Agriculture biologique : en avance sur la région, le Jura piaffe

Un vigneron sur quatre est en bio mais à peine 6% des surfaces céréalières qui viennent d'augmenter d'un tiers tandis que les conversions en lait frémissent. Le volontarisme de Lons-le-Saunier, avec sa restauration collective, a structuré les filières bio viande et légumes. L'agrobiologie jurassienne est à l'aube d'une crise de croissance qui pose des questions politiques.

bio-jardin

L'agriculture biologique jurassienne est la plus dynamique de Franche-Comté. Avec 244 fermes dont près de la moitié adhère au GAB-39, le groupement des agrobiologistes, le département fait nettement mieux que le Doubs dont un tiers des 150 paysans bio est syndiqué au GAB-25. Ce dont se félicite Pierre Chupin, producteur de petits fruits à Devecey, près de Besançon, et président du GRAB, le groupement régional. « Un vigneron jurassien sur quatre est désormais en culture biologique, pour près de 18% des surfaces », précise Antoine Pignier, le viticulteur de Montaigu qui préside le GAB- 39.

En comptant sur ses doigts, il fait le compte de ceux qui rejoignent un mouvement initié il y a près de quarante ans à Maynal par Claude Buchot. « On n'avait plus envie de toucher aux produits chimiques et les consommateurs se posent toutes ces questions. Car quand on épand un pesticide, on épand de la violence qui nous revient à la figure par la pollution. On ne peut pas sortir indemne de cette situation », explique Antoine Pignier.

 « Le bio, c'est de l'emploi »

La viticulture jurassienne s'est également dotée en 2010 d'une association de promotion, le Nez dans le Vert : « on est quarante adhérents qui représentent un peu moins de 300 hectares, y compris des collègues en conversion », témoigne son président Stéphane Tissot, vigneron à Montigny-les-Arsures, devant l'assemblée générale du GAB, réunie jeudi 11 février à Arlay. A l'argument sanitaire, il en ajoute un qui, logiquement, devrait être entendu du monde politique : « à chaque fois qu'un hectare de vigne passe en bio, ça fait de l'emploi : on compte un emploi pour deux hectares en bio, un emploi pour quatre hectares en conventionnel... »

Mais la logique semble court-circuitée par autre chose car il insiste : « le GAB devrait être davantage soutenu par les organisations professionnelles et les politiques. En plus, la Safer ne joue pas toujours le jeu : récemment, une grande structure en conventionnel a repris 5 à 6 hectares en bio alors qu'un jeune voulait s'installer ». Plus tard, Christophe Buchet, vice-président de la chambre d'agriculture du Jura et producteur de lait à comté, protestera mollement en commençant par se défendre : « Je ne suis pas souillé par les pesticides... Ne stigmatisez pas une production... Même si vous semblez en douter, il y a un engagement de la chambre sur le dossier du bio ».

La région absente

Quant aux politiques, ils sont absents. La région n'est pas là La présidente Marie-Guite Dufay assure ne pas avoir été invitée, mais le GAB-39 assure l'avoir fait.  Le département a envoyé un fonctionnaire du service action économique, Pierre Turuani : « nous apprécions le travail du GAB », commence-t-il avant de passer le message de l'exécutif : « notre financement sera au même niveau qu'en 2016, mais la loi NOTRe ne nous permet pas de continuer à financer l'animation en 2017 : nous relaierons votre travail à la région... » Il faut une question de la salle pour qu'il précise que le département pourra, via sa politique territoriale, aider les communes ou communautés de communes qui s'équiperaient pour soutenir l'agriculture bio...

Ça ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Jacques Lançon, l'adjoint écolo au maire de Lons-le-Saunier, sait bien le rôle d'une collectivité locale de base en la matière : « l'agriculture biologique [dans les cantines] a fait la preuve que nous avons reconquis la qualité de l'eau... Nous sommes passés en quelques années de 24 milligrammes de nitrates à 17. Et nous voulons continuer à voir ce chiffre baisser... Les collectivités ont un rôle énorme dans la structuration des filières : le code des marchés publics a évolué pour favoriser la production locale en intégrant la notion de bio ».

Les collectivités locales structurent la filière : l'exemple lédonien

Un exemple éclatant est fourni par l'Entente bio-élevage : « Au départ, en 2006, quatre exploitations se sont regroupées pour répondre à un appel d'offres de la ville de Lons et on ne pouvait fournir que deux bêtes par mois », explique Francis Charrière. « En 2011, le restaurant municipal nous a demandé de nous regrouper davantage en nous réclamant 20 bêtes par mois. On leur fournit aujourd'hui 140 tonnes par an... On vient de passer de 40 à 50, et des éleveurs en conversion bio sont prêts à rentrer dans le groupement : pour l'instant, ils ne vendent pas, mais se servent de notre système pour les approvisionnements, et on a embauché un commercial... »

Un autre exemple est celui de l'Entente bio maraichère : « On est une trentaine contre zéro il y a dix ans », souligne Jean-Baptiste Rozé, maraîcher à Rahon. « On s'est groupé avec des collègues du bassin d'Auxonne, on a livré 90 tonnes en 2014 et 130 tonnes en 2015. Fournir des légumes demande un gros travail de coordination avec la légumerie de Lons. On est en train de finaliser un système de répartition prévisionnelle de la production tout en laissant de la place pour de nouveaux entrants. L'engagement de la ville de Lons montre l'importance du levier de la consommation ».

