On parle de transition énergétique en haut lieu. A la rigueur de transition écologique. Les deux vont de pair. Persuadés que les changements se font au niveau des initiatives locales, des militants d'alternatives concrètes, réunis dans un collectif de seize mouvements associatifs, ont mis sur pied le concept de transition citoyenne. Ils ont même créé une journée pour ça l'an dernier avec 245 événements dans toute la France. Ils ont recommencé cette année, le 26 septembre ! Ils défendent une économie non seulement sociale et solidaire, mais sociale, solidaire et écologique. Ils ont un plan, le plan ESSE ! Ils ont un objectif en forme de slogan : une économie juste. Et même un journal recensant une myriade d'initiatives qui se passe de main en main et s'appelle d'ailleurs Demain en mains...
En Franche-Comté, la journée de la transition citoyenne s'est tenue dans un seul village, Montain, entre Poligny et Lons-le-Saunier. Bricolée avec ardeur par les adhérents de la Fruitière à idées et de la Boussole, elle consiste à réunir sur la place centrale quelques animations qui relèvent de la production ancestrale et de la convivialité. Les musiques marient instruments plus ou moins anciens et arrangements d'aujourd'hui. Le jus de pomme est pressé et pasteurisé sur place à partir des fruits des vergers des alentours. Les beignets de consoude et les salades sont fabriqués lors du stage conduit par Armelle Bidault, maraîchère bio au village, dans le cadre des activités du Colombier des arts, association du village voisin Plainoiseau. Etienne Canale, à l'origine de la Boussole, qui court d'une idée à une autre, est venu avec la machine à fabriquer des cordes qu'il a commandée à Michel Muret et emmène partout où il peut. On profite de l'évènement pour faire venir une exposition sur le climat qui circule dans divers lieux de la région, se retrouvera à Alternatiba-Besançon les 17 et 18 octobre, ou à Longchaumois la semaine suivante pour la foire Humeur bio.
Utopies concrètes en réseau
Ainsi va le petit monde des porteurs d'utopies concrètes qui fonctionne en réseau, voire en réseaux. Ils ne sont pas les seuls, c'est l'époque. Les technologies du temps le permettent, mais les hérauts de la transition citoyenne n'en font pas une fin en soi. Ils seraient plutôt du genre décroissants, mais n'entendent pas se priver de l'essentiel : boire et manger sain, tendre vers l'autonomie, viser l'économie énergétique, rester indépendants des directives de l'économie libérale, se tenir à l'écart du cirque politico-médiatique, mais pas de la rumeur du monde...
Nous avons posé une unique question à quelques uns d'entre eux, rencontrés à Montain : c'est quoi, pour vous, la transition citoyenne ?
Etienne Canale : « Des personnes qui ont pris conscience qu'on ne peut rien attendre du politique et décident d'agir pour foutre une merde compacte dans le système. Exemple : à Sancy, près de Mâcon, mon ami Jean-Claude a fait un labyrinthe de 100 m2 : c'est une analyse du système, il n'y a pas de variable indifférente ». Pourquoi foutre une merde compacte ? « Parce que le système est mort, la société n'est plus vivante. Ce qui se passe ici est un bon exemple : ce sont des initiatives où chacun est expert de sa vie. Ils ont fait la Fruitière et décidé qu'il y avait cinquante possibilités d'usage. Ils y vont petit à petit, se fichent pas mal du gouvernement, du conseil général et du préfet. Un jour, dans une manif, il y a dix ans, un gars avait écrit sur une pancarte : "parlez-vous, c'est ce qu'ils redoutent le plus..." » Les sociétés humaines n'ont-elles pas toujours fonctionné avec des initiatives à la base ? « Non, il y a des endroits où les gens ont renoncé. Le renoncement à dire et à faire est terrible. Je suis d'accord avec Ivan Illich qui disait : "les gens sont habitués à réclamer les choses plutôt que de les faire" ».
Michel Muret : « La transition citoyenne, c'est la porte ouverte aux alternatives, à faire des les choses autrement ». Pourquoi avoir fait une machine à fabriquer les cordes ? « Mais c'est moins cher ! On était à une réunion de Terre de liens où il y avait une démonstration de fabrication de corde comme on le faisait dans toutes les fermes il y a quarante ans. Etienne m'a demandé, et j'ai fabriqué la machine... »
Beignets de consoude
Josette Canale : « Les citoyens doivent se prendre en charge et essayer de changer les choses... A 81 ans, je trie mes déchets, l'adhère à une AMAP... »
Martine : « La transition, c'est être citoyen en soi. C'est s'ouvrir aux autres pour partager... »
Sylviane Pernet : « C'est essayer de passer d'un système à bout de souffle à un autre en essayant que ce soient les citoyens qui le prennent en charge... Le système capitaliste d'exploitation à tout crin, à tout va, pour quelques uns, va dans le mur à tous points de vue : social, environnemental... » Que faites-vous avec quelles feuilles de plante ? « C'est de la grande consoude avec laquelle on va faire de beignets. C'est une plante réparatrice des tissus, très connue en phytothérapie... » Vous être communiste, quel lien avec l'écologie ? « C'est étroitement lié... Le parti a mis du temps à prendre le virage écolo... A la base, et avec des gens de bonne volonté, on peut faire changer les choses... »
Armelle Bidault : « On ne savait pas que c'était la journée de la transition citoyenne et on avait l'atelier cuisine... »
Steve Gormally, vigneron à Passenans : « L'atelier cuisine a eu un premier temps autour des légumes et travail de maraîchage, puis on est passé à la transformation... » Quel lien avec la transition citoyenne ? « C'est le hasard, mais ça a un peu à voir. C'est un partenariat avec la Fruitière à idées. Je ne savais pas qu'il y avait une journée de la transition citoyenne. Pour moi, c'est tout ce qui peut aider à des alternatives à un système où on se fait entraîner malgré nous, même si on résiste. En fait, c'est de la redécouverte d'activités assez simples... »
« Faire vivre une communauté villageoise »
Michel Faivre, président du Foyer rural : « La transition citoyenne ? Je ne m'étais pas posé la question ! C'est vachement bien de faire du jus de pommes avec les pommes du village, non traitées ! »
Ghislaine : « C'est retrouver le partage... La différence entre l'ESSE et l'ESS qui vient du haut, c'est que la nôtre vient du bas... Il s'agit de faire vivre une communauté villageoise... Par exemple, à Montain, on ne désherbe plus avec des produits phyto car les citoyens l'ont demandé... »
Michel Faivre : « Quand je fais mon jardin, je récupère l'eau de pluie... Et je n'oublie pas que le foyer rural s'appelle foyer rural et d'éducation populaire ».
Brigitte Ferry-Daeschler, sage-femme à l'hôpital de Lons-le-Saunier, est venue vendre quelques objets au profit d'une ONG africaine dont l'objectif est la lutte contre la mortalité maternelle, l'Amref : « toutes les trois minutes une femme meurt en couches... C'est cent fois, mille fois plus qu'en Europe. Beaucoup accouchent seules. ici, la naissance est une joie, là-bas, on a souvent la crainte du pire. L'Amref forme des accoucheuses traditionnelles et des sage-femmes. L'objectif est d'en former 15.000, on est à 7000. Il faut surveiller les grossesses, sans pour autant médicaliser à outrance comme chez nous.... La transition citoyenne ? C'est que les gens prennent en main leur vie, sans attendre que les politiques fassent à leur place... »