Les paysans bio veulent de la reconnaissance

Pour tenir l'objectif du doublement des surfaces cultivées en agriculture biologique, les 27 millions d'euros d'aides publiques allouées en 6 ans à la région sont insuffisants et devraient être doublés, ont estimé près de 200 manifestants sous les fenêtres de la DRAAF, ce mercredi à Besançon.

manifab

Les paysans bio sont environ 600 en Franche-Comté. Et ils ne sont pas loin de 200 à être sagement et joyeusement rassemblés dans la cours de l'immeuble de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, et écouter le président du Groupement régional des agrobiologistes, Nathanael Bourdier : « c'est injuste de donner à des agriculteurs faisant des efforts moins conséquents que nous ». Du haut de la rue de Belfort, dans le quartier excentré de Palente, à Besançon, on remarque à peine une banderole de SOS Loue et Rivières comtoises sur la grille, déjà vue lors de la manifestation du 17 mai à Saint-Hippolyte pour sauver le Dessoubre : « Besoin d'une paysannerie, pas d'une industrie ».

Le slogan est emblématique du propos qui réunit ce petit monde dans la bise : pour prendre en compte vraiment l'environnement, l'agriculture biologique est la meilleure solution. Meilleure en tout cas qu'encourager davantage ceux qui consentent à utiliser un peu moins de pesticides et d'engrais chimiques que les agrobiologistes qui ne s'en servent jamais. Car c'est ce que ces derniers ont compris du « verdissement » de la PAC, la politique agricole européenne, et de sa déclinaison française.

« L'ancien système ne fonctionnait plus »

La distribution manque de produits bio !
Dans la manifestation, Serge Grass, fondateur de l'association Agrobioconso, explique avoir contribué largement à la création, par la ferme du Rondeau, de quatre emplois : « il faut que la valeur ajoutée reste dans le monde agricole... On a eu un chiffre d'affaires allant jusqu'à 800.000 euros. Là, avec l'arrivée d'autres acteurs sur le marché, on est redescendu à 600.000 ».
Parmi ces autres acteurs, Didier Maillotte, gérant des deux magasins Bio Coop de Besançon, constate un changement en cours dans un secteur où la grande distribution « stagne » et représente « environ 50 % du marché : il y a un basculement vers la vente directe et les magasins spécialisés ». Quelle est la différence entre ces circuits ? « La grande distribution cherche des marges, donc des matières premières moins chères, d'où des importations, y compris d'Italie ou d'Espagne. On constate un manque de conversions car on manque de produits bio pour alimenter la distribution. La grande distribution saura toujours chercher des monocultures... Moi, je suis un distributeur qui défend l'agriculture paysanne qui créé des emplois et prend en compte les territoires... »

Bernard Jacquot élève 250 brebis allaitantes sur 52 hectares de prairie à Saint-Rémy, en Haute-Saône, ce qui lui permet de commercialiser quelque 300 agneaux par an. « Je suis en conversion bio. Je bénéficie de l'aide à la conversion (90 euros par hectare), de l'aide à la brebis et de l'indemnité compensatrice de handicap naturel. L'ensemble des aides est égal à mon revenu, 1000 euros par mois ». Quelle influence aura la fin de la prime à la conversion ? « A court terme, je n'ai pas de souci. Mais sans aide au maintien, beaucoup de fermes risquent de repartir en système conventionnel, notamment en céréales... »  

Pourquoi être passé en bio ? « L'ancien système, dans lequel j'essayais d'être raisonnable, ne fonctionnait plus. Je ne mettais pas d'engrais, uniquement du compost, mais je donnais des médicaments alopathiques au troupeau et l'allopathie ne met pas en place l'immunité. J'ai choisi l'aromathérapie, la phytothérapie et l'homéopathie. Ça marche mieux sur 80% du troupeau, j'ai du mal avec les 20% autres ». Est-ce une question de temps ? « C'est une question de sélection et de moyen terme. Après guerre, on est allé sur des standards de races types et pas sur la rusticité ou le caractère maternel - la capacité d'une brebis à s'occuper de ses agneaux. J'ai deux races : des charrolais qui étaient déjà là, et j'ai ajouté des heidschnucken, une race allemande rustique. Depuis deux ans, je fais des croisements avec l'objectif de produire des agneaux à l'herbe afin de diminuer les charges d'agneaux de bergerie, avoir une ferme autonome car j'ai un petit chiffre d'affaires... Je suis aussi passé en bio pour être protecteur des sols, de l'eau, de la terre... » Y pense-t-il depuis longtemps ? « Depuis le début, mais rien n'est en place pour inciter à l'agriculture bio... »

« Plus performant qu'en conventionnel »

Michel Gaillard élève une cinquantaine de vaches laitières en système comté à Pietelle, près de Clairvaux-les-Lacs, sur 100 hectares dont 10 en céréales pour l'auto-consommation. Il produit 300.000 litres de lait qu'il apporte à la coopérative de Saint-Maurice-Crillat. « Je suis passé en bio en 1996 pour ne plus utiliser de produits chimiques. J'ai adhéré à la coop en 97 et elle était totalement en bio six mois après. On est neuf coopérateurs pour 2,8 millions de litres contre 1,5 million en 97... Pour être en bio, il faut être plus performant qu'en conventionnel, anticiper plus. C'est plus difficile, mais on est plus proche de la nature et des animaux, il faut davantage observer, ne pas avoir un trop gros troupeau... »

Au milieu des manifestants, nous avons croisé une « mangeuse de légumes » venue de Saint-Loup sur Semouse « prendre une assurance-vie sur le futur ». Mais aussi un élu régional EELV (Eric Durand) et une militante du Parti de gauche.

