Besançon : AC ! tire la langue

L'association qui articule la lutte des chômeurs et précaires à des ateliers informatique et de défense des droits, est mise en danger par la diminution des subventions municipales... « Dans un contexte budgétaire compliqué, les priorités ont été revues et AC ne rentre plus dans les critères », avoue la conseillère déléguée au contrat de ville, Karima Rochdi qui veut cependant qu'elle « continue son action ».

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Ils sont cinq autour de table du local bisontin d'AC ! Agir contre le chômage ce mardi 22 août. C'est la réunion de rentrée et plusieurs questions cruciales pour l'avenir de l'association sont posées. Vivant essentiellement de subventions finançant des contrats aidés animant deux ateliers, l'un d'initiation et de perfectionnement à l'usage des outils informatiques, l'autre de  défense des droits, elle est dans le dur généré par la situation politique issue des élections du printemps.

Financé par le Fonds social européen (FSE), l'atelier informatique paraît le moins menacé à court terme : « on avait demandé 9300 euros pour quinze mois, à 7000 euros on passe », souligne Charles Piaget. A 89 ans, l'ancien leader du conflit Lip des années 1970 est toujours engagé, mais il avoue parfois fatiguer. Il n'en est pas moins volontaire : « le plus terrible, ça va être le recrutement de stagiaires, on en a 16, il en faut 55 d'ici la fin de l'année... On a un énorme travail à fournir, distribuer notre tract trois fois par semaines devant les agences de Pole emploi... Si on échoue, l'atelier sera en danger ».

« Cette année, on s'est débrouillé grâce à
la réserve parlementaire de Barbara Romagnan,
on ne l'aura plus »

Dispensée par un animateur en contrat aidé et grâce à cinq ordinateurs, cette formation permet aux chômeurs stagiaires d'être autonomes dans leurs recherches d'emploi, d'apprendre à se servir d'une messagerie électronique pour postuler à une offre, d'un outil de traitement de texte, d'un tableur...

Elle complète bien l'atelier de défense des droits qui consiste à accompagner les chômeurs dans des démarches complexes, parfois conflictuelles, avec Pole emploi, une administration ou un opérateur de téléphonie. Il s'agit aussi d'aider à remplir des dossiers de demande de CMU ou de RSA n'est pas toujours facile... Les militants d'AC ! se font davantage de souci pour ce service : « on a besoin de 6500 euros par an pour qu'il fonctionne, mais la subvention a diminué d'un tiers et est tombée à 2000 euros. Cette année, on s'est débrouillé grâce à la réserve parlementaire de Barbara Romagnan, on ne l'aura plus », constate Charles Piaget.

Il en a gros sur la patate et a l'impression de s'être fait avoir par la Ville : « Quand on a eu une réunion avec Karima Rochdi (conseillère municipale déléguée au contrat de ville), une chargée de mission a dit que ce serait mieux qu'on fasse de la défense des droits plutôt que de l'insertion, mais on nous a caché que cet intitulé était moins subventionné », ajoute l'ancien syndicaliste.

« On a voulu se débarrasser de nous »

Du coup, AC ! a écrit au maire qui a répondu « comprendre [ses] interrogations sur l'évolution des subventions, mais nos budgets sont contraints et nous donnons la priorité aux quartiers prioritaires ». Karima Rochdi, que nous avons interrogée, confirme : « dans un contexte budgétaire compliqué, les priorités ont été revues et AC ne rentre plus dans les critères ». Un atelier identique a d'ailleurs été créé à Planoise, et comme AC ! est dans la Boucle, quartier non prioritaire, son atelier n'est plus dans les clous ! « On a voulu se débarrasser de nous », s'insurge Martine Chevillard, jeune retraitée de l'enseignement et militante de l'association.

C'est peu dire que la situation angoisse les militants d'AC ! : « si un jour on est confronté aux licenciements car on n'a plus de fric, ce sera un problème... Là, on tient la route jusqu'en septembre 2018. Après, c'est l'inconnu... Si on ne peut plus avoir d'emploi aidé, il faudra qu'on se transforme en conseillers, qu'on tienne des permanences... On ne pourra pas », résume Charles Piaget. Et quand bien même les emplois aidés seraient toujours là, leur durée déterminée a ses limites : « le problème, c'est qu'on se passe de compétences acquises », souligne Mme Chevillard.

Fondé en 1993 par des syndicalistes proches de Solidaires, des militants associatifs et des chercheurs, AC ! compte une quinzaine de comités en France, dont celui de Besançon. L'association ne fait pas que de la formation et de l'accompagnement, mais incite aussi les chômeurs à s'organiser et lutter. Elle critique la nouvelle convention Unedic, combat la réforme en cours du code du Travail et sera dans la rue le 12 septembre. Son bulletin Résister ! dénonce l'orientation ultra-libérale de l'Europe et la baisse des dépenses publiques, porte des revendications favorables à aux droits sociaux. « Un emploi, c'est un droit, un revenu, c'est un dû », est par exemple un de ses slogans. 

« On ne joue pas le jeu »

Cette orientation a un revers : « on n'est pas bien vu, on est atypique, on ne joue pas le jeu de la municipalité », note Charles Piaget. Martine Chevillard souligne aussi ce qui lui semble être une préférence municipale pour l'association Solidarités Nouvelles face au Chômage, qui dispose d'une antenne bisontine. Créée par un ancien du cabinet de Jacques Delors à partir du groupe Spiritualité et politique, SNC est proche de la CFDT et fait dans l'accompagnement personnalisé sans remise en cause de la politique économique.

AC ! a connu quelques moments de gloire médiatique. Dans les années 1998-99 quand des sites de l'ANPE furent occupés pour que les chômeurs touchent une prime de Noël. Puis en 2004 lors de l'affaire des « recalculés » qui contestaient la baisse voire la suppression d'allocations de certains chômeurs et avaient remporté des victoires judiciaires douchées en 2007 par la cour de cassation.

Entre temps, l'association a connu en 2006 une scission entre, pour simplifier, des révolutionnaires anti-institutions et des proches du syndicalisme de Solidaires et de la FSU. « Ça a été violent, je me suis fait traiter de vulgaire social-démocrate », témoigne le Bisontin Bernard Sérafinowski, un temps salarié d'AC ! Besançon, aujourd'hui retraité. Ce qui a de quoi faire sourire, l'intéressé étant proche du NPA. Le comité de Besançon n'avait pas été impacté par cette controverse : « Charles [Piaget] pilotait, on n'était pas sur une ligne de collaboration de classe... »

Inquiet pour l'avenir de l'association, il déplore l'attitude des « consommateurs de solutions à leurs problèmes » qui s'investissent trop peu une fois qu'on leur a donné des informations. Il estime aussi qu' « AC ! doit avoir des militants plutôt que des bénévoles... » Les militants tiennent les banderoles dans les manifestations, les bénévoles, c'est moins sûr. Après celles de l'an dernier contre la loi El Khomri, les animateurs bisontins d'AC ! estiment qu'il « faut apparaître » lors du défilé du 12 septembre auquel CGT et Solidaires appellent contre la réforme du code du travail par ordonnance... « On va rentrer dans un mouvement long », prophétise Alain Tambolini. « On ne sait pas », philosophe Charles Piaget qui craint « le grand jeu de la division ».

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