« Un prof m’a violée, j’hésite à donner le nom de ce prédateur… »

La semaine féministe d'une association de Besançon affiliée au syndicat Solidaires-Etudiants comportait un atelier sur le harcèlement dans l'enseignement supérieur. Nous y avons entendu l'expression de souffrances et la dénonciation d'injustices, de la colère et de la détermination.

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« Plus on monte, moins il y a de femmes », dit une étudiante en philo, constatant que l'université n'est pas plus vertueuse que le reste de la société. C'est notamment cela qui a conduit l'association multiculturelle des étudiants bisontins, affilée à Solidaires-Etudiants, à organiser sa troisième semaine féministe à la fac de lettres. Outre deux ateliers non mixtes (initiation à l'auto-défense et café littéraire), l'essentiel du programme était ouvert à tous, d'un film sur Angela Davis à des tables rondes sur le harcèlement, le consentement ou, lundi 27 novembre, l'écriture inclusive.

Malgré la gravité du sujet, voire son actualité, « le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur » n'a pas rempli l'amphi Donzelot, très loin de là, mardi 21 novembre. Et pourtant... Entre « propos sexistes émis par des profs » et banalisation, voire dénonciation de couverture de certains agissements par l'administration, il y a matière. Mais justement, cette matière est sensible. Sachant que la parole a parfois un peu de mal à s'exprimer, les animatrices proposent aux participants d'écrire sur des petits bouts de papier une phrase, une impression, un témoignage, une solution...

Du coup, les échanges se sont à partir de ces propositions anonymes. Quelqu'un en convient, on est dans un curieux moment où l'on ne pourra pas démêler le réel de la rumeur, où la place est d'abord à la parole. Un petit papier est déplié : « J'ai entendu que certains profs se faisaient des étudiantes, comment est-ce encore possible ? » Une jeune femme commente : « j'entends le rapport de domination... Des étudiantes attendent la fin de leur relation avec le prof pour se mettre en couple... » Un autre papier est déplié et lu : « un prof m'a violée, j'hésite à donner le nom de ce prédateur... »

Après un moment de sidération et de flottement, la colère et la détermination s'expriment : « pour l'administration, ce sont de simples contentieux personnels, elle entretient la loi du silence... Alors que le harcèlement, l'agression, le viol sont des délits et des crimes... » Quelqu'un fait la comparaison avec le monde du travail où « l'employeur a l'obligation de protéger les salariés ». Un jeune homme renchérit : « un prof a un dossier épais comme ça, l'administration le protège... »

Une militante prend la balle au bond : « tu n'es pas le seul à évoquer ce genre de situation en SLHS... A l'Ameb, on s'est formé à la question du harcèlement. Il faut de la confiance, du temps pour parler. Le problème de la mixité, c'est qu'elle peut intimider des filles à parler à des délégués masculins... Ça peut aussi être une mauvaise stratégie individuelle de parler, on peut le payer cher... »

L'exemple du lycée Condé est évoqué : dénonçant des faits de harcèlement, une partie du personnel avait fait grève, des syndicats avaient saisi le CHSCT du rectorat, le proviseur avait été muté quelques temps après. Une étudiante évoque un professeur de son lycée qui lui avait proposé de le rejoindre dans sa garçonnière : « c'était ignoble », dit-elle, en regrettant que le terme soit « banalisé au point qu'un salon de coiffure s'appelle la garçonnière... »

Un militant invite à penser les choses « au niveau des structures administratives et du mode de cooptation des postes » d'enseignants dans le supérieur : « on est dans un système encore très archaïque, à partir du master, la réussite dépend de l'accompagnement par les profs. C'est une situation propice au harcèlement... Et la frontière est ténue avec des relations consenties et saines » que personne n'a l'idée de dénoncer, bien au contraire.

La discussion est enfin lancée, mais c'est l'heure de fermer l'amphi. Un dernier papier est lu : « il y a quelques mois, j'ai subi une agression sexuelle. J'ai eu du mal à en parler à mon entourage. Mais il ne faut pas avoir honte ». Une militante dit doucement et fermement : « on peut accueillir, écouter... On est aussi capable de se taire... Notre local est au rez-de-chaussée du bâtiment N de l'Arsenal... »

 

 

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