Will Smith en duel avec lui-même

« Je ne connais aucun clone », confie le cinéaste Ang Lee, qui joue au magicien avec deux Will Smith dans « Gemini Man ». Il y a effectivement quelque chose de vertigineux dans cette vision double, un héros et son fantôme ; la prouesse technologique rend crédible cette irréalité qui apparait à l’écran en 3D et dans un défilement d’images à grande vitesse, immergeant le spectateur dans une nouvelle dimension. Rencontre avec le réalisateur, lors de son passage à Paris.

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« C’est toi ». Oui, ce môme bien énervé qui essaie à tout prix de liquider le vieil agent, c’est lui, le même mais en plus jeune. C’est le grand truc de « Gemini Man », film réalisé par Ang Lee (sortie le 2 octobre), qui a donc deux Will Smith à l’affiche, les deux personnages étant en fait incarnés par le même acteur. C’est évidemment grâce au numérique que la star, avec sa tête et ses rides d’aujourd’hui, affronte son double virtuel, au visage plus lisse encore que lorsqu’il jouait « Le Prince de Bel Air ».

 Séquence d’ouverture : un tireur couché dans l’herbe, son long fusil dirigé vers un TGV lancé à pleine vitesse, il vise, appuie sur la gâchette, et abat un passager précis du train. Henry (Will Smith, donc) est le meilleur dans son métier, « buter des méchants », tueur à la solde du gouvernement. Mais le quinqua grisonnant évite les miroirs, ses 72 cibles touchées perturbent son sommeil, et il s’imagine désormais profiter d’une retraite paisible dans sa maison de Georgie, à fabriquer des cabanes pour les oiseaux et aller à la pêche.

Raté, maintenant c’est lui la cible ; son ancien service ayant décidé de le rayer définitivement des effectifs. Henry se débarrasse d’un commando, mais un autre tueur est lancé à ses trousses, presque aussi bon que lui ; logique : c’est lui dans une version « Junior » (Will Smith aussi, donc), un clone de 23 ans surentraîné, formaté par le « méchant » de service (interprété par Clive Owen), le patron d’une agence paramilitaire, Gemini, qui joue à l’apprenti-sorcier.

Dans « Looper », Bruce Willis jouait lui aussi un tueur pourchassé par lui-même plus jeune, ce dernier étant alors incarné par Joseph Gordon-Levitt. Le scénario de « Gemini Man » tourne depuis des années dans les studios hollywoodiens, l’histoire a été proposée à Clint Eastwood, puis Harrison Ford, puis d’autres acteurs… Mais aujourd’hui, la technologie permet toutes les folies, y compris celle de lancer Will Smith dans un duel avec lui-même, ou plus exactement une version de 25 ans plus jeune.

 

« Avec le numérique on est dans le réalisme le plus extrême »

« Avec le numérique, le plus difficile c’est le visage, une partie de notre cerveau refuse d’en reconnaître certaines parties », confiait le réalisateur Ang Lee, lors d’une conférence de presse, au Bristol à Paris. « Chaque séquence est un défi, pour gagner la confiance du spectateur et surtout la garder, nous autres réalisateurs sommes en quelque sorte des magiciens, on fait semblant, avec le maquillage, la musique, la lumière… mais avec le numérique on est dans le réalisme le plus extrême », ajoute le cinéaste, « Il y a vingt ans, on aurait pu tourner ce film, avec des artifices de maquillage et en embauchant un acteur plus jeune. Là, notre parti pris était de mettre la barre plus haut et d’ajuster la technologie pour garder l’émotion, et montrer grâce au digital le charme et la jeunesse de Junior, jusqu’à ce qu’on y croit tellement qu’on oublie que c’est du numérique ».

