Tous ensemble contre le Projet régional de santé !

Après les départements de Côte d'Or, Nièvre et Yonne, et sans doute avant les départements comtois et nombre de communautés de communes, le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a voté à l'unanimité un avis défavorable au document d'orientation de l'Agence régionale de santé. Le hic, il n'est que consultatif... Marie-Guite Dufay a alerté par écrit Edouard Philippe de l'avancée des déserts médicaux.

bfcars

Après quatre heures de débat, ou plutôt de démolition en règle des orientations de l'ARS par une trentaine d'interventions d'élus, le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a voté mardi 10 avril, à l'unanimité, un avis défavorable sur le Projet régional de Santé 2018-2022. Ce vote intervient après des décisions similaires prises par les conseils départementaux de Côte d'Or, Nièvre et Yonne, les cinq autres devant se prononcer d'ici le 6 mai, vraisemblablement dans le même sens. Le leader de la droite, l'ancien ministre François Sauvadet (UDI), par ailleurs président du département de Côte d'Or, et Patrick Molinoz (PRG) ont exhorté les 119 intercommunalités et les quelque 3800 communes à faire de même.

Ces votes des collectivités territoriales vient s'ajouter à l'opposition maintes fois manifestée par les habitants de secteurs ruraux et/ou montagneux, de petites et moyennes villes, depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, tant les résistances sont vives dès lors que l'offre de soins est perçue comme se dégradant. Ce refus de la société civile était symboliquement représenté par une quinzaine de manifestants venus de Nièvre, Yonne ou Haut-Jura. Faisant une haie d'honneur aux élus pénétrant dans l'hôtel de région, ils n'ont été autorisés à suivre les débats, dans le petit espace réservé au public, qu'une demi-heure après le début de la séance.

Ils n'auront pas assisté au discours introductif de Marie-Guite Dufay taillant en pièce le PRS dont seul l'état des lieux lui parait acceptable. Il montre que l'état de santé des habitants de la grande région, malgré une amélioration « significative » ces dix dernières années, « reste moins bon que celui de la population française » et « très différent selon les milieux professionnels et selon les territoires ». La présidente « aurait aimé que le PRS consacre plus de pages » à la réduction des inégalités sociales de santé. Alors qu'il se contente, dira Patrick Molinoz dans le débat « d'accompagner l'effondrement de la démographie médicale ».

« La télémédecine ne peut pas remplacer le contact humain »

Ces inégalités se traduisent par une « situation extrêmement préoccupante » pour « une grande partie des territoires ruraux », notamment en Haute-Saône ou le Haut-Jura, où les médecins manquent et sont mal répartis. Le secteur de Morez a ainsi « moins de cinq généralistes pour 10.000 habitants, soit moitié moins que la moyenne nationale ». C'est aussi « dans le Haut-Doubs, le Jura et certaines parties du Morvan » que « l'accès aux urgences est le plus difficile : il faut attendre plus de 45 minutes une intervention ».

Les temps d'accès aux urgences : supérieurs à 45 minutes dans les zones rouges... Que seront-ils quand celles de Saint-Claude ou Gray seront fermées ? (Document issu du PRS)

La présidente emboîte le pas des différents mouvements sociaux en constatant que « toute remise en cause des services d'urgence dans ces zones [est] perçue par la population et les élus comme une atteinte intolérable au droit à la santé, dont le préambule de la constitution de 1946 a fait un droit constitutionnel ».

Elle estime « utiles » les propositions de l'ARS visant à renforcer la prévention qui « ne représente que 2% des dépenses de santé contre 3% dans l'ensemble des pays de l'OCDE. C'est très faible (...) nous devons changer de braquet à ce sujet ». Elle dit aussi appuyer le développement des maisons de santé pluridisciplinaires, de l'e-santé et de la télémédecine. Mais c'est pour ajouter aussitôt que « la télémédecine n'est pas adaptée à toutes les spécialités, elle ne peut pas remplacer le contact humain ». 

