement la collectivité au cœur d’un mécanisme redoutable au sein duquel les décideurs politiques sont les faire-valoirs responsables et obligés du développement et de la création d’emplois, PVCP réalisant de son côté une belle opération financière sur le dos des contribuables locaux « embarqués » malgré-eux dans la belle aventure collective de l’esprit d’entreprendre, version capitalisme néo-libéral décomplexé… Tout ceci pourrait être envisagé sous un angle vaguement louable, au détail fondamental près que les règles élémentaires du risque entrepreneurial sont entièrement faussées, PVCP n’apportant (hormis une somme initiale dédiée à l’achat du site forestier et estimée en hypothèse haute à 3 Mios€) AUCUN FONDS PROPRES pour la réalisation de son Center Parc, ni AUCUNE GARANTIE TANGIBLE adossée aux engagements contractuels que le groupe s’engage à prendre en ce qui concerne les loyers d’exploitation futurs sensés « sécuriser » le projet. Comprenons bien ici que tous les risques de défaillance financière liés à la nature économique même d’un projet qui bénéficie à une entreprise privée sont portés par des entités publiques, PVCP se servant des collectivités comme d’un bailleur de fonds hybride, à mi-chemin entre une banque et une société de capital-développement, mais sans les garanties bancaires formelles associées au financement ni la contrepartie d’une quelconque prise de participation dans le capital du groupe !

Les chiffres-clés, remarques et commentaires

Le projet Center Parc de Poligny est globalement dimensionné à hauteur de 170 Mios€ TTC, qui se décomposent grossièrement comme suit :

● 65 Mios sont nécessaires à la réalisation de la bulle et de ses équipements associés : cette somme est apportée par une SEM (Société d’Economie Mixte) financée majoritairement (de 51% jusqu’à 85% du capital social, par règle statutaire légale) par les collectivités publiques via des apports en capital social et des emprunts bancaires (dont on ne sait pas s’ils nécessitent des garanties formelles) et/ou obligataires.

► On remarquera au passage l’importance de l’argument maintes fois répété de la présence « rassurante » d’autres investisseurs privés aux côtés des collectivités publiques dans la SEM. En l’absence de toute indication sur la répartition et l’identité desdits investisseurs, il sera alors sans doute pertinent d’observer la répartition connue du capital de la SEM spécifique au projet Center Parc du Rousset en Saône-et-Loire (documentation du Conseil Départemental), qui fait apparaître une répartition publique-privée minimaliste de 84%-16%. Et on relèvera dans ce sens la curieuse sortie prévue des actionnaires privés de la SEM qui récupèrent leur mise initiale (capital et avances en comptes courants) à la 20ème année d’exploitation (année charnière, voir plus loin dans ce paragraphe), sans aucune perspective de profit, ce qui laisse songeur sur la justification de leur présence dans la société…

► Par défaut de données sur les caractéristiques précises des emprunts nécessaires au projet jurassien, on s’interrogera également sur le taux nominal bancaire de 2,80% au regard de l’intérêt facial élevé de 6,875% d’un emprunt obligataire de 16 Mios€ observé sur la documentation émanant du Rousset. La matérialisation de cette dette obligataire met d’ailleurs en exergue le caractère erroné de l’argument de PVCP concernant le désintérêt des investisseurs financiers classiques (voir plus haut).

● 15 Mios, à la charge des collectivités, sont nécessaires pour les VRD (Voirie et Divers Réseaux, soit la construction des accès routiers, conduites d’eau et équipements d’assainissement, électricité, etc.).

Au vu des nombreux questionnements techniques concernant notamment la capacité d’approvisionnement en eau (plus de 500 m3 quotidiennement requis), on peut légitimement s’interroger sur de possibles surcoûts financiers qui interviendraient lors de la réalisation initiale, ou à terme, consécutivement à des aléas climatiques imprévus. A titre d’exemple et pour faire face à la sécheresse de sa source, le village de Chalesmes a dû approvisionner cet été son réservoir communal avec des camions-citernes d’eau en provenance de la source de la Papeterie, site prévu pour le captage principal de l’eau nécessaire au Center Parc.

