Arrêts sur images, arrêts sur le temps

Tony Gatlif, Kiyochi Kurosawa, Lou Doillon sont les têtes d’affiche du 29 ème Festival Entrevues de Belfort qui se tient du 22 au 30 novembre. Ce « festival international du cinéma indépendant et novateur » propose de grandes rétrospectives et a souvent primé les premières oeuvres de futurs grands auteurs.

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A Belfort, chaque année le Festival Entrevues donne rendez-vous au public pour un grand voyage à l’intérieur du cinéma et qui dit voyage, dit aussi arrêts sur image, découvertes et au-delà, élargissement de notre vision du monde… Du 22 au 30 novembre.

Les routes de Tony Gatlif

Cette année le mot voyage se décline en ouvrant une large fenêtre sur l’univers du cinéaste Tony Gatlif, avec la présentation de deux inédits La Terre au ventre, sur la guerre d’Algérie, considéré comme perdu depuis 1978, et Corre gitano, réalisé en 1981, où l’auteur revendique la condition gitane. Et ils sont fiers Les Princes d’une cité HLM de porter en eux leurs rêves de voyage. Et le jour où ils décident de tout plaquer dans Je suis né d’une cigogne, on retrouve l’esprit libre et l’humour du cinéaste. Déplacements et musique encore dans Gadjo Dilo, flamenco et vengeance (Vengo), jazz manouche (Swing), tous les films du cinéaste révèlent la musique des âmes blessées, l’attrait des routes du monde, le droit à la différence, la beauté du chant tzigane.

Avec des milliers de petites lumières, l’œuvre de Tony Gatlif éclaire l’univers des gitans, son impérieux désir de liberté avec en contrepoint l’exil, sa douleur et son errance, sa musique et son mouvement, son militantisme et sa solidarité.

En quelques mots, son chant profond.

Visions de la société japonaise

Une autre rétrospective intitulée Japon esprits frappeurs revient sur la cinéphilie de Kiyoshi Kurosawa en révélant les films à l’origine de son propre cinéma. La règle du jeu de Double Feature est simple : en face de chaque œuvre du cinéaste, un autre film mis en écho permet au spectateur de décoder son univers ; ainsi le film de David Cronenberg, A history of violence, serait une figure tutélaire, ou du moins une source d’inspiration, pour le film Tokyo Sonata où il est question de l’implosion de la cellule familiale dans une société japonaise soucieuse de préserver les apparences. Poursuivant cette réflexion sur le décryptage des images et du Japon, Entrevues revisite l’œuvre intégrale de Satoshi Kon, auteur de Perfect Blue, film-culte sur les dédales de la psyché d’une chanteuse au parcours chaotique.

Le cinéma et le temps

Enfin, Entrevues convie à un voyage dans le temps, thème choisit cette année pour la Transversale, autre rétrospective d’une trentaine de films, depuis Histoire d’un crime de Ferdinand Zecca (le premier fashback de l’histoire du cinéma (1901) jusqu’au dernier film Le vieillard de Restello de Manuel de Oliveira (2014). Depuis les premières vues Lumière où le temps dépendait de l’autonomie de la pellicule jusqu'à aujourd’hui, le cinéma est l’art de malaxer le temps, de le faire avancer ou reculer. De le raccourcir aussi. Au cœur de cette programmation le film La Jetée de Chris Marker montre comment une image d’enfance permet à un homme de retrouver le chemin de son passé. Pour réaliser ce saut dans le temps (un des plus poétiques du cinéma) Chris Marker joue sur le rythme des images immobiles, le défilement, la musique et la bande son. Après une tentative de suicide, dans Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais un homme devient cobaye d’une expérience d’un retour d’une minute dans son passé. Mais la machine se dérègle et il se promène dans son passé par de nombreux petits retours d’une minute. Dans son livre L’Image-Temps, le philosophe Deleuze disait qu’il est « un de ces films qui nous montre comment nous habitons le temps, comment nous nous mouvons en lui, dans cette forme qui nous emporte, nous ramasse et nous élargit ».

Le cinéma d’aujourd’hui

Si le cinéma nous permet de nous projeter dans le temps, il est présent ici et maintenant dans la compétition belfortaine puisque chaque année le Festival montre les premières œuvres de jeunes cinéastes internationaux à l’instar de Sud Eau Nord Déplacer, d'André Boutet, présenté l’été dernier au Festival de Locarno ou encore Je suis le peuple, d’Anna Roussillon, récemment primé à Jihlava (Meilleur documentaire et Meilleur Premier Film).

Nombreux sont les jeunes auteurs (aujourd’hui reconnus) dont les premiers films ont été primés à Belfort : Laurent Cantet, Leo Carax, Nicolas Philibert, Claire Simon, Tariq Teguia.

En dehors de son travail de découvreur de talent et de travail sur la mémoire, le Festival est aussi un lieu d’expérimentation où le son, l’étude des œuvres, des installations, le cinéma et l’histoire, la musique (Eurocks One plus One avec Lou Doillon) des séances scolaires, des journées professionnelles trouvent leur place dans une programmation dense et diversifiée.

Entrevues, vaste voyage dans le cinéma, devient au fil du temps le lieu où s’écrivent les histoires du monde. Les décrypter par l’image revient à lire entre les lignes, les douleurs et les utopies des hommes.

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