Des propositions de l'ARS « dramatiquement insuffisantes et parfois incohérentes »

Utiles donc, les propositions de l'ARS sont « dramatiquement insuffisantes et parfois incohérentes », ajoute Mme Dufay. Notamment « lorsque vous faites prendre au système de soin un virage ambulatoire, c'est à dire vous appuyer sur la médecine de ville dans une région qui manque cruellement de médecins généralistes ». Pour atteindre la moyenne nationale, il en faudrait en effet 240 de plus... Sans compter la nécessité de 880 infirmiers et 1000 médecins spécialistes supplémentaires...

La présidente insiste sur le « problème des déserts médicaux que nous avons vu s'aggraver continûment ces dernières décennies », et pour lesquels « il faudrait vraiment reconnaître le rôle du centre hospitalier de référence et le défendre avec force... Il ne faut pas fragiliser les services d'urgence, seuls lieux d'accès permanents aux soins connus par le public. Il est logique que la population se reporte sur l'hôpital public lorsque les praticiens libéraux ne sont pas assez nombreux ». Comme la liberté du choix du médecin ne peut s'exercer, la situation « appelle de nouvelles régulations ». Elle suggère de « passer d'une logique où la dépense est fonction de la consommation et du nombre de médecins, à une logique où la dépense est fonction des besoins de la population ».

Pierre Pribile, le directeur général de l'ARS, ingénieur des mines et polytechnicien passé par le RSI et le cabinet de l'ancien premier ministre Manuel Valls, sait qu'il ne renversera pas le vote qui s'annonce. Peu lui importe le résultat, l'avis n'est que consultatif. Il paraît cependant heureux d'être là. Il remercie la présidente d'avoir organisé le débat, philosophe sur « la vie, la mort, la naissance, le handicap ». Il assure sans rire, mais en souriant, que « l'honnêteté intellectuelle et la rigueur » ont présidé à la rédaction du PRS. Que le document n'a « pas été construit en chambre par d'horribles technos », mais « énormément travaillé avec des professionnels de santé, des usagers, des collectivités locales, des acteurs de l'économie sociale et solidaire... »

Il voit certainement les mines des conseillers régionaux se décomposer au fur et à mesure qu'il avance dans un propos qui reprend les grandes lignes du PRS. Quand, à 10 heures 22, les quelques manifestants prennent enfin sagement place sur les bancs du public, il commence à évoquer les « défis colossaux » qui attendent la région. Il cite la « perte de confiance de patients à l'égard des hôpitaux », les « manques d'effectifs » qui débouchent sur des « déficits » qui nécessitent l'organisation de « logiques de complémentarité » et de « gradation de soins ».

« Nous sommes organisés comme si nous avions
ces 150 à 200 médecins urgentistes qui nous manquent... »

Puis il assène : « nous ne pouvons pas développer sur les territoires des équipements techniques » de pointe. Il reconnait que le manque de 150 à 200 médecins urgentistes est un « écart entre ceux dont nous avons besoin et ceux que nous avons ». Il en conclut non pas à la nécessité de recruter, mais, souligne en forme d'auto-critique collective : « nous sommes organisés comme si nous avions ces 150 à 200 médecins... »

François Sauvadet (UDI) qui a « apprécié » les propos de la présidente, regrette le « caractère inachevé de pans importants du PRS » tout en soulignant sa perplexité : « que vaut un document dans un contexte où le gouvernement va donner sa stratégie en mai ? » Quant au fond, il estime les belles orientations « démenties chaque jour par les faits, les fermetures se succèdent sans qu'on soit associé, les réactions traduisent l'inquiétude des populations, on déshabille les territoires, la moitié des médecins formés dans la région la quittent... Vous parlez de dialogue mais des élus locaux menacent de démissionner... »

La densité médicale... ou, en creux, ou plutôt en clair, la carte des déserts médicaux... (Document issu du PRS)

Pour le président du groupe LR-UDI-DVD, le PRS correspond à « une vision de la France consistant à concentrer l'essentiel des services dans les grandes villes ». Il propose au contraire de « déconcentrer tout ce qui peut l'être en matière de prévention », souligne que « les médecins reviendront si des perspectives existent », propose d'inverser le regard de l'ARS : « et si la présence des médecins était un facteur d'attractivité pour les territoires ? »

Le directeur de l'ARS n'a « pas le beau rôle »

