Village vacances de Lamoura : une session et des questions

On pensait le village de vacances vendu cet été à un acteur touristique inconnu, le notaire aurait oublié d'intégrer le droit de préemption de la collectivité à la procédure. Le conseil régional examine vendredi 24 septembre les conséquences de ce curieux rebondissement qui relance l'hypothèse d'un projet en partie public. Mais le syndicat intercommunal qui a vendu le VVL menace de réclamer en justice un préjudice qu'il estime à 2 millions d'euros...

denissommer

Le Conseil régional va-t-il finalement acheter le Village de vacances de Lamoura ? C'est l'une des deux questions que les élus franc-comtois vont examiner jeudi 24 septembre sur ce sujet soumis à de multiples rebondissements. Le dernier en date n'est pas le moindre. La vente aux enchères du 24 juillet, pour 2,5 millions d'euros, au seul enchérisseur, la jeune societé francilienne Ereig, totalement inconnue du monde touristique, au site internet toujours en construction, n'est pas valable. Le notaire a en effet oublié un petit détail : demander à la commune si elle entendait préempter le bien. On croit rêver...

Du coup, la région, qui avait mis la barre à 1,5 million, pourrait revenir dans le jeu. Elle est d'ailleurs à la manoeuvre depuis quelques semaines en discutant à l'amiable avec le notaire afin d'éviter d'en passer par une contestation judiciaire de la vente. Pour cela, il faut que l'assemblée accepte d'exercer le droit de préemption que le conseil municipal de Lamoura lui a délégué. Saisi de la question lundi 21 septembre, le Conseil économique, social et environnemental a mis l'accent dans son avis sur la « viabilité économique » et la « qualité du projet touristique du partenaire ». Car l'exploitation du VVL, s'il était acquis par les collectivités, serait confiée, vraisemblablement, à Touristra, l'ex Tourisme et Travail.

Quel positionnement pour les communautés de communes ?

Jean-Claude Merle : « La population du VVL était très sociale, des villes de droite l'ont défendu »
Ancien adjoint au maire de Marly-le-Roi, Jean-Claude Merle (PCF) est aujourd'hui conseiller municipal d'opposition. La ville est passée à droite en 1989 et y est restée.
D'où vient le syndicat intercommunal du village de vacances de Lamoura ?
Dans les années 1960, quatorze communes de toute la France se réunissent pour acheter un terrain à Lamoura et construire et animer un village de vacances... Il y avait Troyes, Angers, Chalon-sur-Saône, Chauny, Longjumeau, Ris-Orangis, Suresnes, Lorient, Rennes, Sartrouville, Marly-le-Roi... A l'époque, le maire de Marly-le-Roi était radical de gauche... Les élus s'en occupaient, mais aujourd'hui, il n'y a plus guère d'intérêt pour ça. Ils veulent s'en débarrasser car ça coûte cher. En fait, ça coûtait le quotient familial, on faisait du social. Je m'en suis fugitivement occupé comme adjoint aux affaires sociales. La population du VVL était très sociale. Des villes de droite ont défendu le VVL, comme Chalon, Chauny ou Angers. Il a été vendu à la société Geco qui avait des accointances avec Baroin (maire de Troyes), mais Geco a fait faillite...
Voir son blog ici

Reste que l'ancien propriétaire, le syndicat intercommunal du village de vacances (SIVVL) ne voit du tout les choses comme ça. C'est ce qu'a dit son avocat au Progrès (22/09). Il estime la vente on ne peut plus régulière. On est selon lui dans la situation « d'enchères volontaires et non obligatoires » dans laquelle « la déclaration d'intention d'aliéner trente jours avant la vente ne s'applique pas ». Du coup, il laisse planer une procédure de plusieurs années qui « conduirait inévitablement à un abandon de bien ». Fait-il monter, avec ces déclarations, d'autres enchères, celles de la négociation que la région envisage avec le SIVVL ? Car ce dernier a bel et bien intérêt à vendre 2,5 millions plutôt que 1,5... Mais l'avocat balaie l'éventualité : « impossible de négocier avec le syndicat, il n'est plus propriétaire ».

Le CESER ne manque pas de souligner l'augmentation du prix de 1,5 à 2,5 millions auquel la région pourrait acheter. Ce n'est certes pas cher pour 400 chambres, un restaurant, une piscine, un théâtre..., mais il faut aussi compter sur des travaux estimés à 12,5 millions : un peu plus qu'un rafraîchissement après que le SIVVL a un peu laissé aller le site. Marie-Guite Dufay a d'ailleurs indiqué ne pas vouloir aller au-delà de 1,5 million, mais défend le principe d'une société d'économie mixte avec le Département du Jura, la commune de Lamoura et les trois communautés de communes du Haut-Jura. Ce qui n'a pas manqué de faire tiquer lesdites collectivités. « Nous sommes associés à la réflexion, aucun engagement n'a été pris, mais la question est susceptible de nous être posée », soulignait ainsi Raphaël Perrin, le président de la comcom Haut-Jura-Saint-Claude, le 16 septembre.

