Accueil d’urgence : la précarité mine aussi les professionnels

Des familles avec enfants sont renvoyées à la rue, les suivis santé et insertion pour les sans-abris sont remis en cause faute de temps. Les travailleurs sociaux sont au bord de la grève, les bénévoles et les militants s'alarment.

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Inconditionnalité, le mot revient souvent. Il fonde l'action des travailleurs sociaux : on ne se détourne pas de ceux qui ont besoin d'aide. Promesse difficile à tenir ? Promesse de la République. Les travailleurs sociaux savent la crise, les budgets contraints. Comment les ignoreraient-ils ? Ils font chaque jour des choix, mettent en oeuvre des mesures, mais n'entendent pas exercer une violence supplémentaire sur ceux dont ils sont souvent l'ultime secours. Depuis des années, l'accueil des sans-abris quelle que soit leur origine se fait péniblement. Ces derniers mois, la situation s'est aggravée au point qu'un préavis de grève a été déposé par les travailleurs sociaux, suspendu ce vendredi, un rendez-vous ayant été pris.  
Cette professionnnelle du Service d'Accueil et d'Accompagnement Social (lire encadré) explique : « En 2012, 850 demandeurs d'asile sont arrivés, 500 de plus qu'en 2011.  Nous avons dû en recevoir un grand nombre. Le travail avec le public habituel des personnes sans domicile fixe est devenu très difficile. Nous avons refusé des prises en charge. On assure moins le travail d'accompagnement nécessaire sur le moyen terme pour l'accès aux droits, le suivi de la santé. Nous sommes individuellement et collectivement démunis dans ce cas.  C'est pareil quand nous appliquons une injonction qui conduit à mettre à la rue des familles avec des enfants. Nous sommes alors pris entre la nécessité de répondre à un ordre de notre tutelle l'Etat, et la déontologie du métier. Ainsi nous allons recevoir aujourd'hui une famille russe avec des enfants pour la quatrième fois et lui annoncer en fin d'après-midi qu'elle ne sera pas hébergée. »

Le Service d'Accueil et d'Accompagnement SocialSAAS, 10 rue Champrond dans le quartier Battant, dépend du Centre Communal d'Action Sociale. Il a été créé comme point d'accueil des personnes sans domicile fixe et gère les appels 115 et le « samu social ». Le service dispose de 94 places d'hébergement d'urgence notamment au Forum à Planoise. Travailleurs sociaux et infirmiers reçoivent « sans conditions », cherchent des solutions durables, d'accès aux droits, et veillent à établir des relations de confiance. La mission publique qu'il remplit peut l'être par des associations dans d'autres villes.                             La boutique de Jeanne Antide a pour fonction « l'accueil de jour » : aide aux personnes en risque d'exclusion, prise en compte de « la personne dans sa globalité ». On y peut prendre sa douche, son petit déjeuner, laver son linge et manger à midi dans les limites de places précisées.                   

« Des frustrations et une forte colère »

Et les tensions se multiplient quand le secours est apporté aux uns et pas aux autres. A la boutique de Jeanne Antide (3 rue Champrond, lire encadré) l'été dernier, pour 70 ou 80 places il y avait souvent jusqu'à 140 personnes. Les premières arrivées pouvaient manger, il s'agissait souvent de familles demandeuses d'asile. Les dernières, plutôt des personnes sans domicile fixe, ne trouvaient plus de repas. A l'accueil de nuit, ouvert cet hiver à l'hôpital Saint Jacques, la plupart des places ont été occupées par des demandeurs d'asile. Les personnes sans domicile fixe y sont très peu. Elles ne peuvent plus venir avec leurs animaux de compagnie. « La frustration est forte et des propos hostiles aux étrangers se font entendre, témoigne cette bénévole de Médecins du monde, beaucoup ont passé l'hiver dans des squats ou des parkings souterrains. Il y a une forte colère ». Soignants et travailleurs sociaux s'interrogent, doutent. Leur nécessaire action collective est fragilisée. « Il y a plusieurs mois, trois, quatre ou cinq personnes attendaient l'ouverture du SAAS à 9h dans la rue, cet hiver ils étaient une vingtaine et souvent plus » rapporte une infirmière. 