Le président du groupe FN, Julien Odoul, use d'un ton accusatoire à l'égard de Pierre Pribile : « il n'y a pas de volonté des pouvoirs publics de sauver des vies... Vous êtes intouchable, avez le pouvoir le fermer un hôpital, une maternité... Vous décidez seul, sans concertation, quel que soit l'avis des populations ou des collectivités locales... Je n'ai rien contre vous personnellement, mais vous êtes les représentant de cette technocratie qui empoisonne les Français, vous êtes un comptable, un mercenaire hors sol expliquant à la France rurale et périphérique comment faire des économies sur leur bien le plus précieux... » Cette formule fait intervenir Marie-Guite Dufay : « n'attaquez pas la personne ! »

Maraudant sur sa gauche, l'élu d'extrême-droite critique la T2A créée en 2003 et sa « logique de rentabilité, de santé-business ». Il décrit un processus dénoncé de longue date par les comités se battant localement : « Quand vous voulez la mort d'un hôpital, vous supprimez d'abord la chirurgie dont l'activité rapporte de l'argent, puis la maternité, puis les urgences dont vous justifiez la fermeture au regard du manque d'activité... Vous attendez la faute inexcusable pour fermer... »

Le président du groupe PS, le sénateur Jérôme Durain, dit d'emblée sa « solidarité avec ceux qui se battent sur le terrain » tout en se démarquant du FN : « je ne ferai pas mon miel politique de la souffrance des autres... » Il dit lui aussi son « respect » pour la personne du directeur de l'ARS qui n'a « pas le beau rôle », mais aussi son « désaccord politique (...) quand de tous les territoires passe le même message : la santé n'est pas un service public comme les autres, elle est au cœur de notre modèle social ».

« Si vous pouviez au minimum répondre à cette question ! »

Il dénonce comme « inacceptable le scénario d'une santé à deux vitesses », reproche au PRS de « faire fi de la géographie, des routes enneigées en hiver ». Il assène : « en matière sanitaire, l'Etat reste le plus froid des monstres froids... Vous dites que vous avez fait un projet collectif, mais face à tant de colère, on voit bien qu'il n'y a pas assez de travail collectif. C'est dans ce sens qu'il faut retravailler ».

Retravailler, amender, infléchir... Outre dénoncer des situations locales, les interventions des élus, notamment des territoires impactés par les fermetures, visent à changer le cours des choses. Patrick Genre (DVD, maire de Pontarlier) demande un double moratoire, financier et sur les fermetures, au moins jusqu'à la publication du PRS.

Dans sa réponse, Pierre Pribile n'aura pas un mot sur le sujet. Marie-Guite Dufay insistera, voire implorera : « tant que le PRS n'est pas approuvé, il faut un moratoire... Comment allons nous travailler ensemble ? Arriver à un document amendé ? Si vous pouviez au minimum répondre à cette question ! »

Lâcher du lest, sinon faire mine...

Mais le directeur de l'ARS, inflexible, use de sa plus belle langue de bois : « au stade où nous en sommes, nous aurons à cœur d'apporter des réponses aux collectivités, soit dans le document lui-même, soit au cours du chantier... cela peut donner lieu à amendement, mais on attend le Gouvernement... »

La présidente ne renonce pas : « Nous avons besoin d'un espace de dialogue qui fonctionne... » Pierre Pribile sent qu'il lui faut lâcher du lest, sinon faire mine : « Je suis prêt à y travailler ». François Sauvadet se saisit de la perche : « La santé ne peut pas être laissée aux seuls spécialistes de la santé. Je propose un groupe de travail trans-partisan... Je crains que le document n'évolue pas dans le bon sens, le conseil régional pourrait émettre des vis au fur et à mesure de son évolution...  » Marie-Guite Dufay « souscrit » à la proposition de l'ancien ministre : « nous ne lâcherons pas sur ces inquiétudes... Il faut trouver un espace de dialogue que n'est pas aujourd'hui la CRSAconférence régionale de la santé et de l'autonomie... Nous avons compris que vous allez faire évoluer le document... »

Dans la salle, plusieurs voix demandent « un moratoire immédiat ». Pierre Pribile ne répondra pas à cette exigence. Une bataille est lancée. Pour que s'inverse un rapport de forces, pour l'heure favorable à l'ARS, la mobilisation des comités locaux est indispensable. Ils ont prévu une manifestation mi-mai à Dijon, devant le siège de l'agence.

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !