Besançon : Planoise à l’heure du confinement

Le quartier le plus peuplé de Franche-Comté est aussi l'un des plus populaires, avec un taux de pauvreté très important dans certains secteurs. Sa vie associative et culturelle est suspendue par la pandémie, ses habitants et ses commerçants souffrent des restrictions, des actions de solidarité tentent de pallier à une précarité préoccupante. 

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Principal quartier de Besançon, Planoise vit aussi au rythme du Covid-19 et de ses restrictions. Depuis six semaines le confinement s’est ainsi accompagnée des suspensions de déplacements et d’activités, remodelant considérablement les espaces et les relations. Pour seuls moments de réelle communion populaire, l’épreuve des courses au supermarché du coin, et les célébrations citoyennes chaque soir à 20 heures, en hommage aux différents corps professionnels engagés. Comment la population perçoit la situation et s’organise t-elle durant cette crise ? Malgré son urbanisme et sa sociologie propre, ce sont souvent les mêmes mots qui reviennent :  stagnation, captivité et dépeuplement pour les sentiments ; subsistance alimentaire, règlement des factures et retour à l’entraide quant aux impératifs. À la poudrière meurtrière de cet hiver, c’est désormais un calme non moins préoccupé qui succède. Avec, en même toile de fond, les barres et la débrouille.

Comme dans toute la France, la fermeture des bâtiments publics et des administrations pèse sur le dynamisme habituel. Première absence visible, celle liée aux établissements scolaires. Avec l’arrêt de l’enseignement et du péri-scolaire, les milliers de bambins, leurs parents et l’ensemble du personnel, éclipsés depuis le 16 mars, rendent les rues totalement désertes. Une réalité qui engendre aussi des difficultés sur le plan éducatif et familial, rimant parfois avec décrochage et tensions.

Une surveillante contractuelle du collège Diderot, dédiée à la continuité pédagogique (contact régulier, téléphonique essentiellement, avec les élèves), confirme ainsi une aggravation des difficultés scolaires pré-existantes qui concernerait environ deux tiers des effectifs. Concernant Oliviaprénom modifié, allocataire du RSA, elle a seule la garde de deux enfants scolarisés dans le secondaire. Elle reconnaît « plus d’un mois de tourments, entre quatre murs. La gestion du foyer, les cours, les loisirs, c’est vite devenu épuisant. Mais heureusement, à Planoise les logements sont plutôt vastes. » Pas comme à Palente ou l'Amitié...

Une ville dans la ville... au ralenti

Parcs, aires de jeux et sites sportifs sont condamnés. La cité est pourtant aussi un lieu de villégiature, verdure et bois tranchant avec la monotonie des tours-dortoirs. Les déplacements restent cependant possibles, les transports en commun étant maintenus. Tramway et bus poursuivent ainsi la relation avec le centre de la capitale comtoise, devenue aussi fantomatique que les voyages. Les forces de l’ordre, elles, n’ont pas disparu. Policiers locaux et compagnies de CRS quadrillent les points stratégiques, affectés à la lutte contre les trafics et à la vérification des attestations. Un rituel désormais éprouvé, malgré des riverains pas toujours commodes. Nous avons toutefois constaté sur place que la plupart des agents ont évité de faire du chiffre, préférant le rappel des règles aux contrôles massifs et contraventions. Alors que plusieurs banlieues se sont récemment embrasées, cette approche a peut-être ici permis d’éviter l’emballement redouté.

Le « commissariat de proximité » est d’ailleurs l’une des seules institutions ouvertes, bien que les procédures soient désormais informatisées. La Poste-Picasso est l’autre exception, proposant des horaires matinaux et imposant des précautions : vigiles, barrières, gel hydroalcoolique, issues séparées... Concernant les organismes de la maison des services au public (MSAP), incluant CPAM, CAF, ou encore CCAS, les portes sont closes, mais les réclamations et dossiers se poursuivent en ligne. Le centre Nelson Mandela, le Théâtre de l’Espace, les Archives départementales, Micropolis, l'espace de la Malcombe ou la piscine-patinoire La Fayette, poumons socio-culturels, sont figés jusqu’à nouvel ordre. Les offices religieux de la mosquée Al-Fath, de l’église évangélique Cépée, et du temple des Témoins de Jéhovah sont ajournés. Seule la paroisse catholique Saint-François-d’Assises propose une petite permanance le samedi.

Enfin, médecins et pharmacies sont opérationnels, banques et bailleurs disponibles en télétravail, et distribution du courrier, ramassage des ordures, et entretien et nettoyage des voiries, toujours en vigueur. Ce qui n’empêche pas une sensation de « vide » rapporté par nos interlocuteurs. Nassimprénom modifié, cinquantenaire jadis posté au bar-PMU de Cassin, réagit : « faut pas se leurrer, Planoise n’a jamais eut l’attractivité de Châteaufarine ou du centre-ville. Mais les écoles, la maison de quartier, les petits commerces, ça brasse du monde. Aujourd’hui tout se limite au vital, les passages se font rares, et les familles ne se posent plus dans les squares, ça donne un petit air de fin du monde. L’arrivée des beaux jours et l’iftar ne changent pas grand-chose, malgré ce qu’on entend ici et là. Comme d’habitude, nous avons été pointés du doigt par des rumeurs de laxisme général. Vu le nombre d’habitants et la concentration, en réalité la discipline a été très forte. »

Au quotidien, la question du ravitaillement

Mais balayant la mélancolie, une exigence fait unanimement jour. Remplir le frigo devient la priorité absolue. Dés l’annonce du confinement mi-mars, les Planoisiens se sont rués pour faire des stocks. Alors que l’Intermarché est brutalement arrêté fin décembre, les deux grandes surfaces restantes, déjà saturées, doivent relever un immense défi : apporter les vivres basiques aux quelque 15.000 habitants intra-muros. À l’enseigne « Norma » des Époisses, nous observons une limitation des entrées simultanées à dix personnes, des files d’attentes interminables, une légère pénurie de denrées touchant pâtes et sucre. Mais l’engagement des petites mains de l’ombre, caissiers, employés de libre-service, livreurs, a été à la mesure de la crise : exceptionnel. Si bien que l’approvisionnement a finalement pu se dérouler sans encombre durant la période, « au final les clients étant généralement compréhensifs et civiques », reconnaît une salariée.

