A Belfort, Le Maire met la pression sur General Electric

En visite à Belfort sur le site de General Electric où se trouvaient presque mille personnes, Bruno Le Maire exige que GE revoie sa copie pour baisser le nombre d’emplois supprimés et demande le maintien de la compétence turbine à gaz à Belfort. Après sa rencontre avec les dirigeants de GE et les syndicats, il évoquait aussi sa crainte d’une « liquidation dissimulée ». Il annonce également la création à Belfort d’une société aéronautique financée par GE et l’État et l’implantation d’un centre dédié à l’hydrogène. L’intersyndicale évoque une rencontre positive, mais n’est guère rassurée. Dehors, après avoir accueilli et salué le ministre par des huées, certains ne croient plus aux discours et parlent de blocage, alors que des turbines s’apprêtent à être livrées…

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Au début de ce lundi après-midi, les salariés de General Electric sortent par groupes de dizaines des ateliers. Ils sont en tenues de travail et ont cessé leurs activités pour participer à l’AG, convoquée tout près du centre d’essai des turbines à gaz. Il n’y a pas que des gens de GE, tous les soutiens y étaient invités, ce qui fait presque 1000 personnes. C’est la première mobilisation depuis l’annonce du plan de licenciement de GE, qui concerne à peine plus de monde : 1045 postes, presque tous ici à Belfort. Les prises de paroles ont débuté à 15h, juste avant l’arrivée de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, sur le site. Le comité d’accueil était conséquent et l’intersyndicale a pu insister sur le fait qu’elle ne laisserait pas passer ce plan de licenciement et de délocalisation de l’activité gaz à Belfort. Ce n’était pas le moment de prendre des décisions concernant l’avenir du mouvement et des actions à envisager, cela se décidera dès le lendemain à l’usine.

 

Bruno Le Maire arrive pile devant et s’engouffre sous les huées dans un bâtiment. Il est venu mettre la pression sur l’entreprise américaine. « Le plan social de GE doit être amélioré. Je suis là pour voir comment nous pouvons construire ensemble l'avenir industriel du site de GE et du Territoire de Belfort », déclare-t-il à la table des négociations face à Antoine Peyratout, directeur des activités gaz de GE en France et à Patrick Mafféïs, directeur gaz Europe. Il est épaulé à ses côtés par la préfète du département et des élus locaux, dont il ne manque pas de saluer les efforts constructifs pour trouver des solutions. La plus prometteuse pour lui est l’aéronautique. L’État, par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement (BPI), engagera autant de fond que GE en investira dans la création d’une filiale dédiée à l’aéronautique, une technologie proche de celle des turbines à gaz. Il dira plus tard que les 50 M€ d’indemnités versées par GE qui n’a pas tenu sa promesse de créer 1000 emplois suite au rachat de la branche énergie d’Alstom, seront aussi ajoutés au capital de cette société. Pour l’heure, nous n’en saurons pas plus. La suite cette discussion, qui n’a pas duré plus de 20 minutes, se déroulait à huis clos.

 

Les journalistes sont priés de revenir quand les syndicalistes prennent à leur tour place face au ministre. Nouveau tour d’image autorisé. Bruno Le Maire affirme que 1045 emplois supprimés, c’est trop. Il ne s’engage pas à chiffrer la baisse qui serait acceptable à ses yeux, et n’est pas là pour « vendre des illusions ». Mais il fait de la réduction du nombre de licenciements « une condition préalable pour que les choses s’apaisent sur le site ». Il est aussi là pour établir « un diagnostic partagé » avec les syndicalistes, qui estiment ne pas avoir été assez compris jusqu’à présent. « J’ai vu par presse interposée que nous pouvions avoir des désaccords sur l’état du marché des turbines à gaz. Comme c’est un sujet complexe, vous le connaissez certainement beaucoup mieux que moi », concède-t-il. Il maintient « un vrai effondrement du marché des commandes de turbines à gaz qui explique les décisions prises par GE » et « reconnaît très volontiers qu’il peut y avoir un avenir d’ici quelques années », ce qui nécessite donc selon lui de garder la compétence turbine à gaz à Belfort. Un discours qui a évolué puisqu’il y a quelques jours il ne voyait pas de débouchés sur ce secteur.