« Des semences qui correspondent aux terroirs »

Organiser la jeune filière maraichère bio, c'est aussi chercher à garder, ou reprendre, la maîtrise des semences. C'est ce qu'explique Armelle Bidault, maraichère à Montain, de l'association La Graine et le potager, créée en 2011 : « Elle réunit des professionnels et des particuliers, on s'échange et on teste des variétés. On est motivés à faire nos semences car chaque année nous augmentons les quantités et les qualités, et ça fait baisser nos charges... On demande l'aide du GAB et du CEDARB pour nous former, échanger, planifier... Pour permettre à davantage de maraichers de nous rejoindre en Franche-Comté et en Bourgogne car plus on fera de semences, plus on pourra en échanger qui correspondent à nos terroirs ».

Le mouvement vers la bio touche aussi les céréales, présentes dans le tiers nord-ouest du département. Les surfaces en bio ont augmenté de 37% l'an dernier pour atteindre 2235 hectares, et l'on est passé de neuf à dix-huit fermes bio pour un total d'environ 240. On n'est pas au niveau de la viticulture, mais la progression est sensible, la part des céréales bio se situant à près de 6%. Ancien producteur de lait en Bresse jurassienne, à Villevieu, Jean Carmantrand est en bio depuis 2000 : « on fait 160 hectares de céréales et on a un hectare de plants de légumes sous serre qu'on vend à la grande distribution spécialisée. Notre premier client, Botanic, une chaine de jardineries, a supprimé en 2008 les produits phyto de ses rayons ».

« La demande croissante des consommateurs »

Pas trop dur, Jean, de négocier avec des distributeurs ? « Ce sont des ruraux, ça se passe bien et un des associé est éleveur. Mais ça s'est mal passé avec Super-U qui prend les producteurs pour des larbins. Le problème, en bio, c'est qu'il n'y a passe assez de filières. Les producteurs gagnent suffisamment pour penser que ça vaut le coup de les mettre en place, beaucoup en ont bavé dans les coops et ne veulent pas y retourner. C'est différent avec le comté où les coops sont fortes et ont du caractère ».

On imagine dès lors l'important levier de transition vers l'agriculture bio que serait la conversion de la filière comté pour le secteur céréalier. D'ailleurs, une filière soja conventionnelle mais sans OGM pour être compatible avec les fromages AOP, se met en place dans la région... Déjà, la filière comté bio dispose d'un GIEGroupement d'intérêt économique pour collecter les céréales, cependant « les jeunes ne le savent pas toujours », dit Noël Ratte, éleveur à Hautecourt, près de Clairvaux. C'est une des difficultés pour intégrer des nouveaux ou des conversions, malgré la « demande croissante des consommateurs », souligne Attale Mottet, en comté bio à Plasne, sur le premier plateau.

Elle en est persuadé, un fort mouvement de la société vers le bio est en train d'arriver : « des choses se passent : cent personnes n'ont pas pu rentrer à la projection du film Demain à Poligny... » Derrière la remarque, c'est la question de l'orientation institutionnelle de l'agrobiologie qui est posée : « organisons-nous pour faire les choses sans la chambre d'agriculture », ajoute-t-elle. En fait, c'est la façon dont les chambres d'agriculture ne se pressent pas pour soutenir l'agriculture biologique qui est mise en cause par des nombreux paysans bio. Le départ à la retraite d'un technicien de la chambre très impliqué dans l'agrobio leur fait craindre une baisse des moyens d'animation et de soutien technique.

« Dix salariés pour porter la bio en Franche-Comté, ce serait bien »

La fusion des régions est, de ce point de vue, porteur d'espoir car la Bourgogne est déjà dotée d'une structure autonome par rapport à la chambre d'agriculture : le CEDARB. Peut-il être étendu à la Franche-Comté ? « On regarde ça avec envie, si on avait dix salariés pour porter la bio en Franche-Comté, ce serait bien », rêve tout haut Pierre Chupin, le président du GRAB-FC. Dans la salle, plusieurs voix défendent « une orientation des GAB et du GRAB vers plus d'autonomie ». 

C'est en hochant la tête que l'assemblée entend Frédéric Demarest, désormais en charge du dossier bio à la chambre d'agriculture, égrainer les actions de la chambre pour la bio. Le fait qu'elle mêle agrobio et conventionnels dans certaines études agronomiques ou économiques permet, dit-il, de montrer les performances de la bio et « faire réfléchir ». N'empêche, l'impression générale est quand même une mise sous tutelle et c'est cela que les paysans bio ont de plus en plus de mal à accepter.

De même, ils ont du mal à avaler la potion amère de l'Etat qui a conçu des mesures agro-environnementales pour agriculteurs conventionnels aussi intéressantes, voire davantage, que les aides au maintien de l'agriculture bio : une hérésie pour ces derniers. D'autant plus que les enveloppes pour les conversions ont largement été consommées par de grands céréaliers bourguignons : « on avait anticipé 9000 hectares en conversion en Bourgogne, on en a eu 12.000 », explique Samuel Brulet, de la nouvelle direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Bourgogne-Franche-Comté.

Une nouvelle région où le plafond des aides à la conversion est de 40.000 euros en Bourgogne, et 30.000 en Franche-Comté... Ce qui fait dire à quelqu'un dans l'assemblée : « le gouvernement ne peut pas s'appuyer sur la reconnaissance de la bio sans y mettre les moyens... »

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