Assassinat du 8 mars à Besançon, portrait d’un gamin, d’une affaire, d’un quartier

Ce 8 mars, une énième fusillade a eu lieu à Besançon. La treizième depuis novembre, principalement concentrées sur le quartier de Planoise. Le bilan de cette guerre des territoires pour le contrôle du marché de la drogue est très lourd : onze blessés par balles, un centre commercial ravagé par un incendie et désormais un mort, abattu à proximité du centre-ville. Peut-être celui de trop. Houcine, la victime, un Planoisien comme les autres occupants du véhicule pourchassé et cible des tirs, n’était lui pas dans le business. C’est ce que décrivent ses proches et la police. C’est une victime « collatérale », car c’est, vraisemblablement un des passagers qui était visé.

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Un gamin du quartier comme les autres

Je connaissais personnellement Houcine et les siens. Nos familles vivaient à un petit bloc de distance, au cœur du secteur des « Époisses » (usuellement « Franche-Comté »). Installés sur place en juin 2006, nous avions rapidement sympathisé à notre rencontre courant 2010. Nous nous retrouvions avec Assia, Salim, Mohamed (*), et bien d’autres, les soirs d’été, notamment lors du saoûm. Ses proches jamais loin, fidèles à leur tempérament forgé à Khenchela. Gamins du quartier tenant les barres, le rituel était immuable devant le supermarché « Norma. » Des discussions sur le quotidien, des débats de société, ou des échanges musicaux, entre parties de football et apéritifs.

Passionné de rap tant percutant que conscient, impliqué en mécanique dont il avait pu faire son activité, croyant observant et ouvert d’esprit, Houcine était aussi un des rares à s’intéresser réellement à la « chose publique. » Il me surnommait gentiment « Monsieur politique », à cause des très longs arguments qu’on se lâchait, encore récemment sur Facebook, à propos de géostratégie, de droit des minorités, ou sur notre sensibilité commune de la cause palestinienne. Je me rappelle surtout, comme tous ceux qui ont été sur son chemin, de son caractère chaleureux, respectueux, curieux, toujours dans l’empathie et le service, joyeux malgré la disparition du paternel deux ans plus tôt.

« Il aidait spontanément ma mère à porter les courses » se remémore ainsi Karim, avec qui nous « traînions. » Chacun, je crois, conserve un souvenir équivalent. Nous nous sommes un peu perdus de vue à partir de 2015 et mon départ pour « Cassin », tout en nous croisant fréquemment dans cette « ville dans la ville » de quelques 20 000 habitants. À chaque fois, il me demandait de mes nouvelles, si mes proches allaient bien, comment se dessinaient mes projets. Dernièrement il escomptait lancer son entreprise, dans son domaine de prédilection. Parcours d’un type sans embrouilles, dont les témoignages louant la personnalité et dressant un portrait sans tâche pleuvent.

Le sempiternel coup du casier judiciaire

Certains confrères, par la voix du parquet, estiment devoir évoquer qu’Houcine a eu affaire à la justice par le passé. Nous en avions parlé ensemble en novembre 2014, quelques jours avant son procès pour violences sur personne dépositaire de l’ordre public. Alors mineur, il m’a rapporté avoir subi un énième contrôle d’identité de la part d’une compagnie de CRS. Le 5 décembre 2011, j’avais pu moi-même constater comment les « jeunes de cité » pouvaient être traités par ce corps sécuritaire à Besançon, et je lui ai donc naturellement apporté mon soutien. Il a reconnu avoir perdu son sang-froid, ayant eu une réaction de lassitude violente. Depuis, outre une conduite sans permis, c’est le néant absolu.

Un cursus maigre, loin du statut de baron de la drogue. C’est d’ailleurs ce que confirment nombre de ses fréquentations, qui toutes décrivent quelqu’un « qui ne touchait ni à l’alcool ni aux joints. » Une source policière abondera pleinement en ce sens. « Lui, il est certain qu’on ne l’a jamais vu sur un point de deal », précisera-t-elle. Lors d’une affaire criminelle, dans ce cas, est-il pertinent de ramener, en détail, en bonne place, et dans la sphère publique, un protagoniste à son casier judiciaire ? Cette donnée, censée seulement étayer, jette désormais en pâture l’onction ou l’opprobre suivant l’estampillage « des services. » Surtout, qu’ici, le stup’ est présent à toutes les sauces.

Combien d’entre nous seraient aussi coupables, pour une taffe ou une amitié… Je n’ai, de ma vie, jamais fumé, manipulé, ou « brassé » du narcos. Mais vous finissez forcément par être « contaminé. » Comme un soir, il y’a dix ans, chez un collègue, alors que je cuisais des crêpes ; un autre brûleur de la gazinière est alors utilisé pour ramollir une plaquette de shit, et chauffer le couteau en vue de la découp ». Une anecdote distante, mais blâmable parmi bien d’autres, auxquelles on finit par s’habituer.