Volonté de conserver les 15.000 emplois de GE en France

Bruno Le Maire fait aussi valoir aux syndicats et à la presse un atout essentiel dont dispose GE pour peser dans la négociation : le nombre de ses employés encore en France. « Chacun ses intérêts, vous défendez ceux des salariés, c’est évidemment votre devoir. Moi je dois faire en sorte que GE garde aussi une empreinte industrielle parce qu’il y a 15000 emplois de GE partout en France, je ne vous dis pas, 15000 emplois… Et donc je pense que rentrer dans une confrontation ouverte avec GE ne serait pas une bonne idée ». Il se montre prudent et en appel au calme, mais reste intransigeant sur sa volonté de baisser le nombre d’emplois supprimés. La suite de cette discussion n’est pas publique non plus. Elle durera près de deux heures.

 

Pendant ce temps, les journalistes sont parqués dans un amphithéâtre, d’où ils ne peuvent pas sortir, et doivent être accompagnés par du personnel de GE pour aller aux toilettes si l’envie leur prend. On peut finalement accéder au grand hall qui jouxte l’amphi et la salle de négociation, les caméras peuvent s’installer pour le point presse, que l’on est tous condamné à attendre là. On ne peut pas aller dehors voir ce qu’il se passe, sous peine de ne plus pouvoir rentrer dans le bâtiment où se trouve le ministre. Cette longueur est peut-être un bon signe, au moins les discussions sont approfondies. Juste derrière les portes vitrées, on aperçoit encore des salariés ou leurs soutiens. Ils sont moins nombreux au fil du temps, certains se sont répartis dans différentes sorties du site pour ne pas rater la sortie de Bruno Le Maire.

 

Quand la réunion se termine, le ministre de l’Économie peut faire sa déclaration. Il fait part d’une crainte qui lui semble nouvelle : celle d’une liquidation du site en plusieurs étapes. L’intersyndicale, qui a détaillé quelques-unes des coupes prévues dans le PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi), estime qu’il ne sera plus possible d’avoir une activité gaz à Belfort avec les compétences visées : 80 % en moins sur l'ingeniering de la conception des centrales, moins 50 % sur le personnel consacré à la « gestion des projets ». Le ministre semble avoir été convaincu par l’argumentaire et avoue ne pas connaître le jeu et les véritables intentions de GE. « Est-ce que c’est un plan d’adaptation à une conjoncture mondiale plus difficile parce qu’il y a pour le moment moins de commandes de turbines à gaz ? Ou est-ce qu’il s’agit d’un plan de liquidation dissimulé ? Je pense qu’il est impératif de clarifier ce point », veut-il faire savoir aux intéressés. « Pour que ça se passe bien, il faut que chacun fasse un pas dans la direction de l’autre ». Il estime avoir fait le sien et attend maintenant celui de GE.

 

Comme à son arrivée, il est conspué et file vite à bord de l’un des derniers modèles Peugeot. Au même moment, les syndicalistes s’expriment un peu plus loin. Ils signalent des avancées et se disent satisfaits d’avoir enfin pu passer leurs connaissances de leur activité si spécifique. Mais les propos de Philippe Petitcolin, syndicaliste à la CFE/CGC qui avait mis un costume pour l’occasion, sont régulièrement couverts par d’autres paroles. « Grève générale ! » « Il faut bloquer l’usine ! » « Arrêtez la complaisance, il faut taper dans le tas ! » « C’est reculer pour mieux sauter ! » Dès le lendemain, il y aura des réunions dans l’usine et certains prévoient déjà des actions de blocage. Sur le site, il y a une turbine sur le départ, et cette fois, peut-être que les salariés de GE ne se contenteront pas de l’accompagner avec fierté, comme ils l’avaient fait une semaine avant la terrible annonce.

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