300 enseignants « pas d’accord » dans la rue

Selon le rectorat, 26% des enseignants de collèges ont fait grève dans la région, le double selon les syndicats qui n'ont pas eu beaucoup de temps pour appeler à une unique manifestation régionale à Besançon. Derrière la défense du latin, du grec et des classes bilangues, l'autonomie accrue des établissements annonce selon eux des tensions dans les équipes pédagogiques.

profs

Environ 300 enseignants et quelques parents d'élèves ont défilé mardi 19 mai à Besançon de la place Battant au rectorat. 300, c'est peu pour une manifestation régionale. « On n'est rentré de vacances il y a une semaine, et il y a eu un jour férié, c'est un peu court pour tout préparer », plaide Nathalie Faivre, prof d'allemand au lycée Victor-Hugo et responsable du Snes-FSU. Elle mesure aussi la mobilisation des enseignants au taux de grévistes et sourit quand on lui indique les chiffres du rectorat : 26,03% d'enseignants dans les collèges de l'académie (27,61% au niveau national) et 15,8% pour l'ensemble du second degré, collèges et lycées. Tous personnels confondus, les taux sont de 14,01% pour le second degré dont 22,9% pour les collèges.

Nathalie Faivre sourit parce que l'évaluation syndicale est différente. « L'administration calcule par rapport à tous les profs et non ceux qui sont attendus. On peut multiplier par deux ! » Mais elle en convient, 300 manifestants, c'est peu : « si on prend un taux de 50% de grévistes, on devrait être 3000... » Elle préfère expliquer les raisons du rassemblement : « les enseignants sont écoeurés des mensonges, en colère contre un projet absurde. Ce n'est pas vrai que la réforme va régler les problèmes du collège, la lutte contre l'élitisme ou l'accompagnement personnalisé ».

« La filière déguisée qui permet la mixité sociale dans les quartiers populaires »

Le projet de Najat Valaud-Belkacem ne vise-t-il pas, en supprimant les classes bilangues, à supprimer les classes de niveaux ? « Ceux qui disent ça ne savent pas que la plupart des élèves sont dans des classes différentes et ne sont ensemble que trois heures par semaine. Si c'était le cas, pourquoi y aurait-il des classes bilangues en REP ou en ZEP ? Je croirai la ministre quand elle supprimera l'ENA ou la carte scolaire des lycées Louis-le-Grand ou Henry IV ! » Et en Franche-Comté ? Nathalie Faivre sourit encore : « On ne joue pas dans la même cours... Mais à Besançon, on pourrait parler de l'école d'Helvétie, du collège Lumière et du lycée Pasteur... »

Fabrice Riceputi, prof d'histoire au collège Proudhon, dans le quartier populaire de Palente, à Besançon, militant de SUD-Education, défend lui aussi les classes bilangues : « Certains parents disent que si ces classes européennes sont supprimées, ils mettront leurs enfants dans le privé. C'est la filière déguisée qui permet la mixité sociale dans les quartiers populaires. A Proudhon, il n'y a jamais de classes homogènes ». Les fameuses classes de niveau, interdites par les textes, qui ressortent parfois au gré des politiques d'établissement ou des demandes des parents.

« Le noyau dur de la réforme que la droite et l'extrême droite se gardent bien de critiquer car elles rêvent de la faire »

Pourquoi les manifestants s'en prennent-ils aux EPI, les enseignements pratiques interdisciplinaires qui permettent des approches croisées, des collaborations entre profs, la mobilisation des élèves sur des projets ? « On a connu ça avec les IDD, les itinéraires de découvertes, qui ont tourné à la farce, sont tombés en désuétude car rien n'était prévu, comme pour cette réforme, pour que ce soit mis en place sereinement », se souvient Fabrice Riceputi.

Que veut-il dire par « sereinement » ? « Les enseignants ont besoin de temps. Certains font des projets interdisciplinaires, mais ils ne savent pas tous faire. Cela demande un minimum de formation. Ceux qui le font se sont formés tout seuls. Et personne n'a prouvé que les élèves en difficulté y trouvent quoi que ce soit... On a des classes à 30 élèves : comment faire qu'ils soient accompagnés individuellement à 30 ? Mais tout ça, ils s'en foutent au gouvernement, ils vont reculer. L'important, c'est l'autonomie des établissements et davantage de pouvoir pour les chefs d'établissement. C'est le noyau dur de la réforme que la droite et l'extrême droite se gardent bien de critiquer car elles rêvent de la faire ».

« Un simple déménagement dans une même ville pourra causer des difficultés à des familles »

Ces « 20% d'autonomie en plus, c'est la fin de l'Éducation nationale. Aujourd'hui c'est 20%, demain ce sera 40... », dit comme en écho Michèle Houel, prof d'anglais au collège Lumière de Besançon, ancienne présidente régionale du SNALC, petit syndicat classé à droite, également dans le cortège. Cette autonomie doit être mise en oeuvre par le Conseil pédagogique, des enseignants volontaires, qui déciderait avec le chef d'établissement, parmi huit thèmes les projets d'EPI retenus. De nombreux enseignants pointent les différences entre cursus de quatre ans qui risquent de se faire jour entre collèges : « Les chefs d'établissements pourront attribuer comme ils veulent 20% des horaires. Ce sera la concurrence entre établissements », dit Michèle Houel. N'existe-t-elle pas déjà un peu ? « Pas vraiment, car il y a un cadrage national ».

