600 enseignants manifestent à Besançon

Réforme du lycée annoncée par petits bouts, suppressions de postes, réponse sécuritaire aux questions sociales... A entendre les propos glanés dans le cortège, de nombreux enseignants sont consternés, révoltés voire démotivés par la politique du gouvernement...

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Environ 500 personnes, essentiellement des personnels de l'Education nationale, ont défilé lundi dans le centre-ville de Besançon à l'occasion d'une journée nationale de grèves et/ou de manifestations.

Sur fond de drapeaux syndicaux colorés, la pancarte en carton que Jean-Pierreprénom modifié à sa demande porte à son cou attire le regard au point de rendez-vous de la place de la Révolution. C'est quasiment la seule du rassemblement et elle met en exergue son statut précaire d'enseignant contractuel, ne sachant qu'à la rentrée ce que sera son quotidien d'enseignant de musique. « L'an dernier, j'avais 10 heures de cours et 800 euros. Cette année, je ne me plains pas, j'ai quasiment un temps plein et je gagne 1400 euros, mais comme ils m'envoient loin, ce serait plus rentable d'être à mi-temps et de toucher une compensation de Pole emploi... »

Se sent-il maltraité ? « On est de la chair à saucisse ! On nous fait travailler à droite et à gauche. Ma compagne a un emploi fixe à Besançon et on a acheté pas loin... » Depuis cinq ans, il va où on l'envoie : aux confins de la Haute-Saône, Héricourt l'an dernier, Dampierre-sur-salon et Pesmes cette année, sans défraiement de frais de transport avec une vieille voiture de 400.000 km « qui ne passera pas le contrôle technique »...

Ses perspectives ? « Je voulais passer le Capes, mais ils viennent de supprimer le troisième concours pour ceux qui ont trois ans d'ancienneté ». Lui n'a ni bac ni licence, seulement des diplômes de conservatoire de musique. Il est à la manif bisontine des enseignants, mais il ne figure pas dans les statistiques des grévistes du rectorat. Il n'est d'ailleurs pas en grève : il n'a pas cours ce lundi matin, seulement l'après-midi : « je ferai deux heures de route pour deux heures de cours... »

Tiens, Michel Binet n'est pas en train de jouer de la musique sur le plateau de la camionnette de SUD, habituée de nombreuses manifs, mais de régler une petite sono portative. Prof de son au lycée dans la filière audio-visuelle d'un lycée de Montbéliard, il s'inquiète de la possible fermeture d'une demi-section. Un peu acerbe, il ironise : « on va se gargariser derrière la FSU et ensuite on va tous rentrer chez nous : ça ne sert à rien... »

« La deuxième heure supplémentaire imposée va faire supprimer des postes... »

Prof d'histoire au collège de Saône, François Guillaume, également adhérent à SUD-Education, fait remarquer : « c'est plus revendicatif quand il y a les chants de la CGT et de FO ! » Il est venu défiler parce qu'il y a « des dégradations des conditions de travail, même dans les établissements favorisés : une hausse des effectifs par classe, et l'arrivée d'élèves en difficulté grave qui seraient allés auparavant en segpa. Du coup, les classes ont une grande hétérogénéité que les profs ont du mal à gérer, à laquelle ils ne sont pas habitués... »

Certes, lui répond-on, mais ça ne s'est pas fait en trois jours... Exact : « Ça s'est fait sur dix ans... Les classes à trente élèves, ça va être la norme, ça désarçonne les profs d'un certain âge... On ne sait pas comment faire pour aider ces élèves en difficulté... » Roger Journot fait partie des retraités de l'enseignement à être venu humer l'air de la manif : « on est des vieux profs, faut bien défendre les jeunes... »

Prof d'éducation physique et sportive, Florian est justement un de ces jeunes là : « mon poste risque de disparaître avec la mutualisation des moyens liée à la fusion des lycées de Montbéliard... D'autant que la deuxième heure supplémentaire imposée va faire supprimer des postes... »

