Amiante au CHU de Besançon, la cour d’appel confirme la culpabilité de la direction

Quatre mois après l'audience, la cour d'appel de Besançon a confirmé le 18 octobre l'amende de 40.000 euros d'amende avec sursis infligé par le TGI à l'hôpital pour mise en danger de la vie d'autrui, en l'occurrence près de 40 salariés. Nouveauté : la chambre reconnaît comme victiles toutes parties civiles.

Nous remettons à la une le compte-rendu d'audience publié le 20 juin.

victimes

On se souvient que par un jugement, prononcé le 30 novembre 2016, le CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire) de Besançon avait été reconnu coupable d'avoir mis en danger la vie d'une cinquantaine de salariés en les exposant à l'amiante « par violation manifeste et délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence » au cours d’une période courant de 2009 à 2013. Le tribunal correctionnel avait alors prononcé une peine d’amende de 40.000 euros avec sursis. C'était la première fois en France qu'un établissement public - de surcroit un hôpital - était condamné pour la mise en danger délibérée de la vie de ses salariés concernant le risque lié à l’amiante.

Suite à cette condamnation, la direction du CHU Jean-Minjoz avait fait part de son intention de se porter en appel de ce jugement, faisant valoir, entre autre, que l'hôpital avait été relaxé pour ce qui concerne le cas d’une partie des salariés s’étant portés partie civile : « Ce jugement nous paraît pour le moins ambigu : une relaxe a été prononcée sur une partie des faits, alors que l'hôpital a été condamné sur les mêmes faits par ailleurs, pour d'autres agents », avaient fait remarquer Claude Evin, ancien ministre de la santé, et Pierre-Yves Fouré, conseils de la direction de l'hôpital.

Jeudi 14 juin 2018 s’est donc tenue l’audience en appel de cette condamnation.

Compte-rendu

9h - L’audience, présidée par Franck Taine de Mullet, a été déclarée ouverte à neuf heures précises. Après un rappel détaillé des faits, le président, insistant sur la faute aggravée imputée au CHRU que représente une volonté délibérée de nuire à la santé de ses agents, donne la parole à directrice actuelle du CHRU, en qualité de personne morale.

9h37 - Mme Chantal Carroger (qui n’occupait pas la fonction de direction au moment des faits incriminés ) récuse fermement l’idée même que le CHRU puisse avoir sciemment et délibérément agit en la circonstance. « Le CHRU, dit-elle, constitue une équipe œuvrant pour le bien public et a le principe même du dévouement à autrui dans ses gènes ».

Réglementation changeant sans cesse

Le président fait ensuite appeler Stéphane Thuillier, inspecteur du travail. Celui-ci dépeint l’hôpital comme une machinerie lourde, complexe, lente à réagir. Il fait également remarquer que la réglementation relative à la présence d’amiante n’a cessé d’évoluer depuis 1996, ce qui rend l’appréciation des choses difficile. Il rapporte que globalement, jusqu’en 2010, la réglementation du décret santé semblait avoir été respectée par le CHRU, mais sans qu’il y ait eu une véritable évaluation des risques d’exposition à l’amiante pour le personnel de maintenance, la direction du CHRU s’en remettant à l’initiative propre des agents pour aller quérir l’information mise à leur disposition.

Un changement se serait produit en 2011, se traduisant par une accélération de l’évaluation des risques et l’élaboration d’un plan de prévention. Enfin à la question directe du président de séance demandant s’il y avait eu dissimulation d’information de la part du CHRU relativement à la présence d’amiante, l’inspecteur du travail répond en évoquant le turn-over important dans le personnel de direction à l’époque considérée, susceptible de diluer les responsabilités.

10h40. La parole est alors donnée au médecin du travail en charge du secteur Jean Minjoz de l’hôpital. Celui-ci insiste sur la préoccupation, depuis 2009, d’effectuer davantage de prélèvements pour détecter d’éventuelles présence de l’amiante dans les bâtiments du CHRU.

Connaissances fluctuantes

11h35. C’est ensuite au tour de Jérôme Coulon, ingénieur « sécurité » au CHRU d’être entendu. En charge des risques professionnels, il s’occupe plus particulièrement du désamiantage et du diagnostic technique le concernant. Compte-tenu de l’expertise acquise sur le site de Besançon, il participe aussi à un groupe de gestion du risque amiante auprès d’autres CHU. Il œuvre à la réalisation de « fiches de postes » propres aux différents agents, intégrant des consignes de sécurité dans les divers processus de travail. Insistant également sur l’évolution des connaissances et des réglementations, il souligne qu’il convient d’ajuster l’appréhension du risque amiante en fonction de ces connaissances fluctuantes et des périodes considérées.

12h40 : suspension de séance.
14h : reprise de l’audience.

L’audition de Jérôme Coulon, ingénieur sécurité, se poursuit. Il rappelle le caractère évolutif des situations, et pointe la difficulté pour un non-spécialiste en matière informatique de « naviguer » sur le dossier technique amiante dématérialisé (DTA) réalisé par le CHRU. En fait, il touche là au problème de fond de la question : le hiatus entre les agents de conception et les agents d’exécution dans la gestion de l’information relative au risque lié à l’amiante.

Documentation amiante quasi illisible

L’inspecteur du travail, Stéphane Thuillier, est de nouveau entendu. Dans le prolongement des remarques de Jérôme Coulon, il souligne la difficulté pour un simple technicien de « lire » les informations contenues dans le document dématérialisé du dossier technique amiante, estimant que le cœur du problème est que l’encadrement du CHRU a en quelque sorte sous-traité la gestion de ces informations en l’abandonnant aux intervenants.

14h55. L’actuelle directrice du CHRU ainsi que la directrice des travaux interviennent ensuite et reviennent sur les obstacles à une gestion limpide de la situation compte-tenu de la complexité de la structure hospitalière du CHRU (quelque 8.000 locaux !) et du caractère évolutif des connaissances et des réglementations. « 42.000 prélèvements ont été réalisés, on continue d’en faire et ce sont 28 millions d’euros qui ont déjà été engagés pour le désamiantage. Le CHRU a fait tout ce qu’il était possible de faire en fonction des réglementations en fonction des informations à chaque fois disponibles. »

« Il m’est tombé des gravats dessus... »

Puis ce sont successivement deux des agents constitués partie civile qui viennent témoigner. Ils rapportent avec émotion les situations concrètes qu’ils ont vécues. Un technicien en électricité : « il m’est tombé des gravats dessus... » ; un ouvrier : « il y avait des fissures, il y avait de la poussière que je devais nettoyer à chaque fois... ». Leur témoignage est fort, exprimant tout à la fois inquiétude et ressentiment à l’égard de la direction de l’hôpital.

15h55 : suspension de séance.
16h10 : reprise de l’audience.

Me Anne-Sylvie Grimberg, avocate des parties civiles entame sa plaidoirie (qui durera une heure). A travers une rhétorique empreinte de pathos, exacerbant les éléments de conflictualité, elle pointe les manquements qu’elle estime imputables à la direction du CHRU et demande la confirmation de la condamnation de l’hôpital. Elle évoque également un recours devant le tribunal administratif afin que les victimes potentielles - à ce jour aucun des agents du CHRU n’a été diagnostiqué pour trouble de la santé dû à l’amiante -, puissent chacune obtenir une indemnisation de 10.000 euros pour préjudice moral et psychologique.

Amende superfétatoire

17h10. Puis Me Michel Ledoux, conseil de la fédération santé CFDT et de l'ANDEVA (Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante), intervient. Très « technique », s’exprimant avec une sobriété forte, il revient sur la question de la mise en danger de la vie d’autrui, soulignant qu’à partir du moment où l'évaluation des risques s’était révélée défaillante, le défaut de prévention s’en suivait inéluctablement. Il demande in fine que la constitution de partie civile de la CFDT soit déclarée recevable.

17h40. L’avocat général, Jean-François Parietti prononce le réquisitoire.

D’un ton mesuré, l’avocat général s’interroge sur le fait de savoir comment il a pu se faire que le CHRU ait accumulé autant de manquements au code du travail : pas d’évaluation des risques ; cumulation d’éléments caractérisés de mise en danger de la vie d’autrui ; violation manifeste de la réglementation du code du travail ; manque de prise de conscience de ses responsabilités... Il requiert de ce fait confirmation de la condamnation prononcée en première instance, jugeant toutefois superfétatoire l’amende de 40.000 euros en étayant sa proposition par un raisonnement frappé au coin du bons sens : le CHRU étant un organisme public, il apparaît absurde qu’un organisme public soit condamné à verser de l’argent public à un autre organisme public (le ministère de la Justice)... CQFD !

17h55. Claude Evin, défenseur du CHRU déclare en préambule que l’appel formulé par la défense ne vise évidemment pas les agents du CHRU, mais qu’il s’agit là d’abord d’une question de principe. Puis il revient, de façon très circonstanciée sur l’article 223 – 1 du code pénal, relatif à la mise en danger de la vie d’autrui au titre duquel le CHRU a été initialement condamné. Il montre que les divers éléments constitutifs de l’infraction ne sont, en la circonstance, pas réunis.

Rappelant la complexité ainsi que l’évolution des réglementations déjà soulignée par différents témoins (inspecteur du travail, ingénieur sécurité etc...), il affirme que le non-respect d’un règlement ne constitue pas en soi une exposition à un risque et déclare que de ce fait l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui ne peut être retenue. Il demande donc à la cour la relaxe du CHRU. Son collègue, Me Pierre-Yves Fouré, renchérit en soulignant que le CHRU n’est pas resté inerte relativement à la question de l’amiante, puisque dès 2009 le directeur avait pris la décision de tout désamianter sur le site du CHRU.

19h10. Enfin, Mme Chantal Carroger, actuelle directrice du CHRU au nom duquel elle s’exprime en qualité de personne morale, tient à redire son émotion, se disant bouleversée par cette situation. Elle se dit sincèrement désolée et émue par les témoignages des agents qui ont été entendus. Cet imbroglio, confie-t-elle, ne relève pas de la conception qu’elle se fait des relations qui doivent à son avis exister entre des personnes qui œuvrent conjointement au bien public.

19h15. L’audience est levée. (Jugement le 18 octobre).

 

 

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