Ces trajectoires différentes, pressentent nombre d'enseignants, vont générer des problèmes. « Un simple déménagement dans une même ville pourra causer des difficultés à des familles », explique Nathalie Faivre. Un élève passant d'un collège à un autre ne sera pas certain de poursuivre le programme là où il l'avait laissé... Fabrice Riceputi voit poindre « à terme un corps intermédiaire, avec les membres du conseil pédagogique nommés par le principal, qui sera là pour relayer l'inspection, pour lesquels il y aura une gratification. Ça va mettre les profs en concurrence, c'est le vieil objectif de casser la solidarité que les profs ont encore : égalité de statut, de salaire, de service... »

« Avec le français, le latin et le grec, j'enseigne trois disciplines... et même d'autres »

On le voit, on est loin, bien loin, des thèmes rabachés sur les ondes. N'empêche, la défense du latin et du grec, de l'allemand et des classes européennes avait du succès dans le défilé si on le mesure au nombre de calicots. Il faut interroger des enseignants au hasard pour entendre les craintes d'enseignants d'autres disciplines. Prof de lettres classiques au collège de Gy, Laurence a fait ses comptes : « depuis 1976, les élèves ont perdu l'équivalent de deux ans et demi de cours de français entre le cours préparatoire et la troisième. Et on se demande pourquoi ils ont des problèmes d'orthographe, pourquoi certains ne savent pas écrire ! »

Quant à l'interdisciplinarité, elle assure déjà la pratiquer : « avec le français, le latin et le grec, j'en fais car j'enseigne trois disciplines. Et à travers le latin, j'aborde l'histoire et la géographie, les SVT, les arts plastiques quand j'aborde les mosaïques, et même l'EPS avec le grec quand je parle du marathon ! » Laetitia, sa collègue prof de lettres modernes, n'a rien contre les EPI : « ça me plairait d'en faire avec les prof de physique-chimie, mais ça prend des heures de français ! »

Elle en a assez de la façon dont elle se sent instrumentalisée : « le gouvernement veut donner une image de nous comme ne voulant pas travailler avec les autres disciplines, mais on le fait sans cesse !  On dit qu'on est sclérosé, qu'on a peur de s'adapter, mais on ne fait que ça. Les politiques n'ont pas de vision de ce qu'est l'enseignement. J'ai des élèves de 5e qui ne savent pas lire, mais ils sont demandeurs. Ce sont des gamins qui ne savent pas ce qu'est un journal. Beaucoup de nos élèves ne vont jamais au cinéma, ne lisent pas de revue... Ça coûte 600 euros de faire venir un spectacle, 800 euros pour aller au théâtre à Besançon... » Autrement dit, c'est quasi mission impossible.

« Qu'ils mettent quinze ou vingt élèves par classe et ça marchera... »

Jeune prof d'EPS à Pontarlier, Yvan voit déjà « des gamins de moins en moins éduqués : on passe de plus en plus de temps à s'occuper de discipline ». Sa collègue Sylvie n'est pas contre une réforme, sait bien qu'il faut répondre à « ce qu'on nous dit : décrochage, ennui, injustice... Mais c'est réforme n'est pas le bon choix pour les élèves en difficultés. Il leut faut davantage de temps au collège pour qu'ils réussissent ».

Également prof d'EPS, mais à Champagnole, Christelle résume : « qu'ils mettent quinze ou vingt élèves par classe et ça marchera... » Yvan renchérit : « Le Japon, la Suisse et la Finlande qui sont tête des classements PISA ont des faibles effectifs ». Tous trois sont, bien sûr, à une diminution de l'attention, de la concentration. « Les élèves sont en zapping permanent, font 10.000 choses en même temps, entre les devoirs, la musique et leur téléphone. On les sent stressés d'avoir un sms, ils y pensent en cours car les mobiles sont interdits au collège ».

La question des effectifs est évidemment à poser, même après les créations d'emplois dont se prévaut le gouvernement après les coupes sombres de la période Sarkozy. « Le problème, ce sont les classes à 25 ou 30 élèves, c'est ce dont crève le collège », dit Nathalie Faivre. « La médiane dans l'académie est à 25,9 élèves en sixième. Cela veut dire que la moitié des classes de sixième a 26 élèves ou davantage ».

« J'ai passé un CAPES de biologie parce que j'aime ça, sinon, j'aurais fait professeur des écoles... »

Effectifs, moyens, conditions d'apprentissage. Cette trilogie revient depuis des années dans les doléances des profs. Hélène, prof de SVT (sciences et vie de la terre) au collège Voltaire de Planoise, est concernée : « On doit prendre les sisxièmes en groupes pour des manipulations. Aujourd'hui, les textes nous donnent une heure et demi par semaine, dont une demi-heure en effectif réduit pour une séance de microscope ou des manipulations sympa. Avec cette réforme, ce n'est plus garanti car des heures doivent aller à l'accompagnement personnalisé ».

Elle est également perplexe face à la globalisation des enseignements de SVT, technologie et physique-chimie en quatre heures hebdomadaires d'enseignement intégré de sciences et techniques... avec un seul enseignant ! Mais si on me donne un fer à souder, ça ne va pas le faire ! J'ai passé un CAPES de biologie parce que j'aime ça, sinon, j'aurais fait professeur des écoles... »

« On nous a vanté l'interdisciplinarité », souligne Michèle Houel, « mais elle est intéressante quand on a les bases ! » Également militant du SNALC, Pierre Ragot, prof de lettres classiques à Lure, s'offusque : « Rien ne nous empêche de faire de l'interdisciplinarité... si on le veut ».

 

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