« West Side Story », le nouveau rêve américain

En « revisitant » la célèbre comédie musicale, Steven Spielberg en fait un film à la fois semblable et différent. La tragédie newyorkaise est toujours aussi puissante. (Sortie le 8 décembre)

Avant même le générique, les quelques notes sifflées qui se répondent nous transportent déjà dans le New York des années 50. Une simple mélodie nous télétransporte dans « West Side Story », la comédie musicale dont Robert Wise et le chorégraphe Jerome Robbins ont fait un classique du cinéma, un film aux dix Oscars sorti en 1961. Une œuvre emblématique, un symbole vénéré de la culture américaine, qui semblait intouchable. Jusqu’à ce que Steven Spielberg ne décide de tourner sa version du musical (joué en 1957 à Broadway), qu’il adore depuis toujours.

« Ce film est probablement le plus intimidant de toute ma carrière », assure le cinéaste de « E.T. », « Les dents de la mer », « Indiana Jones », « Jurassic Park » mais aussi « La liste de Schindler », « Il faut sauver le soldat Ryan », « Munich », « Lincoln », « Le pont des espions », « Amistad »… Spielberg a donc voulu raconter à nouveau cette histoire, « Parce qu’elle parle encore plus fort de notre présent qu’elle ne l’a fait à l’époque », estime-t-il. Ou alors est-ce parce que rien n’a changé en soixante ans, les préjugés, l’intolérance, le racisme, la violence…

On entend bien sûr les fameuses quelques notes sifflées au tout début du « West Side Story » réalisé par Spielberg, comme bien sûr les toutes aussi fameuses chansons (« Maria », « Tonight », « Cool », « America », « One hand, one heart », « Krupke », « Somewhere »…) composées par Leonard Berstein et écrites par Stephen Sondheim (qui a disparu il y a quelques semaines). La trame du récit shakespearien, une version newyorkaise de Romeo et Juliette, est la même : une histoire d’amour impossible entre Tony et Maria, puisqu’ils appartiennent à deux communautés qui se détestent. Chacune est représentée par son gang, les Sharks pour les Porto-Ricains nouveaux arrivants dans la ville, et les Jets pour les descendants d’immigrants blancs et européens.

Les Jets, descendants d’immigrants européens, et les Sharks, Porto-Ricains nouveaux arrivants dans la ville, deux gangs qui s’affrontent et se détestent.

Plus réaliste, plus jeune, plus « correct »

Les deux clans ne cohabitent pas amicalement dans ce quartier de West Side, en cours de destruction, ainsi que le montre bien le film de Spielberg qui s’ouvre sur des ruines et un chantier de démolition, alors que celui de Wise débute avec une vue aérienne de New York et ses buildings. La version 2021 est ainsi plus politique, plus violente, plus axée sur ce nouveau rêve américain, porté par deux bandes qui se battent à mort pour un territoire, quelques blocks, quelques rues.

Spielberg a ainsi voulu un film plus réaliste en tournant en partie dans des rues de New York avec des interprètes qui ont l’âge de leurs personnages, plus « correct » avec des acteurs latino-américains dans les rôles des Sharks, dont la lumineuse Ariana DeBose qui incarne Anita. Comme un lien entre les deux films, l’Anita de 1961, Rita Moreno joue cette fois la veuve du Doc, chez qui bosse le valeureux Tony. Le cinéaste a « revisité » quelques séquences, comme par exemple lorsque Maria se trouve si « pretty » en ce miroir, scène tournée dans un grand magasin où elle fait le ménage avec ses copines.

Romantique demoiselle en robe blanche et ceinture rouge, la Maria 2021 est incarnée par Rachel Zegler, dont c’est le tout premier film, et Tony l’est par Ansel Elgort ; un jeune couple d’amoureux qui ne fera peut-être pas oublier Natalie Wood et Richard Beymer, pas plus que David Alvarez n’effacera George Chakiris dans le rôle de Bernardo, le chef des Sparks. Certes, la musique est interprétée par le New York Philarmonic, orchestre dirigé en son temps par Bernstein, et les chorégraphies ont été revues et corrigées par Justin Peck, du New York City Ballet, où œuvra Jerome Robbins. Mais c’est surtout la puissance de l’œuvre originelle (chansons, danses, récit…) qui génère un film superbe, et on ne peut s’empêcher de penser quand même à « l’autre » film. « West Side Story » façon Spielberg est ainsi un film à la fois semblable et différent ; les boomers se replongeront avec plaisir dans cette déchirante tragédie newyorkaise, sans crier au crime de lèse-musical, et peut-être qu’un nouveau public la découvrira ainsi. Et dans quelques années, quelques décennies, lorsqu’on parlera de « West Side Story », on précisera peut-être : lequel ?

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !