François Ruffin filme le travail et libère la parole

Le député-reporter (LFI) est venu présenter à Besançon le film « Debout les femmes », co-réalisé avec Gilles Perret. Un « road-movie parlementaire » qui le conduit, avec l'élu Bertrand Bonell (LREM), à la rencontre des travailleuses de l'ombre : auxiliaire de vie, agente d'entretien, accompagnatrice périscolaire... dont beaucoup exercent dans des conditions précaires en étant mal payées.

Ambiance festive Place de la Révolution, en cette après-midi du jeudi 2 septembre. Une foule dense. François Ruffin est attendu pour la projection de son troisième film « Debout les femmes », présenté comme un road-movie parlementaire.

Il arrive et prend la parole : « Je suis heureux d’être à Besançon, ville de Fourier, Proudhon, de Lip. Vous avez les fruitières, les Salines. J’ai appris que la région est aussi le creuset du RMI J’ai passé l’après-midi avec Charles Piaget. On a un devoir de rattachement à autre chose : à la place des biens, les liens ; à la place de la mondialisation, le local ; à la place de la croissance, le partage.  Besançon devrait être le fer de lance dans le pays de cette révolution solidariste.  Dommage qu’il n’y ait pas ici un musée de l’entraide et de la solidarité. Il y a un ferment ici pour remplacer la compétitivité par comment on fait pour s’organiser ensemble, pour remplacer ce qui broie les hommes. »

Et la Fanfare de Battant se met en marche, attire un joyeux attroupement jusqu’à l’entrée du cinéma Mégarama.

Rencontrer les femmes de l’ombre

François Ruffin est un fonceur. Le film commence par une séquence d’archives, sa prise de parole dans l’Hémicycle sur la condition des femmes de ménage. Par la suite, il parvient à « arracher » une mission parlementaire sur les « métiers du lien » et décide avec son complice Gillet Perret (co-auteur avec lui de « J’veux du soleil ») de réaliser un road-movie. Aller voir ce qui se passe à Dieppe, Amiens et dans d’autres villes du Nord. Ils partent filmer le travail de ces femmes de l’ombre ; animatrice périscolaire, accompagnante d’enfant en situation de handicap, auxiliaire de vie sociale ou agente d’entretien. Qui sont-elles, ces femmes qui travaillent dès l’aube et s’occupent des autres sans la moindre reconnaissance, avec des salaires de misère (plusieurs d’entre elles gagnent autour de 800 euros) ? Qui sont ces femmes dont la santé s’altère à force de porter et soutenir de grands malades ? Dans quelles conditions exercent-elles leur métier ?

Filmer pendant le confinement

Dans le cadre de cette mission, François Ruffin est accompagné du député startuppeur Bertrand Bonell (LREM). Ce couple improbable avec son côté Laurel et Hardy apporte un piment humoristique au film.

D’une ville à l’autre, ils recueillent les témoignages des femmes.  Le confinement arrive. Dans le flot des déclarations télévisuelles sur la pandémie, Emmanuel Macron déclare : « Il faut se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ».

Alors que la France entière est figée, François Ruffin reçoit des appels d’auxiliaires de vie sociale : elles sont obligées de travailler sans blouse, sans gel et sans masque. 

Gilles Perret et François Ruffin décident alors de continuer le film malgré le confinement. Ils filment une soignante après sa journée de travail : elle fabrique des sur-blouses dans un coin de la cuisine tout en s’occupant de ses enfants.

 Le Covid n’était pas prévu et pendant la pandémie, un autre réel va nourrir le documentaire, celui des carences politiques de la société française face à ce grave problème de santé : « Si on ne met pas de l’après dans le pendant, on aura tout oublié » souligne Ruffin.

Filmer le travail et libérer la parole

Rares sont les films où le travail est filmé. Dans « Debout les femmes », les deux auteurs montrent ces femmes qui vont d’une maison à l’autre toute une journée pour assurer des repas, des toilettes à celles et ceux qui souffrent physiquement et moralement d’un handicap et d’une grande solitude. C’est de la tendresse dont il est question puisqu’en écho aux images, la chanson de Bourvil  (reprise par Marie Laforêt) revient comme un motif.

Le film oscille sans cesse entre le dehors, là où on soigne, console et le dedans, l’Assemblée Nationale, où il ne se passe rien et où les amendements sont balayés d’un revers de manche (on le voit à l’image).

C’est un film sur la libération de la parole : une femme vient dans le bureau du député Ruffin pour parler de ses conditions de travail. Elle s’enfuit rapidement pour ne pas être repérée. A la fin du film elle apparaît en plein jour : « Je fais du cinéma pour faire accoucher les gens de leur parole et dans ce film leur donner le sentiment qu’elles sont légitimes.  J’essaie de représenter le peuple absent de l’univers politique. Je n’attends rien de l’Assemblée Nationale. C’est la rue qui peut changer les choses. Tant que ça ne bouge pas dehors, rien ne se passera. »

Jenny d’Hericourt la grande absente

A l’issue de la projection, les applaudissements crépitent et les spectateurs se lèvent pour ovationner celui dont les films s’attachent à montrer celles et ceux dont on ne parle jamais, ici, celles qui de manière naturelle distribuent du soin et du lien sans la reconnaissance de la société.  Elles apportent du tendre, dit aussi Ruffin.

Un spectateur questionne le cinéaste sur le problème du pass sanitaire qui empêche certains spectateurs de voir le film.  Le film ne pourrait-il pas être proposé en  plein air  comme « J’veux du soleil » diffusé sur les ronds-points ? « On doit fournir une exclusivité en salle et les cinémas ont souffert économiquement. Mais on libèrera les droits très vite. C’est un film avec un but de transformation de la société. Pour terminer, je vais citer Spartacus : je reviendrai et serai des millions. »

La fin du film est belle comme une utopie vivante, un basculement vers la fiction. Et si les femmes prenaient le pouvoir à l’Assemblée Nationale ?  Une audace cinématographique gonflée de tendresse et d’audace.

Au pays de Proudhon et Fourier, ce soir-là, personne n’a cité Jenny d’Héricourt, pionnière régionale de la pensée féministe. Née le 9 septembre 1809 à Besançon, elle fonde avec d’autres femmes la Société pour l’Emancipation des femmes. A l’époque de l’élection de Napoléon Bonaparte, elle devient sage-femme et continue son combat pour l’émancipation des femmes qu’elle définit ainsi : « Emanciper la femme, c’est la reconnaître et la déclarer libre, l’égale de l’homme devant la loi sociale et morale devant le travail ». Elle s’oppose aux propos des philosophes sociaux de son époque (en particulier Proudhon) sur l’infériorité féminine. L’auteur de « La Femme affranchie », grande absente des discours de présentation du film est-elle en train de retomber dans les oubliettes ?





1) Dans les années soixante Henri Huot eut aussi un rôle actif dans la mise en place, en 1968, par la municipalité de Besançon, d’un « minimum vital garanti » pour les plus démunis, concept qui préfigurait, de manière plus ambitieuse, le RMI d’État de la fin des années 70.






		

	

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