● Les 90 Mios restants représentent le prix de vente des 400 cottages par PVCP. Ces résidences touristiques sont financées en VEFA (vente sur plan) par des particuliers bénéficiant de mécanismes de défiscalisation (25% avec la loi Censi-Bouvard) et d’investisseurs institutionnels en quête de placements de rendement.

► Par effet d’échelle, on peut évaluer la réalisation d’un cottage à un prix de revient ne dépassant pas 50.000€ HT et estimer ainsi une marge opérationnelle minimale de 50 Mios€ concernant la seule activité de promotion immobilière de PVCP.

● PVCP estime que le paiement des échéances liées aux emprunts sera compensé, pendant les 20 années correspondant à la durée de l’amortissement, par les loyers d’exploitation qu’il s’engage à reverser à la SEM.

► Cette anticipation est contradictoire avec l’engagement contractuel de PVCP, matérialisé par la conclusion d’un bail ferme sur seulement 12 ans, renouvelable par un bail 3/6/9 classique. Au regard de la complexité juridique en matière de baux commerciaux et en connaissance des nombreux témoignages d’investisseurs particuliers ayant financé des produits immobiliers du groupe (et qui ont vu leurs loyers s’effondrer à l’issue du bail ferme initial), on accordera une confiance toute relative dans cette perspective de « sécurisation » du financement.

► Notons au passage que la notion effective de retour sur investissement ne peut être envisagée qu’à partir de la 20ème année d’exploitation, les produits de loyers n’étant plus affectés par les charges financières et pouvant être assimilés à du résultat courant avant impôts, pour autant que toutes les données prévisionnelles soient respectées et que des travaux de rénovation de la bulle ne soient pas à prévoir à ce moment-là : les chocs répétés de forte amplitude thermique auxquels la structure high-tech des verrières de l'Aqua Mundo va être confrontée (en hiver -15°c à l’extérieur vs +29°c à l'intérieur) pourraient la faire vieillir rapidement et après 20 ans les travaux de maintenance risquent être très élevés.

. Le capital social investi au départ du projet pourra ainsi, et seulement à compter de cette date, être compensé par des dividendes ou, si les bénéfices ne sont pas distribués, servir à financer d’autres projets. Il sera toutefois juste de considérer que les recettes fiscales locales induites (taxe foncière, CET et taxe sur les séjours, environ 1 Mio/an) viendront partiellement compenser cette absence de rentabilité des fonds propres pendant la période d’exploitation de 20 ans, approche à modérer cependant par la prise en compte des coûts d’entretien des VRD durant la période.

● Hormis la main d’œuvre requise pour les deux années de réalisation du chantier, quelques 300 emplois permanents sont prévus pendant l’exploitation du parc, mais en réalité 210 ETP (équivalent temps-plein), du fait de l’importance du nombre de contrats à temps partiel concernant principalement les postes d’agents d’entretien.

► Il est important de souligner que la réalisation d’un Center Parcs ne créera pas d’emplois ex-nihilo, s’agissant d’une offre concurrente à d’autres activités touristiques existantes. La mise en œuvre d’emplois (à bas prix) ici ne fera que supprimer des emplois là-bas, voire en détruira plus qu’elle n’en crée. Pour Nadia Donati dans Reporterre : « Simplement grâce aux économies d’échelle permises par la concentration des touristes dans un camp unique, Pierre et Vacances va d’emblée détruire le double du nombre d’emplois de ceux « créés » par le Center Parc ».

● Des retombées indirectes (non estimées) sont attendues pour l’économie locale, du fait de la présence des clients du Center Parc.

► Selon l’avis du CESER Aquitaine (concernant la réalisation d’un Center Parc en Lot-et-Garonne) : « Il est prévu de créer sur le site un espace de vente de produits du terroir (idem pour le projet polinois, avec une offre de produits de la région Franche-Comté, N.d.A), cela renforce le caractère “autocentré” du complexe, en retenant la clientèle sur le site au lieu de l’encourager à découvrir le territoire. Selon plusieurs enquêtes, plus de 3/4 des clients des Center Parcs ne sortent pas des sites durant leur séjour, cela réduit d’autant les perspectives de retombées attendues sur l’économie locale ».

Center Parc : un concept porteur, mais pour combien de temps encore ?

Si l’on décide de faire abstraction du contexte inacceptable de recours aux finances publiques locales pour mener à bien le projet, il convient en tout état de cause de s’interroger sur la durée de vie du « concept produit Center Parc ». Dans ce sens, bien que l’on doive reconnaître que la machine commerciale du groupe PVCP a jusqu’à présent plutôt très bien fonctionné, des interrogations naissent aujourd’hui. Vieux de plus de 40 ans, les Center Parcs ont connu un bel engouement dès leurs débuts aux Pays-Bas, l’idée « moderne » permettant de profiter toute l’année d’une infrastructure qui offre une illusion de paradis tropical sans se déplacer trop loin de chez soi a séduit des milliers de familles en quête de tranquillité et de vacances « réussies », comblant de bonheur les enfants de la tranche d’âge des 6-14 ans qui peuvent ainsi barboter dans l’eau de l’Aqua Mundo et profiter d’un environnement abrité constamment régulé à 29°, quelles que soient les conditions climatiques extérieures. Belle réussite donc que le concept Center Parc, mais reste à se demander combien de temps il continuera de séduire ?

Le cycle de vie du « produit Center Parc » en question

Un séjour touristique spécifique est à considérer comme n’importe quel produit de consommation et traverse donc les phases successives de la vie d’un produit dans son environnement (lancement, croissance, maturité et déclin). Pour ce qui concerne le « produit Center Parc », son cycle de vie semble se situer en fin de la phase de maturité, si l’on en juge par l’action marketing et commerciale que PVCP déploie autour de son concept. Cette politique (traditionnellement usitée pour prolonger le plus longtemps possible la vie d’un produit rentable et retarder sa phase de déclin) peut être ici illustrée par la multiplication d’offres promotionnelles ainsi que par de nouvelles « options » qui surfent avec les tendances socio-psychologiques actuelles, notamment les attentes de clients en mal de communion avec la nature ou avides de sensations de bien-être. L’image du concept initial est ainsi relookée par le biais d’une forte communication en direction d’activités accrocheuses du type « Parcours-Aventure », « Cool-Jump » et « Toboggan Master-Blaster » au Parc des Trois-Forêts en Lorraine, ou «  Cenote Pool » (piscine permettant de nager en observant les poissons au milieu des coraux) et autres bains d’aromathérapie ou douches sensorielles au nouveau parc du Bois aux Daims dans la Vienne. De plus, la réservation des séjours est de plus en plus déléguée à des sites partenaires spécialisés en booking hôtelier, ce qui peut également trahir un engouement moindre de la clientèle visée, PVCP devant élargir son champ de communication quitte à rétrocéder une partie de sa marge à des opérateurs extérieurs. En aparté, la communication du groupe relative au remplissage à 100% de son tout nouveau Parc du Bois aux Daims laisse d’ailleurs quelque peu songeur lorsqu’on découvre qu’il était tout à fait possible de réserver un séjour au début de l’été, tout en bénéficiant d’une remise…

Un positionnement prix/produit concurrencé

Enfin, la baisse généralisée du pouvoir d’achat des classes moyennes fait émerger les prémices d’une nouvelle tendance de fond qui commence à sérieusement concurrencer les activités de PVCP : celle d’un tourisme locatif moins onéreux, plus direct et authentique, révélé par l’engouement croissant en direction des sites de covoiturage et de mise à disposition de logements privatifs auprès d’hôtes locaux (Blablacar et Airbnb pour les plus connus). Dans une autre catégorie, celle des classes sociales aisées, la qualité de la capacité d’accueil d’un Center Parc ne semble guère satisfaire les exigences d’un public de plus en plus en attente de prestations personnalisées haut de gamme. Et pour ce qui concerne le tourisme en provenance de l’étranger, citons l’analyse de Jérôme Tourbier pour le magazine Atlantico : « Ne considérer le tourisme français que par les groupes Accor, Club Med ou Pierre et Vacances est une erreur stratégique grave à l’heure où les voyageurs internationaux recherchent l’unicité de l’expérience et le sur-mesure rendu possible par la distribution numérique. » Il faut en effet bien se résoudre à constater que la France a perdu (pour la première fois en 2014) sa place sur le podium des nations touristiques (en termes de recettes), le tourisme en région ne voyant pas se développer d’entreprises de tailles intermédiaires dont les prestations sont en rapport avec les attentes de la clientèle internationale.

