« On ne naît pas terroriste… »

Dans le cadre du Festival Diversité, Jean-Gabriel Périot a présenté au Kursaal de Besançon Une jeunesse allemande. Le film, constitué d’archives interroge le basculement de la bande à Baader vers le terrorisme et questionne l’écho de l’Histoire dans les médias.

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La fraction Armée rouge (RAF), organisation terroriste d’extrême-gauche également surnommée La Bande à Baader ou Groupe Baader-Meinhof opère en Allemagne dans les années 70. Ses membres qui croient en la force de l’image, expérimentent d’abord leur militantisme dans des actions artistiques et cinématographiques. Mais devant l’échec de leur portée, ils se radicalisent dans la lutte armée jusqu’à commettre des attentats meurtriers.

La bande à Baader

Le cinéaste Jean-Gabriel Périot retrace un pan de l’histoire allemande depuis les mouvements étudiants de 1966 jusqu’à la naissance de la RAF, qui rassemble l’intellectuelle Ulrike-Marie Meinhof, le cinéaste Holger Meins, l’avocat Horst Malher et Gudrun Ensslin. Pendant les années de plomb, les membres du Groupe Baader-Meinhof mènent des actions terroristes contre les institutions de la RFA, le patronat et l’armée américaine : Afin qu’il n’y ait pas de confusion sur la nature du terrorisme de cette période historique, Une Jeunesse allemande rappelle qu’une des principales raisons du passage à la violence et au terrorisme est la répression disproportionnée de l’État et de la police aux mouvements étudiants : manif contre le shah d’Iran, mort d’un manifestant tué par la police, attentat contre Rudi Dutschke, criminalisation du mouvement de protestation anti impérialiste… 10.000 procès en 5 ans, interdictions professionnelles des gens condamnés, chasse aux sorcières des intellectuels qui soutiennent le mouvement.

 

Cette criminalisation a justement pu être une des causes du « manque de portée » de leurs actions, dissuadant le mouvement contestataire de s’amplifier et provoquant le passage aux actions armées. C’est pourquoi les premiers attentats ont été dirigés contre l’État major américain qui planifiait la guerre contre le Vietnam depuis l’Allemagne…
« Quand j’ai commencé ce film, je ne connaissais rien de l’Allemagne » explique le réalisateur né en 1974. « J’ai surtout essayé de gommer les fausses informations. Je ne fais jamais de film pour les spectateurs. Quand on fait des films pour les spectateurs, on fait de la télévision. »

Le terrorisme, un mot valise

Une jeunesse allemande entre en résonance avec l’actualité et le terrorisme : «  J’ai fait le film après le 11 septembre. Je voulais creuser la question du terrorisme. Ce que je cherche dans les archives, ce sont les fragments qui résonnent avec ce qui se passe aujourd’hui. Ce qu’on voit dans le film, c’est que le passage à la violence est constitutif d’une histoire. C’est un problème politique. A l’époque, on évitait de poser les problèmes politiques. On ne naît pas terroriste. On se rend compte que n’importe qui peut passer de l’autre côté. Il faut essayer de penser quel chemin ils prennent. La plupart des méchants d’aujourd’hui auraient pu être nos copains. Si on arrête le film Une jeunesse allemande au milieu, on ne peut pas imaginer que ce groupe allait passer à la lutte armée ».

Réflexion sur l’utilisation des images, le montage, Une jeunesse allemande interroge l’Histoire de l’Allemagne et au-delà la toute puissance des médias images avec le choix d’archives oubliées et non diffusées jusqu’à présent : « 90 % des images du film sont inédites. Dans les livres et les films sur ce sujet, personne n’est allé chercher ces images-là qui sont un outil de savoir. Ce qui construit notre mémoire, c’est la télévision. C’est elle qui écrit le monde et l’Histoire. Les contre images ne restent pas. C’est plus intéressant de montrer un basculement en dehors de ce qu’on voit à la télévision. On peut avoir les films les meilleurs du monde, ils ne seront pas à la hauteur de BFM télé. » explique encore le cinéaste avec ironie.

Penser le présent

Une jeunesse allemande entre en résonance avec aujourd’hui, même s’il ne s’agit pas du même terrorisme. Dans la construction du film, les images sont méticuleusement triées, assemblées dans une perspective de réflexion autour de la question : qu’est-ce qu’on sait aujourd’hui de la Bande à Baader ?

Pas de commentaire dans ce film. Jean-Gabriel Périot préfère montrer des images, des entretiens, des morceaux de films. On voit notamment comment le fossé se creuse entre la jeunesse allemande des années 70 et les faiseurs d’images que sont la télévision et la presse aux mains des grands financiers. : « Je n’utilise pas la voix off, car elle porte une lecture politique ou morale. C’est la voix de la télévision. Chris Marker l’utilisait, car il avait une maitrise de la voix politique ; il jouait de la poésie. Notre génération a perdu les mots. On ne peut pas dire Les attentats, c’est mal. Marker avait une voix particulière pour accompagner les films ».

Les figures tutélaires de Godard et de Fassbinder planent au-dessus du film. Godard en 1965 se demandait si les Allemands allaient encore tourner des films et Fassbinder dans un extrait de L’Allemagne en automne tourné en 1977 replace cette inquiétude dans la perspective d’un cinéma naissant dont il fut une figure de proue.

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