Lycées professionnels : une (contre) réforme de plus qui inquiète les profs

Sur fond d'élections professionnelles dans la fonction publique, trois syndicats (FSU, CGT, SUD-Education) ont déposé un préavis de grève jusqu'aux vacances de Noël pour « couvrir » les éventuelles actions contre un projet, distillé par bribes, dans lequel ils voient inscrites des baisses de postes et une dévalorisation des bac pro.

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Les élections professionnelles dans les trois fonctions publiques – hospitalière, territoriale, d'État – qui se tiennent du 29 novembre au 6 décembre permettent parfois de sortir des débats techniques et spécifiques. Dans l'enseignement professionnel, où tous les syndicats s'opposent globalement à la réforme du LP annoncée pour la rentrée 2019, le premier d'entre eux, le Snetaa-FO, a appelé à participer à la journée d'action dans l'Éducation nationale du 12 novembre.

De leur côté, trois autres syndicats (Snuep-FSU, CGT-Educ'action et SUD-Education) ont déposé contre cette même réforme un préavis de grève reconductible du 27 novembre au 21 décembre. Non en prévision d'un mouvement d'ampleur, mais pour « couvrir » les actions qui pourraient être menées au coup par coup dans les établissements. Et aussi pour rendre visible l'enseignement professionnel qui passe souvent au second plan, comme les revendications de ses professeurs : « quand on participe à un mouvement global, on est noyé dans la masse », explique l'un d'eux à l'occasion d'un rassemblement ayant réuni mardi 27 à Besançon une quinzaine de délégués de divers LP de la région.

Un futur bac pro comparable à un ancien BEP...

Diminuant d'environ 10% le nombre d'heures de cours des élèves, notamment dans les matières générales, instaurant une seconde de découverte d'une de quinze familles de métiers au lieu des quatre-vingt actuelles, la réforme inquiète les PLP d'autant plus que ses modalités d'application sont distillées par bribes. Cette méthode qui empêche les acteurs d'avoir une vision globale du projet, a fait ses preuves pour faire passer les plans de réorganisation et de suppression d'emplois dans le privé. 

La CGT-Educ'action parle d'ailleurs dans un tract de « contre-réforme n'obéissant qu'à une logique comptable : réduire les heures de cours pour supprimer des postes ». Thibaut Bize, qui enseigne la prévention santé-environnement sur le site Montjoux du lycée Jules-Haag de Besançon, analyse ce qu'il perçoit comme une dévalorisation à venir du bac pro : « j'ai fait mes comptes : à 100 heures près, on va avoir quasiment le même nombre d'heures de cours sur le nouveau bac pro que sur l'ancien BEP... »

Prof de lettres-histoire, Fabien Landry fait un calcul similaire : « onze semaines de cours en moins sur le cursus du bac pro en trois ans, neuf semaines de moins pour le bac pro en deux ans... » Les élèves, qui étaient à 34/35 heures de cours, ils vont passer à 30 heures. « Ils auraient pu les garder en petits effectifs, car ce sont des élèves qui ont besoin d'humain. Ce ne sera pas possible dans des classes de trente... Et surtout, la nouveauté, ce sera la venue d'apprentis dans la même classe que des lycéens. Ils partiront en stage tous les 15 jours ou trois semaines, résultat, ce ne sera plus possible de faire un cours... »

« Il y a les bahuts de niches,
correspondant à des secteurs qui embauchent,
avec des gosses motivés... »

Dans le contexte de dégradation économique et sociale que connaît le pays, ces mesures auraient tendance à aller à contre-courant de ce qui serait nécessaire, estime Olivier Coulon, responsable académique de la CGT-Educ'action : « Tout cela arrive parallèlement à un changement de population. Nous avons beaucoup d'élèves en grande difficulté. Depuis dix ans, nous avons de plus en plus de porteurs de handicap ne trouvant plus de place en ITEP. Ça devient très compliqué, d'autant qu'on a davantage de perturbateurs, de dealers... Le LP Tristant-Bernard [à Planoise] est un bon exemple du fait que plus il y a de difficultés, plus il y a d'élèves par classe... »

Autre constat, l'augmentation du taux de contractuels qui atteint 11% des enseignants en LP comme à Condé-Besançon (6 profs sur 57), et même 20% à Toussaint-Louverture (Pontarlier) soit, dix des cinquante profs...

Prof de lettres-histoire au lycée du bois de Mouchard, Jean-Christophe Peton est amer : « Enseignant semble être le seul métier où on peut être remplacé au pied levé par un étudiant sans formation... C'est dingue quand on voit la technicité des enseignements, le métalangage de l'Éducation nationale... » Il est aussi désabusé par la faiblesse de la mobilisation en ce mardi 27 novembre : « C'est trop faible. Il y a des bahuts de niches correspondant à des secteurs qui embauchent, avec des gosses motivés ».

Le sien en fait partie, qui recrute essentiellement des élèves en provenance du Haut-Doubs et du Haut-Jura, territoires de culture forestière et d'entreprises de construction bois. Une chance ? « On n'a pas à gérer les travers des lycées tertiaires, comme à Planoise... Nous formons 30% des bacheliers français, mais nous sommes peu nombreux. Et à chaque fois que se trame une réforme délétère, le gouvernement commence par s'attaquer aux lycées professionnels. Passer de 34 heures 30 à 30 heures de cours va forcément diminuer le nombre de postes, même s'il y a quelques dédoublements pour faire passer la pilule... »

« On assiste à un retour en arrière, à une idéologie selon laquelle les jeunes
des lycées professionnels doivent être seulement de bons ouvriers... »

Responsable du Snuep-FSU et prof de math-sciences au LP Toussaint-Louverture de Pontarlier, Mathieu Lardier explique la perplexité des enseignants : « sur le terrain, les gens sont en attente d'annonces après que les inspecteurs soient venus les briefer. Il y a une certaine anxiété car ils ont tous connu la réforme du bac pro en trois ans qui a fait perdre des postes... une idée de Blanquer est est d'obliger les enseignants à intégrer la co-intervention... »

Qu'est-ce ? « Prenez les math-sciences où il y a aujourd'hui quatre heures de cours. Il n'y en aurait plus que trois, plus une en co-enseignement avec un prof d'une discipline technique. On nous balance ça comme ça ! Sans information sur comment travailler, comment ça se met en place, comment on articule les programmes, comment se préparent les cours... »

La co-intervention n'est-elle pas une bonne idée en soi ? Mathieu Lardier ne le conteste pas : « Ça se pratique déjà. Pour redonner sens à un enseignement général, on réinvestit ce qui se fait en atelier. Je pars par exemple d'un plan d'atelier pour un cours de math, je montre le côté concret... Ce qu'on craint, c'est que les matières générales, qui sont là pour la formation du citoyen, ne le soient plus que pour régler des trucs professionnels. Le français, c'est aussi la littérature, pas seulement pour comprendre des notices... En fait, on assiste à un retour en arrière, à une idéologie selon laquelle les jeunes des lycées professionnels doivent être seulement de bons ouvriers... »

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