Pourquoi être venu manifester ? « L'incidence de la mesure est faible, ce n'est pas vital pour nous. C'est surtout pour le moral : le bio doit être dans les politiques d'avenir. Là, on sanctionne ceux qui travaillent bien. Globalement, je suis contre les primes... J'ai 58 ans, je cherche un successeur qui soit en bio... »

« J'étais jeune et dans le moule... »

Franck Berepin est venu de Clairvaux. En polyculture-élevage, il produit 200.000 litres de lait à comté avec 35 vaches sur 100 hectares dont une quarantaine « très extensifs ». Il livre à Jura Terroir, une coopérative mixte à Saffloz, qui fait une partie de sa production en bio depuis 2000. Pourquoi est-il venu au bio ? « Par conviction de ma femme pour le respect de l'environnement, puis par économie. J'étais jeune et dans le moule, elle m'a ouvert les yeux. Je suis très content de ne pas utiliser de produits phytosanitaires, tout le monde sait qu'ils sont dangereux. 80% de nos concitoyens adhèrent à nos pratiques ».

Lire le communiqué du Groupement régional des agriculteurs bio ici.

Pourquoi être venu manifester ? « Pour faire prendre conscience à ces gens-là [il montre les bureaux de la DRAAF], à nos administrations, qu'il n'y a pas que les nouveaux agrobio, mais aussi les anciens. Sans une certaine quantité, le marché ne sera pas satisfait... On n'aide pas les bio depuis des années. Notre marge supérieure est croquée par les intrants bio plus chers... » Passera-t-il à la prime à l'herbe si la prime au maintien du bio disparaissait ? « On perdrait 20.000 euros la première année avec une compensation jusqu'en 2019 où on ne perdrait plus que 7 à 8000 euros... C'est énorme. Pour passer à la prime à l'herbe, on serait surtout obligé de faire tourner l'usage des terrains moins vite car on ne peut pas changer plus de 20% tous les 5 ans... »

« Il faudrait doubler l'enveloppe régionale de 27 millions »

Porte-parole de la Confédération paysanne du Doubs, Jean-Michel Bessot n'est pas agrobio, mais il « soutient la bio, la moitié de nos adhérents y sont... » Pourquoi ne pas être bio ? « Je me suis posé la question, j'essaie d'y tendre dans ma pratique. Je suis dans une fruitière, à Charmauvillers, qui n'est pas en bio. On verra bien si à l'avenir, il y a une réflexion pour y aller... »

Comment voit-il le problème ? « En Franche-Comté, il y a 27 millions sur 6 ans pour les primes à la conversion et au maintien du bio. Si on veut doubler les surfaces, c'est le projet du gouvernement, il n'y a pas assez. Si on multiplie les surfaces bio par 1,5, les conversions prendraient les deux tiers de ces 27 millions... Il faudrait doubler cette enveloppe... » 

6000 euros de revenu en 2013...

Maraîcher à Rahon depuis 2008, Jean-Baptiste Rozé est le troisième exploitant d'une ferme en bio depuis... 1954. A l'époque, il n'y avait pas de label, mais elle utilisait la « méthode Lemaire ». Des 25 hectares, 8 sont cultivés de légumes, les autres de fourrages et de céréales : « ça permet une rotation longue ». Pourquoi être là ? « pour demander la reconnaissance de l'agriculture bio. C'est scandaleux que dans certaines situations, il vaut mieux être dans une agriculture chimique qui en met un peu moins, plutôt qu'être en bio ».

Quelle est l'incidence de la suppression de l'aide ? « Pas énorme parce qu'on a une bonne valeur ajoutée à l'hectare ». Les primes à l'hectare sont d'ailleurs peu adaptées aux maraîchages, à l'horticulture ou aux petits fruits : « en agriculture, les aides ne participent pas d'une politique d'emploi. On est deux paysans avec un salarié à temps plein et deux équivalents temps plein pour les saisonniers »•

A Port-sur-Saône, Sylvie Marrau a repris en 2012 un maraîchage bio depuis 2009, avant d'être rejointe par Marayat Marciniak. Elles font des plants de légumes et des légumes bio sur 1,8 hectare, les distribuent localement et via des circuits régionaux. « Jusqu'à maintenant, on n'a pas assez de surface pour avoir une aide. C'est anormal d'enlever l'aide à ceux qui ont construit la filière... En 2013, j'ai gagné 6000 euros sur l'année... Les aides aident à vivre, mais c'est aussi la reconnaissance de ce qu'on fait. Pourquoi on est en bio ? Par conviction ! »

 

 

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