Toni Erdmann : un homme au grand cœur face à la dureté du monde…

La réalisatrice allemande Maren Aden donne à voir un des plus beaux films de la rentrée. Dans un monde rongé par le néolibéralisme, le pari du rire et de la satire de l’entreprise ménagent la possibilité d'une issue...

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Winfried est un joyeux farceur. Il vit seul en Allemagne. Ines, sa fille, travaille à Bucarest dans un cabinet dédié à l’externalisation en entreprise. Ils sont aux antipodes l’un de l’autre.
Lorsque son chien meurt, le père débarque à Bucarest pour la voir, essayer de l’aider (la sauver ?) de l’emprise d’une vie où elle est complètement aliénée par son rôle professionnel.

Un monde sans pitié

« Toni Erdmann » est un miroir de notre monde, d’une Allemagne forte face à une Roumanie qui construit des centres commerciaux « où les gens n’ont pas les moyens d’aller », mais n’en demeure pas moins un pays dévasté. Un plan pris d’une fenêtre nous montre l’envers du décor et la pauvreté.

Maren Ade, la réalisatrice, filme un monde sans pitié, celui du néoliberalisme où l’on utilise un cabinet de conseil pour justifier les suppressions d’emplois. Ines est sous pression ; elle répond au téléphone à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, fait du shopping avec la femme de son interlocuteur, communique sur Skype avec un coach qui l’incite à être plus performante. Au garde à vous par rapport à l’entreprise, elle s’efforce de sourire, d’être une « pointure » dans un monde où faire des affaires nécessite la perfection.

Et lorsque son père arrive avec pour cadeau une râpe à fromage, elle est embarrassée ; comment va-t-elle gérer sa présence, sa vie et son travail, s’il reste un certain temps à Bucarest ? Elle le rejette. Il réapparaît avec une perruque sous une l’identité de « businessman, consultant et coach », et le voilà convié à des négociations professionnelles. Toni Erdmann, joue admirablement la comédie (et je ne dévoilerai pas tous les stratagèmes qu’il utilise faire rire sa fille et la faire sortir de ce monde implacable et cruel.)

Un héros contemporain

« Es-tu encore humaine ? »demande le père.
Quelques séquences plus tard, elle réplique : « ce n’est pas toi et ta râpe à fromage qui m’empêcheraient de me jeter par la fenêtre » !
Un peu plus loin encore son patron lui dira « Tu es une bête ».

Faussement vendu comme une comédie hilarante, le film n’en est pas moins qu’un mélange subtil de comédie et de tragédie où, face au néolibéralisme, un père se propose de sauver sa fille par l’humour. La preuve ? Cette très belle séquence où, dans une famille roumaine, il lui demande de peindre des œufs et de chanter. Au moment où elle reprend un titre de Whitney Houston, son corps se libère. Quelque chose peut désormais changer.

Toni, héros contemporain ne lâche rien et creuse en ce sens le sillon d’un cinéma teinté d’une vive humanité.

Inutile de raconter toutes les péripéties scénaristiques de mise en scène, ni d’expliquer ici tous les usages d’une râpe à fromage y compris dans le monde de l’entreprise ; en glissant subrepticement de l’humour dans la froideur de la réalité, Maren Aden nous donne à voir un des plus beaux films de la rentrée où le pari du rire, voire même de la satire de l’entreprise, ménage, au-delà d’une traversée, la possibilité de retrouvailles.

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