Il y a effectivement quelque chose de vertigineux dans cette vision double, un héros et son fantôme ; la prouesse technologique rend crédible cette irréalité qui apparait à l’écran en 3D et dans un défilement d’images à grande vitesse, immergeant le spectateur dans une nouvelle dimension. « Je crois en l’immersion, mais j’ai envie qu’on vienne jouer dans mon jeu, dans ma réalité virtuelle, on est dans le jeu mental et pas dans le jeu vidéo, c’est ce qui fait l’intérêt du cinéma que j’aime », assure Ang Lee, qui a tourné deux grandes et spectaculaires séquences d’action, une poursuite à moto à Carthagène en Colombie, et une baston dans les catacombes à Budapest.

Réalisateur d’oeuvres intimistes (« Le secret de Brokeback Mountain », « Raison et sentiments », « The ice storm », « Lust, caution »…), Ang Lee a aussi tourné des films à grand spectacle : faisant voler des guerriers chinois au-dessus des arbres dans « Tigre et Dragon », fâchant tout vert le scientifique transformiste « Hulk », ou réunissant dans « L’Odyssée de Pi » un jeune naufragé et un tigre du Bengale dans un canot, le cinéaste aime expérimenter. « Chacun de mes films reflète ce que je suis, là d’où je viens et où j’ai envie d’aller. Il y a un fil que je reprends, Tigre et Dragon était mes débuts dans le cinéma d’action, mais j’ai commencé par le drame au début de ma carrière, et si je fais toujours des œuvres dramatiques je suis passé à un cinéma plus visuel, j’essaie à travers mes différents films de garder le même cœur, la même âme, la même émotion, et d’élargir mon champ d’expérimentation », dit-il, « En termes d’exploration de l’humain et du récit, je cherche à garder cette âme et cette intimité, mais quand le champ est plus large c’est plus compliqué de représenter des sentiments plus abstraits, ce n’est pas tout à fait le même langage ni la même exécution ».

« Je ne connais aucun clone, je ne connais pas sa psychologie »

Du Will Smith d’aujourd’hui avec la sagesse du vieux loup ou de l’impétueux et enragé jeune fauve, lequel fut le plus difficile à diriger ? « Junior, bien sûr, il est beaucoup plus cher et demandait plus de temps », répond Ang Lee en souriant.  « Il y a bien sûr dans les deux interprétations le talent de Will Smith, il est devenu au fil des ans un meilleur acteur, avec une plus grande dimension, mais en tant que Junior il devait faire appel à plus d’innocence, plus de naïveté, plus de maladresse. C’était très exigeant comme demande pour un acteur, on lui demande à la fois d’être lui et d’aller dans d’autres dimensions », ajoute le cinéaste.

Dans sa course pour la survie, le vieil Henry trouve une alliée en la personne d’une agent chargée de le surveiller, incarnée par Mary Elizabeth Winstead, un vrai personnage féminin qui prend sa part dans les scènes d’action, et avec qui il n’y a même pas d’esquisse de romance. « C’est très rare dans un film de Will Smith, surtout avec deux Will Smith. C’est le genre de femmes que j’aime dans la vie, ma femme est comme ça, ce sont des femmes que l’on suit », assure Ang Lee, qui prononce « camaraderie » en français pour préciser leur relation : « C’est un homme et une femme qui sont des fugitifs, ils sont comme des potes, elle est sexy mais elle est aussi très pragmatique ».

Téléguidé telle une arme secrète, le jeune tueur fonce pour remplir sa mission, d’abord sans se poser de questions. « Je ne connais aucun clone, je ne connais pas sa psychologie, je ne sais pas ce qui le rendrait humain, est-ce qu’il a une âme comme nous ? J’ai décidé que oui », dit Ang Lee. « Je pense que ce qui définit un être humain c’est la possibilité de s’auto-examiner, d’examiner notre passé et nos actes antérieurs ; on peut aussi se dire que si on obéit à un ordre social, à la façon dont on a été éduqués, si on se conforme à des ordres qu’on a toujours entendus, finalement c’est peu être un clone », ajoute le cinéaste, « Ce qui nous différencie en tant qu’être humain, c’est notre volonté personnelle et notre conscience ».

« Gemini Man », un film de Ang Lee avec Will Smith (sortie le 2 octobre).

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