Autre son de cloche pour les marchés, piliers des ventes au détail dont les stands tournaient jusqu’alors six fois par semaines. Étoffes, brocantes et bric-à-brac ont disparu. Place Cassin mercredi 29 avril, ils n’étaient que trois, à proposer fruits, légumes et accompagnements divers. Une offre sécurisée, puisqu’il n’est plus permis aux badauds de faire le tour des étals ou de manipuler les produits. Un des tenanciers les plus influents accuse le coup : « Personnellement je ne me plains pas, d’autres collègues souffrent davantage. Mes fournisseurs permettent de proposer encore quantité et qualité, mais pour moi aussi les volumes ont dégringolé avec la baisse de tournées et de la fréquentation. Il ne me reste plus que deux dates, les mercredis et samedis, et les transactions à l’entrepôt. La mairie est plutôt derrière nous, mais c’est vrai qu’un geste pécuniaire sur les emplacements aurait été la bienvenue. Mais bon, faut garder le sourire ! »

Épiceries, boucheries, boulangeries et bureaux de tabac complètent le paysage alimentaire. Autre secteur considérable, celui des stupéfiants. Difficile d’estimer l’apport réel de cette économie parallèle aux budgets des participants et leurs proches, mais études et enquêtes concluent que les 100.000 revendeurs du pays bénéficient surtout d'une recette de subsistance. Pour eux aussi, les temps sont durs. Le ravitaillement a été compromis avec l’interruption des échanges, quand les consommateurs se font moins abondants avec la surveillance accrue. Le phénomène entraîne immanquablement une explosion des tarifs, des achats groupés, des salaires resserrés. C’est ce qu’explique Kevinprénom modifié, modeste « charbonneur ». « Sans rentrer dans le détail, on a encore de quoi tenir. Mais on fait attention. Les quantités sont maîtrisées et les prix répercutés pour l’instant sans excès. On voit quand même que pour les habitués, c’est parfois chaud de suivre. »

À la galère répond la solidarité

Au sein des 9.000 logements à 65 % H.L.M., la solidarité s’organise parfois entre habitants. C’est par exemple le cas rue de Franche-Comté, où une militante de la CLCV rapporte « l’organisation spontanée d’un réseau informel mais fort d’entraide » dans sa cage, « qui ne laisse personne sur le carreau. » « Quand un voisin a besoin d’un dépannage, il sait qu’il peut frapper à la porte d’à côté. C’est rassurant pour tout le monde de pouvoir compter sur son prochain, dans une période aussi compliquée. » Les procédures de relogements du NPRU, la maintenance non-essentielle, ou encore l’entretien des communs, ont été suspendus. Mais les retards de paiement sont, sans surprise, plus nombreux qu’à la normale. C’est ce qu’attestent locataires et observateurs, mais les bailleurs, contactés, ne confirment pas.

Au niveau professionnel et financier, les situations varient. Les ouvriers et employés, représentant l’essentiel des catégories occupées, évoluent au cas par cas. Certains ont repris le travail, comme dans l’industrie ou le BTP, quand d’autres sont toujours à l’arrêt, notamment dans la restauration ou le commerce, alors que les intérimaires et autres précaires se retrouvent souvent en souffrance. Quant au chômage il touchait 31 % des actifs en 2017, alors que seuil de pauvreté concerne jusqu’à 56 % des foyers dans certains secteurs (source Audab, voir ici puis synthèse Planoise à télécharger). La précarité, palpable dans les chiffres et sur le terrain, n’en est que plus préoccupante. C’est pourquoi le CCAS, la Croix rouge et les Restos du coeur maintiennent leurs actions sur place, secondés par la réserve civique. Radio Sud Besançon y est particulièrement associée, avec plusieurs partenaires, comme le reconnait son président Kamel Hakkar. Une centaine de paniers solidaires ont ainsi été distribués aux plus nécessiteux.

Les associations historiques essaient d’être autant investies. Ainsi « Miroirs de Femmes » propose un « covidbook » multilingue, afin que les habitants racontent la pandémie. Depuis 1981 « Pari » accompagne plus de trois-cent étudiants dans leurs devoirs, et garde une permanence téléphonique en ce sens. « ReCiDev » et « Des Racines et des Feuilles » ont, en revanche, dû interrompre leurs missions. Le trimestriel local « la Passerelle », lancé en 1985, est aussi en stand-by. Le conseil citoyen a pu se déplacer et rencontrer les acteurs d’Intermarché, en vue du renouveau. Certains bénévoles et habitants rejoignent aussi l’action civique ou s’investissent d’eux-même. Une Planoisienne propose ainsi la distribution de plats réalisés à la maison ; d’autres, notamment le 8 avril dernier, se sont retrouvés pour un ramassage des déchets. Quelques exemples qui, si ils le constituent pas le remède à tout les maux, permettent de relativiser et d’espérer.

 

 

 

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