Confiné une décennie en prison, William y a apprécié la routine et la discipline, et y a appris à compter les cartes, à les mémoriser. Une fois dehors, il en a fait son job, sa source de revenus, joueur professionnel qui gagne juste ce qu’il faut pour ne pas se faire remarquer. Oscar Isaac (qui fut pilote dans « Star Wars », un méchant dans « X-Men », et récemment Duke Leto dans « Dune ») incarne ce William Tell, type banal et méthodique, dans « The card counter » de Paul Schrader.
Présenté au Festival du Cinéma Américain de Deauville, ce film est coproduit par le cinéaste Martin Scorsese pour qui Paul Schrader, scénariste emblématique du Nouvel Hollywood, a notamment écrit « Taxi Driver », « Raging Bull », « La dernière tentation du Christ », et « A tombeau ouvert ». Réalisateur d’une vingtaine de films dont « American Gigolo », Schrader exploite une série de thèmes, la culpabilité, la rédemption, à travers des personnages solitaires qui font face à leurs démons, leurs cauchemars.
William Tell est de ceux-là, qui erre de casino en casino, de salle de jeux en salle de jeux. Poker, blackjack, roulette… à Atlantic City ou toute autre ville, ça lui fait passer le temps. « J’aime jouer aux cartes », assure-t-il. Immobile à la table, il s’est programmé sa propre routine, répétitive, qui lui apporte une paix intérieure, une vie dans la grisaille, « une sorte de non-existence », hors du temps, comme un purgatoire. Tout n’est que rigueur dans son quotidien, mais il cache quelques bizarreries, quelques tocs, dont cette manie d’emballer d’un drap blanc les meubles des chambres de motel.
Un devoir de mémoire
Lui, qui jusqu’alors, voyageait en solitaire, prend sous son aile un jeune compagnon de route qui le suit dans les concours de poker, Cirk (joué par Tye Sheridan, interprète de Cyclope chez les « X-Men). William se socialise, s’humanise, encore un peu plus en tombant sous le charme d’une agente de joueur, La Linda (jouée par Tiffany Haddish). Avec ce compteur de cartes, on pense alors être dans un film de casino, où le jeu est l’enjeu ; mais le jeune Cirk le renvoie à son passé : celui-ci veut en fait venger son père, ancien militaire qui s’est suicidé, et compte bien sur l’aide de William.
Car William est lui aussi un ancien soldat, c’est dans une prison militaire qu’il a été enfermé. Aujourd’hui doué pour les cartes, il était hier doué pour la torture, était tortionnaire au camp d’Abou Ghraib, en Irak. Un bourreau condamné par la justice de son pays, contrairement à ses supérieurs et à ces consultants privés, ni inquiétés ni arrêtés, malgré les atrocités qu’ils avaient commises. Dans une forme de désespérance, coupable d’actes impardonnables, William porte cette faute comme une croix ; son travail de mémoire est un devoir de mémoire, qui le conduit au final à un déchainement de violence expiatoire.