Le Festival « Entrevues » fête ses trente ans

Génèse d’une histoire d’amour entre Belfort et le cinéma, enrichie au fil du temps avec des rétrospectives, une compétition internationale… Du 28 novembre au 6 décembre, le programme de cette année souffle les bougies de trente ans de cinéma et éclaire son histoire. Petit rappel historique. Moteur !

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Avant de parler des trente dernières années du festival Entrevues, fêtées cette année, il faudrait revenir sur l’histoire de la création et l’évolution du Festival. En 1958, à Belfort, Michel Legrand et un groupe de bénévoles du CDEP (Comité Départemental d’Éducation Populaire) récupèrent un préfabriqué dans lequel se trouvait l’ancienne école de la Pépinière pour en faire un centre culturel, le premier équipement socio-culturel de quartier. En faisant les démarches pour l’aménagement de la future salle de cinéma, Michel Legrand rencontre Claude Lafaye du Centre National de la Cinématographie. Les deux hommes sympathisent et concrétisent leur intérêt commun pour le jeune cinéma avec l’organisation en 1969 de la première Rencontre Nationale du Cinéma des Jeunes Auteurs, destinée à montrer les films d’études d’élèves en école de cinéma et des films indépendants, sans pour autant les faire concourir. Le critique Rui Nogueira les rejoint quelques années plus tard. En 1979 la grève de l’Alsthom est l’occasion pour Daniel Delrieux, jeune cinéaste participant aux Rencontres de réaliser « Et toutes les mains se sont levées ». Ce film en vidéo répondait à la question : comment un événement cinématographique peut-il rejoindre un événement social ?