« Il y a des filières c'est vrai, mais laisser des enfants à la rue c'est autre chose » 

La situation des demandeurs d'asile c'est d'abord le choc de la séparation, l'exil, parfois le traumatisme, puis encore la dépendance et la précarité dans le refuge trouvé, une espérance entretenue également. « Une famille est arrivée il y a un mois et demi. Le Centre d'Accueil d'Urgence pour Demandeurs d'Asile ne l'a pas prise en charge. Dans cette famille il y a une fille de 4 ans, un bébé de 11 mois malade (vu aux urgences à l'hôpital) et la consigne de la préfecture au dispositif d'hébergement d'urgence a été de ne pas l'accueillir. On en est là aujourd'hui. Nous avons demandé un rendez-vous avec le secrétaire général de la préfecture, Monsieur Mathurin, pour parler de cette famille dont on ne sait pas où elle loge » témoigne Jean-Jacques Boy, militant du Collectif de Défense des Droits et Libertés des Etrangers. Après une période d'expectative liée aux promesses de changement politique, l'association redouble de mobilisation. Avec la fin du plan hiver au 31 mars, les expulsions commencent et une nouvelle association « A la rue ! » prolonge l'action du CDDLE. Elle a donc demandé une entrevue avec le secrétaire général de la préfecture, à la suite également d' une première rencontre début décembre 2012, au cours de laquelle la circulaire Valls du 28 novembre avait été présentée. « Cette circulaire rappelle les critères (identiques à ceux de Sarkozy) de régularisation. Des heures supplémentaires sont mises en place à la préfecture mais les 20 ou 25 dossiers déposés dans le cadre de la circulaire ne sont pas encore réglés. Un  avis est considéré comme négatif si sans réponse dans un délai de quatre mois. a partir de là, ces personnes peuvent aller au tribunal administratif mais elle devront s'opposer à la loi (pas à la circulaire qui se situe à un niveau inférieur à la loi et n'est pas reconnue par le tribunal administratif) et ont donc peu de chance. Une nouvelle circulaire a été émise le 11 mars 2013. Valls y rappelle surtout l'importance de lutter contre les filières. » 

Pour aller plus loin sur la situation de l'hébergement d'urgence et de l'accueil des demandeurs d'asile : article du Monde, "Les hébergements d'urgence au bord de l'implosion" et rapport de la Coordination Française pour le Droit d'Asile. Lire également les réactions de la Cimade à la circulaire Valls.  

Un dispositif saturé

Le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile à Besançon est donc débordé depuis plusieurs mois. Il n'a pu faire face et s'en est remis au dispositif destiné aux gens à la rue. Ce dispositif municipal est aussi arrivé à saturation et n'a pu remplir comme il l'entend sa mission, notamment l'hébergement d'urgence du 115. Les refus de prises en charge se sont répétés. Jean-Jacques Boy poursuit : « les consignes de la Direction de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations à la préfecture ont  été d'abord : de prendre en charge les familles parce qu'il y avait des enfants, puis d'accepter les familles avec des enfants de moins de trois ans, puis de placer à l'hôtel et si possible de changer d'hôtel souvent pour empêcher l'installation. Ce dispositif est très coûteux et alimente la précarité. A la mi-mars il y avait 69 personnes à l'hôtel. 

Des cas de tuberculose "multirésistante"

Avec les demandeurs d'asile, la communication n'est souvent possible que par l'intermédiaire de locuteurs qui se trouvent dans la même situation difficile. L'exemple est rapporté d'une personne qui, en traduisant, s'est aperçue que les propositions du moment ne lui avaient pas été faites auparavant. Il a été question d'une plainte. Les consultations de Médecins du monde (rue Champrond également) se déroulent aussi dans des « conditions limites ». Les locaux sont exigüs, n'assurent pas de confidentialité. Il faut « gérer une file d'attente », comprendre et passer le relai de situations sanitaires complexes. Les demandeurs d'asile attendent en général six mois avant d'obtenir une Couverture  Maladie Universelle. La consultation est vitale pour eux, c'est le seul lieu « pour les sans-droits et sans rendez-vous ». Des cas de tuberculose multirésistante du fait de traitements insuffisants ont été détectés. Les médecins bénévoles vont bientôt manquer. 

Les services de la préfecture sont informés régulièrement de ces difficultés et selon les différents interlocuteurs, « s'il est vrai qu'à Besançon, la situation et les échanges avec l'administration sont meilleurs actuellement que dans d'autres régions », les réponses sont tardives et insuffisantes.  Ceux qui ont choisi de soutenir, bénévolement ou professionnellement les plus déshérités, en première ligne, perdent pied également. 

Nous avons pu nous entretenir avec des professionnels, des bénévoles et des militants. Pour recouper nos informations, des demandes ont été faites à l'Hygiène sociale du Doubs qui gère la Plateforme d'accueil des demandeurs d'asile, aux services municipaux. Tous renvoient à la préfecture qui propose une demande de questions écrites. Elles ont été faites : sur l'accueil spécifique des demandeurs d'asile, des familles, le partenariat avec les associations, les services de la ville (CCAS), l'hébergement à l'hôtel, ses conditions, sa pérennité envisagée ou non, l'avenir de l'abri de nuit de l'ex-hôpital St Jacques, d'autres projets...et sont restées sans réponse.

 

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