Lamoura n'est pas Courchevel !

Le SIVVL met la pression sur la région et la commune de Lamoura en menaçant de réclamer en justice 2 millions d'euros de préjudice (encadré ajouté le 24/09/2015 à 0 h 45)
Dans un courriel adressé le 22 septembre à tous les conseillers régionaux, le président du SIVVL, Jean-Luc Leclercq, adjoint au maire de Suresnes (92) les met en garde, avec un brin de condescendance, « sur le contexte juridique qui ne semble pas avoir été totalement perçu ou mesuré ». Il estime ainsi que le raisonnement de la région comporte de « nombreuses failles juridiques, et de ce fait des erreurs d'interlocuteurs, mais surtout pour le Conseil régional des risques importants ». Si « malgré tout », la région décidait de « faire jouer le droit de préemption qui lui a été transféré par la commune de Lamoura sur la base de délibérations entachées d'irrégularités (...), il ne pourrait le faire que sur la base de la dernière enchère », soit 2.510.000 euros. 
M. Leclercq, qui insiste sur le fait que le SIVVL n'est plus propriétaire du VVL, il assure dans un courriel au service tourisme de la région, qu'il contesterait en justice une éventuelle application du droit de préemption par la région et réclamerait « réparation du très lourd préjudice financier subi ». Il exprime ses doutes que la société Ereig accepte de renégocier 1.750.000 euros un bien acquis à 2,5 millions. Et souligne : « alors que le SIVVL a accepté de repousser d'un an sa décision d'organiser la vente (votée le 27/06/2014) pour privilégier un rachat par un "collectif" franc-comtois, qu'il a attendu depuis janvier une offre chiffrée permettant d'engager une véritable négociation, il est dommage que le Conseil régional ait laissé passer toutes les occasions simples de reprise ».
Une lettre de l'avocat du SIVVL (lire ici) adressée le 15 septembre au maire de Lamoura est encore plus explicite, voire lourde de menaces :  il lui reproche notamment une déclaration d'intention de préemption avant la vente, ce qui a « découragé certains acheteurs potentiels présents de surenchérir », fait perdre au SIVVL « une chance considérable de vendre à un prix supérieur », en vertu de quoi il estime le préjudice à 2 millions.
Cette littérature est-elle du bluff, une tactique de négociation ? Denis Sommer dit simplement : « il y a un débat juridique, nos juristes travaillent ».   

Quelques détails paraissent néanmoins curieux dans cette histoire. Parfaitement inconnue des acteurs du tourisme, la société Ereig qui a acheté le VVL a fait jusque là des déclarations généralistes pleines de bon sens, comme moderniser les équipements, monter des classe vertes, des randonnées VTT et « pourquoi pas une maison de repos pour personnes âgées ». Reste qu'en indiquant (Le Progrès 30/07) « viser toutes les clientèles », elle s'enhardit dans le flou. « C'est bateau, il faut que les équipements suivent », réagit un acteur du tourisme régional. Peut-on alors se contenter « d'importants travaux d'étanchéité, d'isolation par l'extérieur avec du double vitrage, de peinture, de refaire la piscine avec un nouveau mode de chauffage » ? « D'accord, dit notre professionnel, mais l'intérieur ? » Il faudrait en effet le soigner pour les clients haut de gamme qui n'ont pas le massif jurassien comme destination principale... Lamoura n'est pas Courchevel et Les Rousses ne sont pas Mégève !

L'inexpérience présumée de la société Ereig, SAS au capital de 10.000 euros,  interpelle aussi la région. Est-elle crédible ? « Elle a acquis un bien, persuadée de faire une excellente opération immobilière, mais sans intégrer vraiment les orientations touristiques du Plan local d'urbanisme », dit Denis Sommer, vice-président du Conseil régional. « Depuis qu'ils en ont connaissance, on a le sentiment qu'ils reculent... On entend des bruits selon lesquels ils ont pris des contacts avec une société touristique. Ils ont annoncé investir 6 à 8 millions et ouvrir au printemps 2016. C'est juste impossible. Ça nous a paru, ainsi qu'aux spécialistes immobiliers, étrange... Quand des opérateurs ont un projet touristique et viennent nous voir, on en parle, ça ne nous pose pas de difficultés de les soutenir... » Or, Ereig n'est pas venu voir la région...

Les écologistes sont quant à eux « favorables » à l'achat du VVL par la région, y compris « en urgence au nom d'un collectif de collectivités qui prendraient leur part ensuite », explique Brigitte Monnet. Tête de liste EELV dans le Jura, elle craint « le démantellement du site avec avec cette société immobilière Ereig. Si on veut préserver un tourisme familial, ce ne sont pas ces acquéreurs qui le développeront... Ils ne savaient même pas que le site était à vocation touristique ! »

 

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