Quelques fragments de souvenirs du festival écrits façon Georges Perec…
Je me souviens de mon premier Festival, d’une conférence de presse très agitée en présence de Samuel Fuller.
Je me souviens que j’étais exploitante au cinéma les Alpha en 1989 : mon bureau au sous-sol, était le lieu où les cinéastes déposaient leurs affaires. Cette consigne improvisée regorgeait de vêtements ; Hubert Knapp et d’autres invités du Festival venaient s’y asseoir.
Je me souviens de Janine Bazin ; elle m’offrait des glaces que nous dégustions dans l’escalier en parlant de cinéma.
Je me souviens qu’André S. Labarthe portait toujours un chapeau noir.
Je me souviens de « La Ville Louvre » de Nicolas Philibert qui avait obtenu le Grand Prix en 1990 ; je n’avais pas pu le voir cette année-là. Je l’ai vu longtemps après.
Je me souviens de l’inauguration de la rue François Truffaut ; il faisait froid et je me demandais pourquoi la rue était si éloignée du centre ville et pourquoi le lieu choisi était une impasse. Ses filles Eva et Laura étaient là.
Je me souviens des révélations sur le père de François Truffaut dentiste à Belfort ; subitement tout le monde disait avoir bénéficié de soins dentaires dans son cabinet.
Je me souviens d’avoir croisé Micheline Presle et Suzanne Schiffman deux grandes dames du cinéma dans la Galerie marchande des 4 As.
Je me souviens du premier article que j’ai écrit pour le journal « Le Pays » ; c’était un entretien avec Marco Ferreri que j’avais intitulé « Le sexe, la bouffe et Dieu… »
Je me souviens que Bernadette Lafont avait dédicacé son livre « La Fiancée du cinéma » et qu’elle souriait toujours.
Je me souviens que Jean-Pierre Léaud était silencieux.
Je me souviens de la venue de Béatrice Dalle qui avait fait un buzz à une époque où ce mot était très peu utilisé.
Je me souviens du « Trésor des îles chiennes » de J.F. Ossang (Grand Prix du Jury du Festival en 1990. Un film d’un éblouissant noir et blanc. Le cinéaste a avait une allure de rocker. Je n’ai jamais vu ses autres films.
Je me souviens d’avoir participé une émission de radio avec Laurent Bonelli sur Europe 2 ; il avait interviewé Sandrine Kiberlain alors inconnue ; elle avait un rôle dans « En avoir ou pas » de Laetitia Masson (1995) et se plaignait d’avoir un cou de girafe.
Je me souviens d’avoir réalisé un entretien avec Jafar Panahi l’auteur de « Taxi Téhéran », l’année où il a obtenu un Prix pour « Le Ballon d’or » (1995).
Je me souviens que le Festival Entrevues a montré beaucoup de films iraniens en compétition et que dans chaque film, il y avait la question du détournement de la censure. Je pense à « La Clef » de Ebrahim Forouzech le premier qui me revient en mémoire, mais il y en avait d’autres.
Je me souviens que Barbara est décédée un 24 novembre. A côté du cinéma un bar diffusait en boucle « L’Aigle noir»
Je me souviens d’une fin de Festival en 1997, du repas et de l’after ; nous avons dansé toute la nuit avec Hervé Leroux (Reprise) Rafi Pitts (La Cinquième saison) et Charles Najman (La Mémoire est-elle soluble dans l’eau ?).
Je me souviens de l’hommage à Antonioni ; tous les journalistes couraient dans tous les sens et Antonioni ne pouvait pas escalader les marches de la scène.
Je me souviens d’avoir fait le pari d’entrer au cinéma par l’issue de secours. Je ne raconte pas la suite même s’il y a prescription.
Je me souviens d’avoir croisé Laurent Cantet un samedi matin sur le quai de la gare de Belfort. Il avait présenté « Les Sanguinaires » et n’avait pas obtenu de Prix. Il était déçu et rentrait à Paris.
Je me souviens que Richard Gorrieri portait un œillet à la boutonnière plusieurs années de suite.
Je me souviens que  Cyril Mennegun venait s’asseoir à côté de moi  dans la salle en sortant de son travail dans la restauration. Il me disait « un jour c’est sûr je serai cinéaste et je présenterai un film à Entrevues». Il a obtenu le Prix du Public à Entrevues en 2011 et de nombreux autres (Prix Louis Delluc, César du Meilleur premier film, Prix SACD, Bayard du Premier film). Pas mal Cyril !
Je me souviens encore que l’an dernier Jean-Claude Brisseau s’est battu comme un beau diable pour expliquer  au public qu’il expérimentait la 3 D pour tourner des scènes d’amour. Je me suis souvenue d’« Identification d’une femme », de Michelangelo Antonioni. Le film mettait en scène un cinéaste qui essayait de s’approcher de l’amour. Face à L’impossibilité de filmer ce mystère, à la dernière séquence, il se tournait vers le cosmos tout aussi indéchiffrable. Antonioni m’avait convaincue.
Enfin, je me souviens de l’édition 2015, des films « New Territories » de Fabianny Deschamps, « Iranien »  de Mehran Tamadon, « Sud Nord Eau déplacer » de André Boutet, « Je suis le peuple » de Anna Roussillon  des œuvres qui écrivent le cinéma du présent et qui sont les dernières à la surface de ma mémoire…

Dans la mouvance des années 1970, cette manifestation fleurait bon la liberté et la découverte d’œuvres singulières à l’instar des films en 8 mm de Joseph Morder ou encore le Cinématon de Gérard Courant. Les réalisateurs arrivaient avec leurs bobines sous le bras et dormaient dans un dortoir improvisé dans le Centre Culturel.

Dans les années 80 le Festival s’intègre dans le mois de l’image qui couvre l’Aire urbaine et associe le Centre d’Action Culturelle de Montbéliard. Par la suite il redevient belfortain et Montbéliard s’oriente vers la vidéo en créant le  Centre International de Création Vidéo.

Depuis les premières projections, le Festival s’est structuré en passant d’une expérience d’éducation populaire portée par la vie associative de tout le Territoire de Belfort à la mise en place de l’action culturelle avec le soutien des collectivités locales et de l’Etat.

Premières œuvres de cinéastes inconnus : Carax, Cantet, Faucon, Philibert...

Après 17 ans d’existence dans le tissu associatif le Festival acquiert son autonomie. Rui Nogueira passe la main à Janine Bazin devenue directrice artistique au début des années 80. Depuis 1990, le Festival s’appelle Entrevues. Les projections ont lieu dans le nouveau complexe cinématographique les Alpha.

