Téhéran Tabou fait suite à de nombreux films iraniens à l’instar de Ceci n’est pas un film tourné discrètement dans un appartement et Taxi Teheran du même cinéaste Jafar Panahi, film réalisé avec des petites caméras dans un taxi. En citant ce cinéaste, plusieurs fois emprisonné - avec en 2010 une interdiction de filmer pendant vingt ans - on parle de la partie la plus visible de la cinématographie iranienne. Car de nombreux cinéastes rusent chaque jour pour réaliser leurs films : depuis le chef de file Abbas Kiarostami jusqu’à récemment Ida Panahandeh, tous se battent pour tenter de parler de ce qui gangrène la société iranienne.
Le cinéma d’animation iranien
Tourner un film en Iran est de plus en plus compliqué. Depuis Persepolis, admirable film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, on sait désormais que le cinéma d’animation permet aux cinéastes de réaliser leurs films à l’étranger pour éviter la censure.
Aki Soozandeha ne peut pas retourner dans son pays ; il vit et travaille en Allemagne ; il utilise l’animation pour parler librement des problèmes et des contradictions de la société iranienne où tout est tabou. Dans Teheran Tabou le réalisateur a filmé les acteurs en studio sur un écran vert. Cette technique appelée la rotoscopie permet d’ajouter ensuite des décors et de mettre en relief le dessin des personnages. Ce qui apporte au film une expressivité des visages et un caractère bien réel.
Le poids des tabous
Dès le début du film on voit une femme se prostituer avec un chauffeur de taxi qui, quelques secondes plus tard, hurle parce qu’il aperçoit sa fille en compagnie d’un jeune homme.
En montrant les contradictions, le film révèle les tabous et interdits qui musèlent la sexualité de la population iranienne. On suit plusieurs destins, celui d’une femme enceinte (au service de son mari et de sa belle famille) qui aimerait changer de vie ; celui d’une prostituée qui se bat pour que son fils puisse aller à l’école et, enfin, celui d’une jeune fille qui perd sa virginité un soir de fête et veut faire reconstruire son hymen pour son mariage prochain.
La femme est accusée des pires crimes alors que les hommes bénéficient d’une certaine impunité. Le cinéaste insiste sur la vie des femmes car elles incarnent les valeurs sur lesquelles repose l’honneur de la famille. Néanmoins, il montre aussi en filigrane comment les hommes vivent leurs frustrations et même comment un homme dans une société archaïque peut sortir des schémas ; on voit comment un jeune artiste qui entreprend de payer la reconstruction d’hymen se heurte constamment à la corruption généralisée. Par ailleurs ce jeune musicien donne des indications sur la place de l’artiste dans la société iranienne : il ne peut prétendre à des aides car sa musique est éloignée des principes islamistes. Il en va de même pour les films évidemment.
L’enfant muet
La séquence d’ouverture du film est reprise avec d’autres situations où les personnages sont en pleine contradiction : le mari de la femme enceinte rend visite à la prostituée ; pour scolariser son enfant, la prostituée use de ses charmes avec le juge chargé de l’application de la loi islamiste ; et la femme qui a perdu sa virginité annonce enfin qu’elle ne se marie pas et doit prouver sa virginité avant de partir à Dubaï. En dehors de ce constat effrayant, le cinéaste montre aussi comment les restrictions imposées par la loi et la religion, intégrées par chacun, deviennent une forme d’autocensure. Et si quelqu’un tente d’échapper à ce système et de clamer haut et fort son désir, il est violemment banni par sa famille et la société.
La présence de l’enfant muet est un regard silencieux posé sur la société. Il ne dit rien et regarde, témoin muet de la souffrance qui pèse sur la population. A la fin du film, alors que la mise en scène se resserre sur la grande détresse d’une femme, il se met à l’écart de la violence, comme si sa recherche de la douceur dessinait peut-être la promesse d’un avenir différent.