« Tant qu’on reste debout, on n’a rien à craindre »

Rester vertical est un ovni cinématographique, un road-movie qui dépasse les balises des routes empruntées par le cinéma. Un film à voir malgré sa forme troublante pour son approche particulière du monde.

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Une terre déserte, aride comme un paysage de western. Un causse en Lozère. Un homme marche. Que cherche-t-il ? Il dit qu’il aimerait voir des loups. Léo, scénariste est en panne d’écriture. Peut-être croit-il que cela pourrait libérer son imaginaire. On ne sait pas très bien. Il rencontre une bergère et lui fait un enfant. Très vite, il se retrouve seul avec l’enfant sur les routes qui conduisent du côté de la mer et de la terre dans un mouvement perpétuel dans lequel il poursuite sa quête souterraine.

La question du désir

C’est bien du désir dont il est question dans ce film. D’abord, pour Alain Guiraudie, le désir de filmer et de casser les codes du cinéma. Ici la sexualité est crue, à l’instar de cette « origine du monde », filmée ici comme jamais le cinéma n’a osé le faire. De défier les limites en montrant une femme sans instinct maternel et un homme s’emparant de la légitimité d’être un père solitaire.

Le film tourne autour de cette idée-là : faire reculer les bornes du cinéma et chercher comment inventer un autre monde. Faire de la chair et du désir la matière de son film. Créer un personnage qui ressemblerait à celui de Théorème de Pier-Paolo Pasolini et viendrait du côté du monde paysan renverser l’immobilité et faire apparaître le désir latent de l’homme, sa bestialité et sa sensualité. L’inavoué et le sublime du désir. La quête de chacun. Ce qui exulte et se tait dans chaque homme et chaque femme.

Léo, héros improbable, (le double du cinéaste ?) va de la ferme à un bord de mer en Bretagne ou à un marais poitevin, de la ville aux territoires arides. Le temps s’arrête lorsque Guiraudie filme un SDF, un vieillard toussotant, une sorcière bien réelle. Et le cinéaste va même plus loin avec l’arrivée impromptue en barque du producteur à qui Léo promet un scénario qu’il ne parvient pas à écrire. Guiraudie n’a peur ni de l’absurde ni de l’improbable.

La nature de l’homme

Détourner les figures du cinéma ; filmer le sexe frontalement ; questionner la nature de l’homme, à la fois fasciné et apeuré par ce qu’il découvre en lui-même. Il s’agit d’une mise à nu (au sens propre et figuré) du personnage principal, (à un moment donné il est déshabillé par des clochards). Léo, personnage désenchanté, perd la garde de son enfant qu’il remplace par un agneau sorte de figure biblique

La caméra erre dans un monde où Guiraudie filme les turbulences, en nous déstabilisant parfois et en nous inquiétant. A la fin, le road-movie du personnage se teinte de légèreté et devient libératoire lorsque la clé du titre du film nous est donné : « tant qu’on reste debout, on n’a rien à craindre. Il faut qu’on reste bien droit. »

Rester vertical s’est risqué dans les tréfonds de la noirceur du monde où les codes relationnels qui régissent les humains et les animaux ne sont pas simples à interpréter. Avec ce film complexe, Guiraudie réaffirme son goût du risque mis à jour dans L’Inconnu du lac. Hors des sentiers battus, le film a le grand mérite d’inventer un cinéma hétéroclite comme peu de cinéastes osent le faire en semant le trouble et en interrogeant le spectateur sur sa méconnaissance de l’Autre.

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