Là au mauvais endroit, au mauvais moment

Il ne s’agit pourtant pas d’éclipser un passif pertinent lorsqu’il l’est, ou d’excuser des dérives innommables qui deviennent la règle. Mais ce qu’il ressort, et ce qu’il convient de dire, sans attendre, ni tourner autour du pot, c’est bien qu’Houcine est une victime de ce merdier. C’est du moins ma conviction. Si aucun « compte » y compris délictueux et fautif ne mérite d’être « réglé » de la sorte, la conclusion est d’autant plus injuste et cruelle le concernant. Pour lui, et sa famille. Mais comment expliquer cette dérive « à la Marseillaise » ? Une quinzaine de balles, au 9 mm. En pleine rue, à Besançon même. Un mort, un blessé grave. Une « exécution » lâchera un contact.

La course-poursuite aurait débuté dès Planoise, plusieurs témoins la relevant à Saint-Ferjeux, un autre consulté par nos soins confirmant mordicus un passage rue de Dole à Butte, pour se terminer tragiquement avenue Siffert. Le jeune conducteur apparaît être « un dommage secondaire. » C’est un de ses amis d’enfance, présent dans le véhicule, qui aurait été visé. Une grande part des sources consultées, policières, proches, et acteurs informés du quartier, permettent de recouper raisonnablement cette version. Certains évoquent une histoire de dettes, d’autres précisent qu’un des frères du passager est mis en cause dans l’incendie de la fourrière le mardi 31 décembre dernier.

Quant aux auteurs présumés, plusieurs noms circulent déjà. Une arrestation aurait eu lieu dans la nuit d’hier. Difficile de faire la part des choses, et d’en savoir davantage lorsqu’ici plus qu’ailleurs le silence est d’or. Mais là où tous s’accordent, c’est sur le gâchis du bilan. « Le gamin était là au mauvais endroit au mauvais moment, cela semble évident » abonde un policier. Plusieurs « anciens » — « charbonneurs » inclus — regrettent aussi cette escalade mortifère. « Ça va trop loin. Ma petite sœur était au groupe scolaire Picardie lors de la fusillade du vendredi 10 janvier dernier… elle aurait pu prendre une balle ce jour-là » résume l’un d’eux.

Planoise en ébullition

La tension semble extrême. « Le risque d’un engrenage est certain », déclare une source policière. « La plupart des minots sont dans une logique de vengeance », complètent deux figures du quartier. Et précisant : « mais qui est vraiment l’ennemi ? Certains se montent la tête, et on court droit à la catastrophe. » La marche du 1er mars dernier « contre les violences » devait apaiser les choses, mais n’a rassemblé qu’une petite centaine de personnes. Au sein desquels une très large part de candidats aux municipales et leurs soutiens. « Un phagocytage révoltant » qui en a choqué et refroidit plus d’un, dira par exemple Rémy Vienot, associatif notoire souvent de passage dans le quartier.

Kamel Hakkar, président de Radio Sud et militant de la première heure, n’hésite pas à aller plus loin. « A la mairie, ils ont bousillé le tissu social et relationnel de Planoise depuis des années ! La suppression des correspondants de nuit, la baisse de dotation aux maisons de quartier, l’absence d’une vraie politique associative, le manque total de perspective et de gestion d’un site aussi important qui devrait avoir à minima un adjoint spécifique, c’est tout cela qu’on paie. Avec la restructuration urbaine, vous avez des clans venus d’autres zones urbaines sensibles (ZUS) qui se sont installés et provoquent le chaos… et il n’y a plus rien pour y faire face. »

Sur place, la situation reste explosive. « J’ai plus de vingt ans de métier, et on n’en a jamais été à ce point-là à Besançon » tranche ainsi un uniforme. Côté hiérarchie, la pression est maximale. Une partie de la population compare le contexte à Chicago, les plus connaisseurs admettent que la référence marseillaise n’est désormais plus exagérée. Les candidats aux municipales, eux, réagissent à chaud le plus souvent dans la réponse sécuritaire. Mais le diagnostic semble encore plus grave. « Qu’a-t-on fait pour ces cités ? » tance la figure Kamel Hakkar, pour qui une éventuelle « reconstruction » s’étalera sur des années et avec bien des volontés.

Bouleversements des dominations locales, influences externes notamment parisiennes, passage du cannabis à l’héroïne et à la cocaïne, rentabilité des points de vente dont celui le plus juteux d’Île-de-France pouvant monter à 15 000 €/jour, autant de réalités, qui s’ajoutent à des chiffres de paupérisation et de chômage notamment des 18-25 ans trônant au podium des plus élevés dans la région, ainsi qu’aux enjeux de l’éducation et de la citoyenneté qui restent plus que jamais à surmonter. Bien des batailles sont à mener, sans doute plus ardues que les promesses de campagne. Hier, Houcine devait fêter ses vingt-trois. Il est mort la veille de son anniversaire, pour rien.

 

 

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