« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’un arbre qui pousse »

Dans « La Désintégration », son précédent film, Philippe Faucon montrait comment des jeunes beurs de la banlieue de Lille basculaient dans le terrorisme islamiste. « Fatima » qui sort aujourd’hui dresse le portrait d’une femme de ménage immigrée qui élève seule ses deux filles. Au dernier Festival de La Rochelle, le cinéaste s’est longuement exprimé à l’issue de la projection.

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Les  titres  des films de Philippe Faucon sont souvent des prénoms. Comme si en nommant ses héroïnes, il pouvait mieux s’approcher d’elle et tenter de les comprendre. « Sabine », portrait d’une mère atteinte du sida ; « Samia » une adolescente cherchant à s’émanciper ; Enfin, Fatima, une femme silencieuse, et, au-delà, sa quête profonde. Le cinéaste fait le portrait d’une héroïne invisible, une femme qui met tout en œuvre pour l’affirmation de ses filles. Elle apprend à lire et consigne dans des cahiers ce qu’elle ne peut pas leur dire : « Ce film est né d’une proposition de ma productrice Fabienne Vonier. Elle m’a proposé de lire les livres de Fatima Elayoubi ; il s’agit de deux petits livres (Prière à la lune  et Enfin je peux marcher seule ) qui racontent ce qu’une mère voudrait dire à ses filles et qu’elle n’arrive pas à formuler en français. Au départ, je ne savais pas très bien ce qu’on pouvait faire avec ce journal écrit. J’ai rencontré Fatima Elayoubi. C’est une femme très vivante avec une belle sensibilité. Elle a quitté l’école très tôt, a eu deux filles et s’est retrouvée dans des difficultés de communication. Elle faisait des ménages et fréquentait des cours d’alphabétisation. Elle était faite de choses qu’elle n’avait pas pu accomplir et voulait recréer le contact avec ses filles ».

Avec un regard pertinent, Philippe Faucon révèle la violence sous-jacente entre la bourgeoise et Fatima femme de ménage, entre un propriétaire et une femme voilée. Avec minutie et par souci de vérité, il s’approche des mécanismes de relégation sociale.

La place de l’interprète

Difficile de raconter cette histoire sans trahir l’auteur et plus encore de trouver une interprète susceptible de jouer ce rôle : « Ma grande préoccupation était de ne pas dénaturer l’histoire de Fatima Elayoubi ; elle avait peur que ce soit une caricature. Je lui ai expliqué que je la raconterais avec d’autres moyens. Au départ, je ne pensais pas qu’une actrice puisse le faire, tout simplement parce qu’il n’existe pas en France une comédienne pour interpréter le rôle d’une femme maghrébine maîtrisant mal le français. Jouer quelqu’un qui parle mal, c’est impossible. J’ai fait une recherche au Maroc pour trouver une comédienne, mais aucune ne correspondait à l’âge de cette femme. J’ai aussi effectué des recherches dans les associations. J’ai enfin rencontré Soria Zeroual, une non professionnelle : elle avait une façon calme d’être présente lors des essais de lecture, de jeu. Elle a eu tout de suite une forte implication. Elle était dans une sorte d’engagement, de concentration, d’écoute. Elle ne se décourageait jamais ». Qu’y a-t-il dans le regard d’une femme qui ne peut pas s’exprimer ? Comment parler de ce manque ? Philippe Faucon a choisi de travailler la mise en scène à la fois dans le respect des écrits et de la vie de Fatima Elayoubi et de l’interprétation de l’actrice Soria Zéroual.

La dignité d’une mère

« Le film était très écrit ; au tournage il y a une renaissance, une obligation de reconsidérer les choses. On peut abandonner quelque chose d’écrit et privilégier l’interprète vivante. Il faut trouver le point de rencontre entre le personnage écrit et le personnage vivant pour que ce soit unique. C’est un travail de rencontre. Cela peut apporter des choses très belles ».

Montrer, les difficultés de cette femme et par là même la vie de toutes les autres qui lui ressemblent est un thème prégnant de la propre histoire du cinéaste : « Je suis fils d’une femme qui est née en Algérie et qui ne parlait pas le français dans sa jeunesse. J’ai voulu faire un film sur une personne privée de pouvoir dire ce qu’elle a envie de dire. Depuis mon enfance je suis entourée par ces femmes-là. »

« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’un arbre qui pousse » dit encore le réalisateur à l’issue de la projection. L’arbre qui pousse dans ce film est celui d’une intégration réussie » et porte en lui toute l’énergie et la dignité d’une mère.

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