La manifestation se structure tout en restant fidèle à l’idée de départ ; il s’agit alors de présenter les films de jeunes auteurs avec une compétition qui confère à la manifestation son statut de Festival. Ainsi les premières œuvres de cinéastes inconnus Léos Carax (Strangulation Blues) Laurent Cantet (Ressources humaines, Les Sanguinaires) Patrick Grandperret (Mona et moi) Noémie Lovsky (Dis-moi oui, dis-moi non ») Philippe Faucon (« L’Amour ») Nicolas Philibert (La Ville Louvre) sont montrées à Belfort.

En permettant aux réalisateurs de se faire connaître et de continuer de faire des films, ce terreau de la création cinématographique écrit l’histoire des cinémas d’aujourd’hui ; entre « L’Amour » primé à Belfort et « Fatima » son dernier film, Philippe Faucon construit depuis 1990 une œuvre minutieuse où des questions de société et des portraits de femme interrogent le monde. De là naît une mémoire récente, celle des films de la génération de cinéastes d’après les années 70. D’autres thèmes, d’autres langages, d’autres virages dessinent le cinéma ponctués par les signes du temps et nourris l’évolution des images, fictions ou documentaires.

Inscrire l’Histoire dans l’histoire du cinéma

Dédié depuis ses débuts aux premiers films, le Festival Entrevues, s’est ensuite ouvert au cinéma de patrimoine en revisitant des œuvres classiques du cinéma.

Pour fêter l’année de la création du Festival, une dizaine de films évoqueront l’année 1986 avec des films emblématiques qui vont de « Platoon » ou comment Oliver Stone questionnait la guerre du Vietnam au film « Le Tocsin de Tchernobyl » de Rollan Serguienko tristement d’actualité à sa sortie en 1987. Cette volonté d’inscrire l’Histoire dans l’histoire du cinéma est une fenêtre vivante de cette édition.

Rétrospective encore, l’approche de l’œuvre de Bong Joon-ho permettra au public de voyager à travers le regard protéiforme du cinéaste dont les œuvres phares « The Host » ou encore « Snowpiercer, le Transperceneige » permettent à chacun de retrouver les plaisir premiers du cinéma à l’instar l’attrait de la peur dans une approche singulière de la science-fiction où chaque scène se déploie dans une mise en scène sidérante.

À l’occasion de la sortie de son dernier long métrage Chant d'hiver, la Fabrica invite le facétieux Otar Iosseliani à évoquer avec ses collaborateurs techniques la façon dont il fabrique son cinéma. L’aspect vivant de cette rétrospective monographique permettra de découvrir les arcanes de l’imaginaire poétique d’un des chefs de file du cinéma géorgien, héritier de chaque Tati côté gag et d’une subtile insolence par son approche particulière de la Géorgie.

 Cadavres exquis sur le mode du jeu surréaliste

Enfin pour fêter cette trentième édition avec les cinéastes qui ont fait l’histoire du Festival, une programmation novatrice intitulée « Cadavres exquis » reprend sur le mode du jeu surréaliste, l’expérience inventée par Bunuel et Dali lors de l’écriture du film « Le Chien andalou » : cela consistait à accueillir spontanément une image sans que celle-ci soit contaminée par des idées reçues. Ici le jeu consistait à envoyer le dernier photogramme d’un film à un cinéaste et celui-ci choisissait le film qui lui venait à l’esprit et envoyait à son tour la dernière image de son film au cinéaste suivant. Les réalisateurs invités à participer à « Cadavres exquis » ayant pour la plupart participé à la compétition du Festival sont invités à venir présenter le film qu’ils ont choisi : Claire Simon, Dominique Marchais, Patricia Mazuy, F.J. Ossang, Jafar Panahi…

Le Festival « Entrevues », un des pionniers en matière de présentation de films de jeunes auteurs, s’est transformé au fil du temps : les délégués artistiques qui se sont succédés depuis 30 ans, Janine Bazin, Bernard Benoliel, Catherine Bizern et Lili Hinstin l’ont peu à peu transformé en étant à l’affût du cinéma en train de se faire et du cinéma à revoir. Le mot « Entrevues » montre qu’il s’agit de pressentir le cinéma de demain.

Il donne au Festival l’image d’une lucarne derrière laquelle le monde, les hommes et les images sont là, miroir de nos rêves, de nos tourments et de notre Histoire.

 

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