Center Parcs, concurrence et effets induits : l’inexorable déclin du tourisme français

Grâce à la classification de ses produits immobiliers en résidences de tourisme et des avantages fiscaux induits, Pierre & Vacances réalise l'essentiel de sa marge brute sur ses activités de promotion immobilière. Le groupe a construit sa croissance économique sur ce modèle, en considérant l'exploitation comme une activité secondaire. Les gains considérables réalisés sur la vente de produits immobiliers à des particuliers en quête de rendement ont été notamment permis grâce aux mécanismes de défiscalisation : le prix de vente artificiellement élevé d'un « cottage » est ainsi compensé par les avantages fiscaux actuels de la loi Censi-Bouvard.

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La résidence de tourisme a été conçue dans les années 1970 pour faciliter la commercialisation des stations de sports d’hiver, dites « intégrées ». Il s’agissait de créer rapidement un parc de location important pour permettre aux stations de se développer, de rentabiliser leurs équipements et de prolonger la saison d’hiver par une saison d’été. Pour ses clients, la résidence de tourisme propose une cuisine ou une kitchenette dans ses studios ou appartements, alors que cette particularité est interdite dans un hôtel classique. Historiquement créée pour le développement d'un tourisme nouveau (avec l'essor de la pratique du ski alpin), l'application de ce concept s'étendra rapidement à la mer, puis à l'ensemble des régions les plus touristiques de France, ainsi qu'aux grandes métropoles. Bénéficiant régulièrement de dispositifs fiscaux lui permettant de surmonter les diverses périodes de crise immobilière, les résidences de tourisme généreront une forte concurrence avec les hôtels et provoqueront inexorablement leur déclin.

L'économie touristique du Jura doit beaucoup à son identité territoriale...

Ainsi, grâce à la classification de ses produits immobiliers en résidences de tourisme et des avantages fiscaux induits, Pierre & Vacances réalise l'essentiel de sa marge brute sur ses activités de promotion immobilière. Cette particularité est importante car le groupe a construit sa croissance économique sur ce modèle, en considérant l'exploitation comme une activité secondaire. Les gains considérables réalisés sur la vente de produits immobiliers à des particuliers en quête de rendement ont été notamment permis grâce aux mécanismes de défiscalisation : le prix de vente artificiellement élevé d'un « cottage » (nom donné aux logements touristiques d'un Center Parcs) est ainsi compensé par les avantages fiscaux actuels de la loi Censi-Bouvard.

Concurrence avec des prix bradés

En parallèle, les prix de séjours n'ont pas à intégrer l'amortissement des coûts de construction immobilière, ce qui peut permettre d'appliquer une politique tarifaire attractive. Les pratiques promotionnelles ponctuelles ou permanentes (remises de 40% pour les comités d'entreprise) viseront à afficher un taux de remplissage correct, ce qui est un argument phare du discours sécurisant de Pierre & Vacances quant à sa capacité à remplir ses parcs de loisirs.

Ce faisant, l'implantation d'un Center Parcs, par exemple dans le Jura à Poligny, provoquera une concurrence quasi directe avec les hôtels existants sur le secteur. En proposant des séjours courts à prix bradés afin d'optimiser son taux de remplissage, les offres « weekend », « midweek » ou « dernière minute », accompagnées du « arrivez quand vous voulez » se positionnent en alternative pragmatique mais toutefois très agressive avec les hôtels voisins, qui verront inexorablement leur chiffre d'affaires baisser. De surcroît, la clientèle ainsi captée ne sera que peu encline à sortir d'un lieu d'hébergement situé à une dizaine de kilomètres de la capitale du Comté.

Identités territoriales diluées

Au niveau départemental et régional, l'arrivée de deux Center Parcs dans le Jura et en Saône-et-Loire, avec la forte communication déclinée par Pierre & Vacances (relayée par les structures publiques de promotion du tourisme), aura surtout comme effet de diluer les identités culturelles des territoires concernés et de dévaloriser insidieusement des particularismes locaux. Les espoirs de complémentarité attendus peuvent s'avérer effectifs à court terme, mais à un horizon plus lointain, les dommages seront considérables sur l'image et l'attractivité de ce qui fait réellement la force et les atouts d'un département ou d'une région, dans ses caractères d'atypisme et d'unicité.

Sur le plan national, il faut considérer également la concurrence interne entre les diverses offres du secteur des résidences de tourisme qui a connu une croissance exponentielle ces trente dernière années. D'une part cette prolifération des résidences de tourisme sur un marché de plus en plus saturé est à l'origine de l'effondrement des rendements constaté par un nombre croissant de propriétaires-investisseurs, d'autre part la clientèle d'exploitation attirée par ce genre de concept n'est pas infinie. Dans un pays où la croissance économique est en baisse constante, avec ses inévitables répercussions sur le pouvoir d'achat des ménages et dans le contexte flagrant d'inégalité de la redistribution de la richesse, le développement incessant de nouveaux projets d'envergure pose légitimement question.

Standardisation et de cannibalisation de l'offre

Pour ce qui concerne les Center Parcs, ce sont quatre nouvelles implantations qui sont prévues (Roybon, Poligny, Le Rousset, Pindères et Beauziac) dont les trois dernières possèdent une particularité notoire, le pôle d'attraction (la « bulle » chauffée en permanence à 29° et son « Aqua Mundo ») étant presque entièrement financé par des fonds publics. Et il faut également y ajouter le super-projet de Village Nature de Seine-et-Marne, porté par une alliance entre Pierre & Vacances et Eurodisney, avec une capacité de plus de 5.000 « cottages ».

On peut dès lors considérer que l'aboutissement de ces projets aura pour conséquence de détourner l'argent public d'autres besoins et aura également pour effet de générer une concurrence entre eux et entre les territoires concernés. Cette superposition et coexistence de plusieurs offres touristiques similaires, plutôt que la constitution d’une offre hétérogène nationale ne fait qu'accentuer le phénomène de standardisation et de cannibalisation de l'offre, au détriment de l'émergence de réponses adaptées aux nouveaux besoins des touristes français et étrangers, qui recherchent de plus en plus une prestation personnalisée avec une valeur ajoutée forte et bien réelle, en termes d'accueil et de prestations.

La France creuse son retard touristique dans le peloton des pays les plus attractifs et la concurrence pertinente des offres étrangères ne fait qu'accentuer ce phénomène, avec ses conséquences inévitables sur le chômage et la qualité de l'emploi. Une fois de plus, la vision court-termiste et ses pseudo-vertus ambitieuses, certes quantifiables, ne sont qu'un leurre qui ne fait qu'aggraver la situation d'un pays hélas sans vision et sans projet d'avenir, pour le bien de l'ensemble de sa population. Les intérêts privés prennent à nouveau le pas sur l'intérêt général, le mécanisme de raisonnement serait-il inéluctable ?

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