Fabien, enseignant en histoire en REP+ à Planoise se fait quant à lui du souci pour la diminution de l'enveloppe horaire qui risque d'impacter les co-interventions en cours : deux profs ensemble devant deux classes : « l'un peut s'occuper de ceux qui ont un problème pendant que l'autre fait le cours... On fait ça environ une heure par semaine... »

Voilà Pauline, aspirante conseillère principale d'éducation. Elle a un peu de mal à admettre qu'on envisage la police à l'école tout en diminuant le nombre de postes alors que « les questions d'éducation nécessitent du personnel plutôt que des policiers. Toutes les études montrent la même chose, tout passe par le nombre d'encadrants et d'adultes. Si on veut que l'école change, il faut des moyens et du monde ! Ça fait des années qu'on dit que l'école ne va pas, mais rien ne change et on ne s'inspire surtout pas des modèles qui marchent... »

« On nous fait un chantage permanent du genre : si vous vous voulez des heures, acceptez les classes à 35 élèves...»

Prof de math au lycée Pergaud depuis six ans, Mathieu est très critique vis à vis de la réforme du lycé : « surtout la façon dont elle est faite, annoncée au dernier moment : je ne sais pas si c'est de l'improvisation ou de la stratégie... » Quelle incidence cela aura-t-il sur lui ? « Comme on n'a pas le programme, qui va changer en seconde et en première, on ne sait pas comment préparer les cours de l'année prochaine... J'ai passé les trois quarts de mes premières années d'enseignement à préparer mes cours., et ce n'est pas que du travail individuel, c'est aussi de la concertation avec les collègues dans les conseils d'enseignement... » Mathieu a aussi un peu de mal à avaler que les maths deviennent facultatives au lycée avec la disparition des filières.

Prof de philo à Dole, syndiqué au Snes, Samuel est consterné. « Le gouvernement nous donne sa réforme au compte-gouttes, les proviseurs nous informent sans discussion, à chaque fois on est devant le fait accompli, sans vision de long terme ni vue globale... Cette semaine, on nous a dit que les secondes auraient toutes 35 élèves : on y arrive en divisant la dotation horaire par le nombre de classes. Et comme ça, il restera des heures pour développer les spécialités... Pergaud va tellement développer les sciences techniques et de l'ingénieur qu'il restera peu ou pas de moyens pour les arts qui ne seront qu'à Pasteur... On nous fait un chantage permanent du genre : si vous vous voulez des heures, acceptez les classes à 35... Et on accepte parce qu'on n'a pas une vision complète des choses... Et on est mauvais dans le refus car c'est une catastrophe démocratique la manière dont est présentée la réforme... »

Dans son propos, pointe la critique de la réforme du bac, mais aussi son articulation, pour le moment peu évidente, avec l'enseignement supérieur. « Avant, avec un bac L, on avait accès à toutes les formations de lettres et sciences humaines. Demain, on ne sera pris dans le supérieur que si on a fait les bonnes spécialités. Je dis que les jeunes débutant en seconde en 2019 et 2020 seront sacrifiés car les universités n'ont pas encore publié leurs programmes ». Autrement dit les spécialités qu'elles exigent...

Déléguée du Snes, Nathalie Faivre estime que tout n'est pas joué : « le gouvernement recule quand il y a une grosse pression. Des décrets ne sont pas encore publiés, et le ministère songe à revoir ceux de juillet qui ont instauré le bac à 23 épreuves au lieu de 12 à 15... » Reste qu'elle ne voit pas de dessiner le retour des filières que réclame son syndicat : « on sent que c'est une réforme pour réaliser des économies d'échelle sous couvert de liberté des élèves... Ça rend même caduc la refonte de la carte des secteurs de recrutement des lycées... »

Devant le rectorat, destination du cortège, un mur de cartons de déménagement est bâti à la hâte en travers de la rue. Histoire de signifier qu'on « va dans le mur... » Puis il est joyeusement abattu à grands coups de pieds avant qu'une délégation soit reçue par le recteur...

 

 

 

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