Besançon : six ouvriers en grève dans une TPE

Cette grève pour « les salaires et le respect » dans une entreprise de huit salariés faisant beaucoup de sous-traitance, est une première. Le mouvement a commencé lundi à la Sol-Pose qui vit dans le giron de la PME familiale Franche-Comté-Nettoyage.

solpose

« On nous parle comme si on était du bétail, il fallait que ça pète... On est quand même des pères de famille ! » Six des huit salariés de la petite entreprise Sol-Pose se sont mis en grève lundi matin, un septième est en arrêt pour accident du travail. A les entendre, rassemblés devant leur banderole accrochée au grillage, « les coefficients salariaux ne correspondent pas aux qualifications. Nous sommes employés comme des ouvriers qualifiés et payés au smic comme des manœuvres. Ça fait une différence de 150 à 300 euros par mois ».

Ils posent des revêtements de sol, font de la peinture, travaillent placo, sous-plafond et même façade, le tout « en autonomie », insistent-ils. Bref, leurs revendications tiennent en trois mots : « augmentation des salaires et respect ».  Kader Gheidène, le délégué syndical CGT de Franche-Comté Nettoyage, la plus importante des trois sociétés de la famille Costa, les accompagne : « on va essayer d'obtenir vos droits, le respect de la grille des salaires ».

« Je lui ai laissé la convention collective pour qu'il l'étudie »

Mardi après-midi, après une réunion à l'union locale CGT, les six grévistes comptent sur un rendez-vous à 17h30 avec José Costa, le PDG, pour présenter leurs doléances. « S'il veut tenir tête, on continue la grève », lâche un ouvrier sous les approbations de ses camarades. Mais José Costa n'arrive qu'à 18 h, dit qu'il n'a pas le temps. Kader Gheidène lui emboîte quand même le pas et réclame une entrevue d'une minute. Une demi-heure plus tard, il revient, son carnet noirci de notes et fait un compte-rendu : « la réunion est annulée, le rendez-vous est reporté à demain... Je lui ai laissé la convention collective pour qu'il l'étudie. J'ai demandé le coefficient 230... » Les salariés sont entre 150 et 210...

Selon le délégué, l'entrepreneur a bien vu qu'il y a « un problème de de coefficient. Il faudra en discuter, ça prendra un peu de temps. J'ai demandé des indemnités kilométriques pour les trajets, ça aussi, ce sera à discuter. Les chaussures de sécurité, il paraît que vous n'en voulez pas, je lui ai dit qu'il était responsable en cas d'accident... Quant aux heures supplémentaires, ils disent qu'elles sont payés, mais que s'il y a un souci, il faudra le soulever... J'ai aussi parlé des qualifications, il vous estime pas qualifiés alors que vous pouvez prendre un chantier en main... J'ai demandé un échéancier : dans les trois mois, il faut que tout soit réglé ».

« Moi aussi, j'ai été salariée, j'ai fait des ménages... »

José Costa accepte de répondre à nos questions, mais c'est son épouse, Anne-Marie, qui nous reçoit dans un premier temps. Elle s'exclame d'emblée : « je ne supporte pas que me dise qu'on les traite comme des vaches à lait. Moi aussi, j'ai été salariée, j'ai fait des ménages... » Elle fait allusion à une vache miniature que les ouvriers ont apporté, mais elle ne prend pas ça pour de l'humour. Que pense-t-elle des revendications salariales ? « Mais deux salariés ne savent rien faire, ils sont payés à la convention collective... Solpose ne peut pas se permettre des augmentations, les marchés sont négociés au ras des pâquerettes... »

Pourquoi les salariés se plaignent de ne pas avoir de chaussures de sécurité ? Anne-Marie Costa répond aussitôt : « Voulez-vous que je vous montre le stock de chaussures de sécurité ? » Bien sûr ! Nous voilà partis dans une réserve de cartons remplis de vêtements de travail. Des blouses bleues sont encore dans leur plastique transparent. Voilà quelques chaussures : « J'en ai vingt paires en stock, mais si on ne me les demande pas, c'est dommage... »

« Éviter des licenciements »

Et les heures supplémentaires non payées ? La directrice conteste : « elles ont été faites et payées jusqu'en juillet. Après, on a pris une mesure drastique car ces heures supplémentaires nous coûtaient cher et on a eu des pertes sur le dernier exercice. On faisait 39 heures avant et on a toujours payé 39 heures, ils ont tous signé un avenant pour passer à 35 heures... » Et les heures au-delà de 39 heures auparavant ? « Qu'ils nous le prouvent ! Nous, on veut éviter des licenciements ».

Bénéficiaire jusqu'en 2012, Sol-Pose perd de l'argent depuis. Le chiffre d'affaires a baissé et les pertes cumulées des trois derniers exercices voisinent 80.000 euros. C'est moins que les bénéfices réalisés par Franche-Comté Nettoyage, entreprise financièrement saine. Mais les patrons ne veulent pas qu'on confonde les comptes de leurs différentes sociétés.

Sous-traitant, parfois en troisième rang

José Costa nous rejoint. Il semble avoir entendu les revendications : « ce qui m'intéresse, c'est d'améliorer les conditions de travail. Je vais quand même demander à la Capeb et si ce qu'ils demandent est un dû, ce sera d'accord. Je suis prêt à discuter d'augmentations individuelles en fonction du travail exécuté ».

Entrepreneur moyen dans la propreté, c'est un petit patron du bâtiment qui récupère de la sous-traitance, parfois en troisième rang, de majors du secteur. Ce problème récurrent s'aggrave avec la directive européenne sur les travailleurs détachés qui agit comme un instrument supplémentaire de dumping social. La CGPME et la CGT l'avaient d'ailleurs dénoncé ensemble lorsque l'inspection du travail avait découvert des entreprises hors des clous sur le chantier de l'hôpital de Belfort-Montbéliard. Et puis plus rien. José Costa le regrette : « ce n'est pas une entreprise qui peut changer le problème des salaires, mais le politique... »

« Je suis blessée qu'ils aient fait grève comme ça »

Anne-Marie Costa ne comprend toujours pas ce qui a pris à six salariés de cesser le travail : « je suis blessée qu'ils aient fait grève comme ça. J'aurais aimé qu'ils prennent le travail en disant : on n'est pas d'accord avec les salaires, et on aurait regardé... »

Manifestement, ce n'est pas si facile pour les salariés d'être entendus sans, de temps en temps, « taper du poing sur la table », comme nous l'a dit un gréviste en soulignant : « c'est la première grève depuis que l'entreprise existe... » C'est vrai que les premières fois sont toujours particulières...

D'ailleurs, quand nous prenons congé, le rendez-vous patron-salariés annoncé pour ce mercredi n'est plus très sûr : « vendredi au plus tard », dit José Costa...

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !