Vraies robes noires pour faux procès

L'Etat était cité à comparaître devant un tribunal d'opinion pour non assistance à justice en danger lors de quatre faux procès intentés par le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France dont l'un devait se tenir lundi 16 novembre à Besançon. « Face aux tragiques événements du 13 novembre, ces tribunaux n'ont plus lieu d'être », ont expliqué les organisateurs.

clarissetaron

L'article qui suit n'a pas été modifié par l'annonce de l'annulation des tribunaux d'opinion après les attentats du 13 novembre. Seul le châpo l'a été et un bref encadré a été ajouté ainsi que ce premier alinéa. Le contexte a évidemment changé radicalement les ciconstances de ces actions militantes, ainsi que la situation politique.

On dit parfois qu'un procès est une pièce de théâtre. Les protagonistes y sont jugés comme des acteurs, à leur talent à tenir leur rôle, dire leur texte, jouer de leur stature, de leur attitude. Au prétoire comme sur scène, tout est affaire de représentations. De vieux ennemis jouent et rejouent de vieilles luttes. Le bien et le mal, le juste et l'injuste, le légal et l'illicite, la loi et la nécessité...

Le théâtre est depuis des siècles un lieu où le pouvoir et le sacré se mettent en scène, se révèlent dans la lumière aux yeux du public qui interprète le peuple... Le théâtre est aussi le lieu où se montrent les tensions qui traversent le corps social. En ce sens, il est proche, par sa fonction, du carnaval qui, lui aussi grâce aux costumes, renverse les hiérarchies le temps du défilé. 

Les tribunaux d'opinion annulés
Le Syndicat de la Magistrature et le Syndicat des avocats de France ont annulé le 14 novembre les faux procès de l'Etat pour mise en danger de la justice dont un devait se tenir à Besançon : « face aux tragiques événements du 13 novembre, ces tribunaux n'ont plus lieu d'être », indique le SM sur son site tout en critiquant l'allongement annoncé par François Hollande de l'état d'urgence....

Alors, quand des juges et des avocats, des magistrats et des greffiers montent sur scène dans leurs costumes de salle d'audience, on se doute que la pièce qu'ils vont jouer remue les symboles. « Accusée Marianne, levez-vous ! » On n'est certes pas aux assises, mais c'est bel et bien l'Etat qui est « cité à comparaître », lundi 16 novembre à Besançon pour « mise en danger de la justice » devant un Tribunal d'opinion. Mis en scène par le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, l'affaire est fausse mais sérieuse.

« Faire quelque chose contre la justice sinistrée »

Elle débute en mai 2013 avec la constitution, au sein du Syndicat de la magistrature, du groupe de travail des Petits pois par de jeunes magistrats et des auditeurs de justice (magistrats stagiaires) qui entendent avoir une réflexion critique et collective sur leur entrée dans l'ordre judiciaire. Pourquoi petits pois ? En référence à Nicolas Sarkozy qui avait, à peine élu président, comparé les magistrat à ce petit légume (délicieux quand il est frais) car ayant « la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur ». Ces jeunes Petits pois font adopter par le congrès 2014 du SM une motion mandatant le bureau pour « faire quelque chose contre la justice sinistrée », explique Clarisse Taron, avocat général à la Cour d'Appel de Besançon et secrétaire régionale du SM.

Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature 2010-2012
Au parquet de la Cour d'Appel de Besançon depuis janvier, Clarisse Taron est avocat général, autrement dit, l'adjointe du Procureur général. Elle a notamment été substitut à Montbéliard, procureur à Lure, vice-présidente à Belfort, juge à Nancy... Avoir expérimenté les deux fonctions, siège et parquet, avoir également fait du civil et du pénal, lui a donné une « vision générale » qui aura été très utile lorsqu'elle a présidé le Syndicat de la magistrature entre 2010 et 2012.  

Ce quelque chose, ce sera des « audiences fictives, de faux procès publics afin d'engager un débat ». Outre Besançon, ces procès se tiendront à Créteil lundi, Le Havre et Montpellier vendredi 20 novembre. A Besançon, l'audience à juge unique sera présidée par Juliane Pinsard, juge d'application des peines à Vesoul. Mme Taron jouera son rôle de procureur en prononçant des réquisitions. On ne sait pas si elle demandera une sanction et laquelle, mais elle dénoncera la dégradation des conditions dans lesquelles l'institution travaille :« Je ne parlerai pas d'une affaire particulière, mais de l'allongement des délais de jugement, du fait qu'on travaille tous trop mal en en urgence. Par exemple, aujourd'hui, il n'y a pas de fax au cabinet des juges d'instruction de Besançon. Bien sûr, il va être réparé... On va nous supprimer les imprimantes individuelles qu'on remplacera par des imprimantes collectives au bout du couloir... J'ai été seule juge de l'expropriation de Meurthe-et-Moselle et on ne voulait pas m'acheter de code alors que j'étais sur une affaire sans savoir qu'il avait une question prioritaire de constitutionnalité qui avait supprimé un article... »

Pourquoi n'achète-t-elle pas elle-même le code ? « Jamais de la vie ! Ça coûte jusqu'à 100 euros, et il en faut plusieurs... Si on commence, à la fin, on paiera le chauffage ! Je ne vais pas tous les matins sur les sites de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel ou de la Chancellerie ! Je ne pourrais plus rendre aucune réquisition dans les temps. Il faudrait un poste de veille juridique à la Chancellerie... Quand j'ai commencé, on avait tous les codes qu'on voulait. Je suis d'accord pour faire des économies, mais on doit pouvoir travailler. Là, on est à la limite et le budget de la Justice est toujours très bas... »

Plus rien depuis septembre dans l'enveloppe 2015 de l'aide juridictionnelle

Pour ce faux procès, de nombreux témoins seront appelés. Des syndicalistes représentant les greffiers (UNSA), les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (CGT), des associations comme le Génépi, Amnesty international, Solidarité-Femmes, le Comité de défense des droits et libertés des étrangers... Fabien Stucklé, du Syndicat des avocats de France, témoignera du manque de moyens de l'aide juridictionnelle : « Ça fait 15 ans qu'on nous promet une réforme, mais plus ça va, plus les crédits se réduisent parallèlement à l'extension des missions, par exemple les médiations... Selon les missions, l'aide juridictionnelle nous rétribue de 7 à 9 euros de l'heure. On touche 48 euros pour une défense devant le tribunal de police où on passe au moins trois heures... Et depuis septembre, il n'y a plus rien dans l'enveloppe 2015... »

Pour Clarisse Taron, ce qui arrive à la Justice est une « casse des services publics, comme l'hôpital ou l'école ». Elle craint une « justice à deux vitesses » préjudiciable aux « justiciables les plus précaires, à ceux qui souffrent ». Les dysfonctionnements dont souffre par exemple la justice prud'homale à Paris ont entraîné plus de 70 condamnations de l'Etat... Madame Taron n'a pas cité son représentant, le préfet, à cette audience particulière, mais elle a prévenu les élus. Elle espère que « cette représentation aidera les gens à comprendre » la situation dans laquelle est la justice : « selon le dernier rapport biennal de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la France est 37è sur 43... ». Une chose est sûre, dans ce procès hors normes, comme tout mis en cause a le droit d'être défendu, l'Etat aura une avocate : Aurélie Meyer, l'une des trois juges d'instruction de Besançon, submergée par les dossiers. Trois quand il en faudrait quatre... 500 postes ne sont en effet pas pourvus dans le pays, une situation qui ne date pas d'hier. 

 

 

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