La dénaturation et le pillage en règle de l’image touristique locale

Qui plus est, le Jura bénéficie d’une notoriété de « tourisme nature » et séduit une clientèle de plus en plus nombreuse en quête de valeurs authentiques, grâce une politique de communication historique déclinée autour du thème « Le pays où l’homme s’épanouit ». Cette stratégie historique de différenciation confère à ce beau département un caractère préservé, cher aux jurassiens, qui séduit par sa simplicité et son authenticité, tout en permettant la mise en avant des produits du terroir ainsi que la promotion de ses charmantes communes et de ses remarquables sites architecturaux. Ce serait une erreur de penser que « l’offre Center Parc » est complémentaire de l’offre touristique naturelle du Jura, elle est en fait contraire à son attractivité et à son essence-même. En ce sens, l’avis du CESER Aquitaine peut parfaitement être adapté au Jura, c’est-à-dire que les atouts et l’image de marque du département « peuvent bien plus constituer un argument commercial pour le porteur du projet que l’inverse (…) et bénéficient à l’opérateur sans pour autant que l’offre Center Parc ne corresponde à la stratégie touristique des collectivités, mais bien plus à celle de Pierre et Vacances ». Dans la continuité de ce raisonnement, on pourra d’ailleurs également chercher à comprendre l’évolution de la stratégie de développement de PVCP visant désormais à « couvrir » le territoire national par un « maillage » de Center Parcs régionaux d’une capacité de 400 cottages, si ce n’est donc qu’à profiter de l’image touristique des territoires concernés et/ou d’une capacité de financement potentiellement supportable par les collectivités… Et ce qui amène aussi à s’interroger sur le fait que, en mettant sur le marché de nombreux nouveaux lits (à court terme : 5 Center Parcs et un Village Nature), le taux d'occupation pourrait donc mécaniquement s'effondrer.

Conclusion

Outre les insupportables aspects de captation de fonds publics à des fins d’intérêts privés, il serait donc extrêmement dommageable qu’un produit touristique de masse vienne dénaturer l’identité touristique jurassienne en y mêlant l’image de plantations tropicales implantées artificiellement dans une structure qui fait figure de verrue dans un décor forestier naturel. A l’heure où l’on observe une affirmation progressive d’une prise de conscience citoyenne et collective du respect de notre environnement et de la préservation de nos conditions de vie menacées par le réchauffement climatique (du à l’activité humaine), un tel projet ne correspond en aucune mesure avec les enjeux de société nationaux et locaux actuels. Et il est pour le moins douteux que les collectivités puissent soudainement et unilatéralement envisager un tel déploiement financier pour la réalisation d’un projet aux perspectives de réussite incertaines, parachuté par un groupe qui s’affiche comme le chantre du développement durable à des fins purement mercantiles. L’utilisation de tels moyens dédiés à une approche économique réfléchie et cohérente avec les besoins du territoire serait bien plus un vecteur de création d’emplois pérennes et utiles, sur tous les plans. Dans la logique de l’argumentation décrite plus haut, on imaginera facilement (ce qui est d’ailleurs bien le sens de la démarche portée par l’association Initiative Développement Jura) l’arbitrage des sommes pressenties en direction de l’aide au financement pour l’implantation de micro-projets d’agriculture écologique et de permaculture, de structures touristiques hôtelières haut de gamme de taille moyenne, l’extension d’un vignoble qui ne cesse de gagner en lettres de noblesse, ou encore le soutien au financement de résidences à destination des personnes âgées. C’est sur ces terrains-là que les contribuables jurassiens attendent leurs élus !

 

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